Arlequin misanthrope

 

a cura di Anna Sansa

 

 

 

 

 

Biblioteca Pregoldoniana

 

 

lineadacqua edizioni

 

2020

 

 

 

Arlequin misanthrope

a cura di Anna Sansa

 

 

Ó 2014 Anna Sansa

Ó 2014 lineadacqua edizioni

 

Biblioteca Pregoldoniana, nº 5

Collana diretta da Javier Gutiérrez Carou.

Comitato scientifico: Beatrice Alfonzetti, Francesco Cotticelli, Andrea Fabiano, Javier Gutiérrez Carou, Simona Morando, Marzia Pieri, Anna Scannapieco e Piermario Vescovo.

Coordinatori delle edizioni della Comédie italienne: Lucie Comparini ed Emanuele De Luca.

www.usc.gal/goldoni

javier.gutierrez.carou@usc.gal

Venezia - Santiago de Compostela

 

lineadacqua edizioni

san marco 3717/d

30124 Venezia

www.lineadacqua.com

 

ISBN dell’edizione completa: 978-88-95598-33-8.

 

La presente edizione è il risultato delle attività svolte nell’ambito del progetto di ricerca Archivo del teatro pregoldoniano (ARPREGO II: FFI2014-53872-P, finanziato dal Ministerio de Economía y Competitividad spagnolo; e ARPREGO III: Ministerio de Ciencia, Innovación y Universidades e FEDER: PGC2018-097031-B-I00, 2019-2022). Lettura, stampa e citazione (indicando nome del curatore, titolo e sito web) con finalità scientifiche sono permesse gratuitamente. È vietata qualsiasi utilizzo o riproduzione del testo a scopo commerciale (o con qualsiasi altra finalità differente dalla ricerca e dalla diffusione culturale) senza l’esplicita autorizzazione della curatrice e del direttore della collana.

 

N. B.: anche se prevista per il 2014, per diverse vicissitudini il presente volume è stato pubblicato solo nell’anno indicato in copertina: 2020.

 

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Biblioteca Pregoldoniana, nº 5

 

 

Nota al testo

Allo stato attuale della mappatura delle opere della Comédie-Italienne, non sembra esistere un manoscritto, che tramandi l’Arlequin misanthrope. Anche questa pièce è qui presentata nella versione tramandataci da Gherardi nell’edizione del 1700 (tomo VI), in quanto testimonianza dell’ultima volontà del curatore della raccolta (per la collocazione dell’esemplare consultato si rimanda alle note del presente lavoro). Il testo è stato pubblicato singolarmente nel 1697 a Parigi presso l’editore Henry Lambin[1] e ad Amsterdam da Adrian Braakman.[2] Quest’ultima versione si ritrova invariata nel supplemento pubblicato dal medesimo editore nel 1698 nel terzo volume di una raccolta più ampia che riunisce diversi titoli.[3] In nota sono segnalate le varianti, modernizzate secondo i criteri di trascrizione adottati per l’intera raccolta e illustrati nell’occhiello, prima pagina del volume: per praticità indicheremo l’edizione parigina di Henry Lambin con l’acronimo hlp e quella olandese con aba.

            Nell’occhiello, prima pagina del volume, si legge:

LE /THEATRE / ITALIEN / DE / GHERARDI. / TOME VI.

 

            Il frontespizio completo è il seguente:

LE / THEATRE / ITALIEN / DE / GHERARDI / ou / LE RECUEIL GENERAL / de toutes les Comedies & Scenes Fran- / çoises jouées par les Comediens Italiens / du Roy, pendant tout le temps qu’ils / ont été au Service. / Enrichi d’Estampes en Taille-douce à la tête / de chaque Comedie, à la fin de laquelle / tous les Airs qu’on y a chantez se trouvent / gravez notez, avec leur Basse-continu / chiffrée. / TOME VI. / A PARIS, / Chez Jean Bapt. Cusson / et / Pierre Witte, / rue S. Jacques, au Nom de Jesus. / M. DCC. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

 

            Il sesto tomo contiene i seguenti titoli: La thèse des Dames, Les Promenades de Paris, Le Retour de la Foire de Bezons, La Foire Saint Germain, Les Momies d’Egypte, Les Bains de la Porte Saint-Bernard, Arlequin Misanthrope, Pasquin et Marforio, Les Fées.

 

            Nel tomo VI a p. 483:

ARLEQUIN / MISANTHROPE / COMEDIE EN TROIS ACTES / Mise au Théâtre par Monsieur de B****, / et représentée pour la premiere fois par / les Comediens Italiens du Roy dans leur / Hostel de Bourgogne le vingt-deuxiéme / de Decembre 1696.

 

            Struttura: p. 484 acteurs, pp. 485-489 prologue, pp. 490-522 premier acte, pp. 523-552 deuxième acte, pp. 552-596 troisième acte.

 

            Le abbreviazioni saranno sviluppate.

 

 

 

ARLEQUIN MISANTHROPE

 

 

 

Acteurs[4]

 

arlequin.

octave, amant de Colombine.

colombine.

le docteur, père d’Octave.

scaramouche, valet d’Octave.

pierrot, valet d’Arlequin.

monsieur disanvray, philosophe.

madame de l’architrave, architecte.

mezzetin, intrigant.

la comtesse.

le chevalier.

Un vieillard et sa femme.

Deux gasconnes.

[Quatre biscaïens.]

Un peintre.

Un libraire.

monsieur de colafon, maître à danser.

léandre, le fils cadet du Docteur.

La fille du Docteur.

jaquet, paysan.

macine, paysanne.

monsieur de geresol, maître à chanter.

[maçon]

[chanteuse]

monsieur de la cabriole, maître à danser.

[Un berger et une bergère]

 

La scène est dans un bois.

 

 

 

                  PROLOGUE

 

 

                                   Arlequin, Colombine.

 

            arlequin       Non, te dis-je, je ne la jouerai pas.

 

            colombine    Mais tu te moques?

 

            arlequin       Il n’y a point de plaisanterie à cela, et j’aimerais mieux être Arlequin Cochon, Arlequin Dogue, Cygne, Taureau, et tout ce qu’il te plaira, que d’être Arlequin Misanthrope.

 

            colombine    Et bien, il faut donc se résoudre à faire rendre l’argent. Quoi? Renvoyer tout ce beau monde-là? Il faut avoir le cœur bien dur. Ah! Ah!

 

5          arlequin       Oh, je te connais, tu es tout comme les autres femmes; il n’y a que l’intérêt qui te gouverne. Quand tu déplores ce beau monde-là, tu le regardes bien moins au visage qu’à la bourse.

 

            colombine    Mais sérieusement, crois-tu ne pouvoir être misanthrope, sans déroger à ton arlequinisme?

 

            arlequin       Non, vraiment, un misanthrope est un homme d’esprit, une fois, et tout le monde sait que je ne suis qu’un sot.

 

            colombine    Tu n’es pas glorieux, à ce que je vois.

 

            arlequin       Oh, ma foi, si tous les sots rougissaient de l’être, on ne rencontrerait dans les rues que des visages d’écarlate.

 

10        colombine    Parlons un peu raison.

 

            arlequin       Parlons plutôt un langage que tout le monde entende: mais s’il s’agit d’argumenter, me voilà sur mes bancs. Allons.

 

            colombine    Vous êtes un sot, dites-vous?

 

            arlequin       Concedo majorem.[5]

 

            colombine    Or est-il qu’il y a plusieurs pièces où vous faites l’homme d’esprit: donc pour être un sot vous ne laissez pas de pouvoir fort bien jouer le misanthrope.

 

15        arlequin       Nego consequentiam, retorqueo argumentum. Vous êtes une salope: il y a des pièces où vous faites la femme d’importance: ergo vous n’êtes pas une salope. Voilà un beau raisonnement!

 

            colombine    Mais ne fais-tu pas l’apothicaire dans l’Empereur de la Lune?

 

            arlequin       Il est vrai qu’il faut un esprit bien profond, pour mettre adroitement un lavement en place!

 

            colombine    Ne fais-tu pas l’avocat, le procureur, le baron, le marquis?

 

            arlequin       Et parmi les avocats, les procureurs, les barons, les marquis, n’y a-t-il point de sots? Tiens, ma pauvre Colombine, ne nous abusons point. Feuilletons toutes les Annales Arlequiniques, repassons sur les faits et gestes de tous les Arlequins du monde, je te défie d’en trouver un misanthrope. Nous sommes de bons petits hommes, qui faisons gracieusement une culbute, nous soupirons tendrement pour une belle marmitonne comme toi, nous faisons éloquemment le panégyrique d’une bonne soupe, et déplorons avec énergie la cherté du vin et du fromage de Milan. Mais n’en demande pas davantage: c’est là le non plus ultra de notre savoir-faire.[6]

 

20        colombine    Trêve de modestie. Je te réponds, moi, que tu te tireras fort bien du rôle qu’on t’a donné.

 

            arlequin       (Vers le parterre) Il faudrait pour ma sûreté que ces Messieurs m’en répondissent solidairement avec toi. Mais supposons que je veuille jouer cette pièce, qui l’annoncera? Tu sais bien qu’Octave ne veut pas s’en mêler, et qu’aujourd’hui une pièce ne saurait réussir si elle n’est annoncée, et si l’auteur ne vient demander humblement quartier aux auditeurs, les prévenir sur les défauts, et les prier de ne chercher pas plus d’esprit et de raison dans la prose que de rime et de mesure dans les vers.[7]

 

            colombine    Est-ce là ce qui t’embarrasse? Je l’annoncerai, moi.

 

            arlequin       En ce cas, j’en augure bien; car on ne parvient aujourd’hui que par le canal des femmes.

 

            colombine    (Annonce) Quelque liberté que donne notre théâtre de grossir les traits et de changer les idées; vous savez bien, Messieurs, qu’il y a une extrême différence entre un Arlequin et un philosophe. Ainsi, si vous nous trouvez dans quelques endroits un peu au-dessus de notre jeu ordinaire, n’en accusez que le désir ardent que nous avons de vous plaire: c’est lui qui nous a fait choisir le plan de satire que nous allons vous donner, dans lequel nous avons néanmoins si bien mêlé toutes les gentillesses du théâtre italien, que si le goût du siècle était un peu moins difficile, nous oserions nous flatter d’y avoir mis de quoi contenter tout le monde. Heureux si nous avions pu atteindre à ce but qui doit être la seule fin de la comédie, de corriger les mœurs en divertissant l’esprit: plus heureux encore, si à la fin de notre pièce, que nous vous supplions d’écouter jusqu’au bout, vous nous donnez des marques que vous sortez contents.[8]

 

 

 

                  ACTE I

 

 

                                   SCENE I

 

            arlequin       (Dans un bois parmi des animaux qu’il salue) Bonjour camarades. Ah, de tout mon cœur! Je suis votre très humble serviteur. Votre valet de toute mon âme. Ma foi il n’est point de pire animal que l’homme, et il n’en est pas de moins humain. Eh quoi, ces pauvres petites bêtes ne me disent pas le moindre mot: je ne vois point ici de ces esprits aigres, qui se font un point d’honneur de ne convenir jamais. Je vis à ma fantaisie, et les lions qui sont seigneurs hauts-justiciers et magistrats en dernier ressort de ces bois, n’exigent point de moi que j’aille me morfondre sur leur escalier, ou m’ennuyer dans leur antichambre. Je ne suis point éclaboussé par un parvenu, qui à la faveur d’une métamorphose qu’il a peine à concevoir lui-même, se trouve dans un carrosse que son père menait jadis. Je n’essuie rien de la polissonnerie des petits-maîtres, et ne suis point obligé de me récrier sur les fadaises d’un mauvais plaisant de qualité, qui fait vingt fois par jour passer en revue cinq ou six mauvais contes qu’il a pillé dans l’espiègle ou dans le tombeau de la mélancolie. Je ne vais point faire ma cour à un grand de nouvelle édition, qui embarrassé de sa personne, et plus droit qu’un échalas, semble avoir perdu l’usage des mouvements de son corps; qui jette à peine les yeux sur la foule d’adulateurs qui l’environne, et croirait m’honorer beaucoup, s’il pouvait prendre sur sa paralytique gravité un mouvement de pagode pour faire voir qu’il m’a remarqué. Je ne prête point ici une attention de trois heures au récit burlesque des prouesses d’un fanfaron qui ne s’est jamais montré aux ennemis que par la croupe de son cheval. Nulle complaisance ne m’engage de répondre aux mines enfantines d’une beauté surannée qui oublie qu’elle n’a pas une dent dans la bouche, sur laquelle Carmeline n’ait une hypothèque spéciale. Je me promène seul, et ne gobe point la nuée de poudre, qu’excite dans la grande allée des Tuileries, le superflu du manteau des coquettes à taille équivoque. Je n’y vois point de ces marquises de contrebande qui en gourgandine et en petites moules, portent répandue sur toute leur personne une idée d’occasion prochaine. Enfin je suis ici à couvert des impertinences dont Paris est rempli, et je trouve que ce n’est qu’avec les animaux qu’on se défait de la férocité qu’on a contractée avec les hommes. Oui, mes chers camarades, c’est avec vous seuls qu’on peut vivre en repos. Je hais les hommes, je les déteste, ils sont faux, doubles, hypocrites, méprisables.

 

                               Bien entendu, qu’en ceci

                               La femme est comprise aussi.

 

                                   Oui, si j’en trouvais quelqu’une, je me ferais un plaisir de la traiter comme elle mérite. Je la... (il aperçoit Colombine) Ohimè![9]

 

 

                                    SCENE II

 

                                   Colombine, Arlequin.

 

            colombine    Ah, Monsieur, que je suis heureuse de trouver une figure d’homme dans un lieu où je ne vois que des bêtes!

 

            arlequin       (À part) Figure d’homme? Elle est toute jolie. Je me défie furieusement de moi-même.

 

            colombine    Monsieur, ne pourriez-vous point me dire des nouvelles de ce que je cherche?

 

            arlequin       (À part) Tenons bon.

 

5          colombine    Il me tourne le dos. Que je suis malheureuse!

 

            arlequin       (À part) La charmante pleureuse! Que je crains pour la misanthropie!

 

            colombine    Monsieur, ne me rebutez pas, je vous en conjure.

 

            arlequin       Non... Ce sexe est fait pour tromper tout le monde.

 

            colombine    Ah, craignez-vous quelque chose d’une malheureuse qui implore votre secours?

 

10        arlequin       Vous êtes plus à craindre pour moi que toutes les bêtes de ce bois.

 

            colombine    Mais qu’appréhendez-vous?

 

            arlequin       Mais que demandez-vous?

 

            colombine    Que vous ayez la bonté de m’écouter et de me répondre.

 

            arlequin       Dites: car c’est folie de vouloir empêcher une femme de parler.

 

15        colombine    Il y a huit jours, Monsieur, que je suis sortie de Paris, pour chercher un scélérat, un parjure, un perfide...

 

            arlequin       Quoi, ma mie, vous partez exprès de Paris, pour chercher un malhonnête homme? Eh fi, vous n’y pensez pas? Si j’avais à chercher un perfide, un parjure, un scélérat, sans aucun frais de quête j’irais tout droit à Paris.

 

            colombine    N’insultez-point une malheureuse, et si vous êtes insensible à mes maux, ne les rendez pas plus cuisants par vos railleries.

 

            arlequin       Eh bien, la belle enfant, quelle est la cause de votre douleur?

 

            colombine    Monsieur, il y a environ quatre ans que ma mère est veuve.

 

20        arlequin       Tant mieux pour elle, et tant pis pour vous.

 

            colombine    Comme mon père n’avait pas laissé beaucoup de bien, elle fut obligée de se servir de ses meubles pour gagner sa vie.

 

            arlequin       C’est un expédient dont bien des femmes s’avisent.

 

            colombine    Je veux dire, qu’elle meubla une maison où venaient loger beaucoup de gens de qualité, et surtout grand nombre d’étrangers.

 

            arlequin       C’est à dire souvent, grand nombre de dupes.

 

25        colombine    Ma mère qui n’avait que moi d’enfants, me donnait la meilleure éducation qu’il lui était possible, et tâchait de m’inspirer les airs d’une personne de condition.

 

            arlequin       Education bien conditionnée.

 

            colombine    À vous dire le vrai, je me suis toujours senti une sérieuse inclination d’être grande dame.

 

            arlequin       La pauvre petite!

 

            colombine    Je n’avais que douze ans, quand ma mère fit tirer mon horoscope. On dit que ma beauté ferait ma fortune; et on assure même que j’ai dans la main une couronne fort bien marquée.

 

30        arlequin       Pronostic pour la tête du futur.

 

            colombine    Parmi les étrangers qui logeaient chez nous, il y avait un jeune prince allemand fait à peindre et beau comme les amours; nous apprenions à chanter du même maître, et lisions les romans ensemble.

 

            arlequin       Suite du pronostic. C’est ici le voyage de l’Ile d’Amour? Eh bien, comment vous embarquâtes-vous?

 

            colombine    Un jour que nous étions dans le jardin, il me fit une déclaration d’amour toute prise du troisième tome de Cyrus.[10]

 

            arlequin       L’habile homme!

 

35        colombine    Dame, comme j’avais les idées fraîches aussi bien que lui, je le payai sur le champ en même monnaie.

 

            arlequin       La belle présence d’esprit!

 

            colombine    Depuis ce temps-là, il ne me quittait presque plus, ils s’ennuyait partout où je n’étais point, et me disait cent fois le jour qu’il m’aimait plus que lui-même.

 

            arlequin       Et votre mère vous prêtait ses meubles?

 

            colombine    Oh! Elle se défia de cette grande familiarité, elle savait par expérience... Enfin elle me défendit de le voir, et me mit en pension chez une de mes tantes.

 

40        arlequin       De sorte que vous ne vîtes plus le godelureau, vous ne sûtes plus de ses nouvelles![11]

 

            colombine    Bon! À quoi nous aurait donc servi le maître à chanter? Le prince le mit si bien dans nos intérêts, qu’il me donnait tous les jours un billet de sa part, et lui en reportait la réponse.

 

            arlequin       Il est vrai que ses messieurs les maîtres à chanter ont un furieux tendre pour les amants persécutés.[12]

 

            colombine    Ce n’est pas tout. Comme le prince ne pouvait pas me voir chez ma tante, le maître à chanter obtint d’elle qu’elle me permettrait d’aller à un concert où il y aurait beaucoup de gens de qualité.

 

            arlequin       Vous y fûtes sous le bon plaisir de la bonne tante?

 

45        colombine    Oui, j’y fus avec une fille du voisinage; mais au lieu de concert nous ne trouvâmes que le prince: j’entrai dans la chambre où il était, pendant que le musicien entretenait notre voisine.

 

            arlequin       Ouf! Maudit ménétrier! Eh bien, Eh bien, que fîtes-vous là?

 

            colombine    Oh dame, Monsieur, quand on s’aime bien, qu’un maître à chanter conduit l’intrigue, et qu’on a une si belle occasion de vérifier les prédictions... Je songeai à mon horoscope, et mon jeune prince me fit une promesse de mariage.

 

            arlequin       Voilà le dénouement.

 

            colombine    Nous nous vîmes encore plusieurs fois chez le musicien sous le même prétexte de concert.

 

50        arlequin       Eh, que ces concerts déconcentrent de jolies filles! Mais enfin?

 

            colombine    Mais enfin, il y a aujourd’hui six jours que j’appris par un bruit de ville, que le prince avait disparu. Je vous laisse à penser si cette nouvelle me perça le cœur; mais sans m’amuser à pleurer, je pris tout ce que j’avais d’argent, et quelques pierreries que ma mère m’avait données, et je montai à cheval, résolue de chercher mon infidèle par tout le monde, et de le suivre jusqu’aux extrémités de la terre.

 

            arlequin       Voilà un beau dessein.

 

            colombine    Ah, Monsieur, je le trouverai, ou je mourrai à la peine, il y a deux ans que je l’aime.[13]

 

            arlequin       Comment donc, deux ans? Et je ne croyais pas que depuis feue Artémise de constante mémoire, aucune femme eût aimé plus de vingt-quatre heures.[14]

 

55        colombine    Je l’aimerai jusqu’à la mort.

 

            arlequin       Cela n’est pas bien sûr. Mais aussi, n’est-ce point la principauté que vous courez plutôt que l’amant? Ce que les femmes de ce temps-ci ne mettent pas en amour, elles le dépensent bien et au-delà en ambition.

 

            colombine    Quelle injure vous faites à la sincérité de mes sentiments! Oui, quand mon amant serait le dernier des hommes, je ne l’en aimerais pas moins.

 

            arlequin       (À part) Une fille qui n’aime, ni par ambition ni par intérêt? Quelle merveille! Voilà mon fait. Mettons-nous bien dans son esprit. Mademoiselle, je vous plains, et vous offre tout ce qui dépend de moi. Venez-vous reposer, nous tâcherons de savoir des nouvelles de ce que vous cherchez.

 

            colombine    Ce n’est pas un médiocre avantage, de trouver en l’état où je suis quelqu’un qui prenne part à mes disgrâces.

 

 

                                   SCENE III

 

                                   Octave, Scaramouche (en habit de livrée).

 

            octave          Oh ciel! Dans quelle étrange situation me trouve-je? Je fuis Colombine, et mon cœur court après elle; depuis six jours que je l’ai quittée, j’ai souffert tout ce que... Mais ne vois-je pas Scaramouche que j’avais laissé à Paris pour m’en apporter des nouvelles?

 

            scaramou.     Gare, Monsieur, gare, prenez garde, hem, n’est-elle pas là?

 

            octave          Qui?

 

            scaramou.     Colombine.

 

5          octave          Colombine?

 

            scaramou.     Oui, Colombine, elle doit être ici.

 

            octave          Mais comment veux-tu qu’elle soit ici, puisque je l’ai laissée à Paris?

 

            scaramou.     Diable, une fille de Paris un peu jolie, fait bien du chemin en peu de temps.

            octave          Je n’entends rien à ton peste de galimatias.

 

10        scaramou.     Cela veut dire, Monsieur, que le lendemain de votre départ de Paris, Colombine monta à cheval pour vous suivre.

 

            octave          Eh bien, Scaramouche.

 

            scaramou.     Eh bien, il y a cinq jours qu’elle vous suit, elle vous doit avoir joint.

 

            octave          Mais ne sachant pas où je suis, comment veux-tu qu’elle me trouve?

 

            scaramou.     Oh diable, Monsieur, une fille amoureuse a bon nez, et un amant aimé est un gibier dont il n’est pas malaisé de suivre la piste. Je vous dis encore un coup, que si Colombine n’est pas ici, elle y sera bientôt.

 

15        octave          Mais, dis-moi, Scaramouche, lorsque Colombine apprit mon départ, que fit-elle? Que dit-elle de mon absence?

 

            scaramou.     (pleurant) Ah, Monsieur, c’est une chose déplorable. La pauvre fille! Je ne saurais m’empêcher de pleurer, car je suis tendre aussi.

 

            octave          Hélas!

 

            scaramou      (riant) C’était la plus drôle des choses; quand j’y songe, je ne puis m’empêcher de rire.[15]

 

            octave          Et de quoi ris-tu, coquin?

 

20        scaramou.     De la mine qu’elle fit quand vous fûtes parti.

 

            octave          Maraud!

 

            scaramou.     J’entrai dans sa chambre, et je la trouvai sur son lit, toute en pleurs, qui s’arrachait les cheveux. C’est donc ainsi, disait-elle, qu’il m’abandonne, qu’il me... (il pleure) Ah, ah, cela fait crever le cœur.

 

            octave          Pouvais-je faire autrement?

 

            scaramou.     Eh bien, Scaramouche, ajoutait-elle, tu vois comme me traite un prince que j’aime à l’adoration.

 

25        octave          Elle ne sait donc pas qui je suis, et elle me croit toujours un prince allemand.

 

            scaramou.     Vraiment, elle se donnerait à tous les diables, que vous êtes le plus grand prince de toute la princerie; on n’aurait qu’à lui dire que vous êtes un comédien, ma foi!

 

            octave          Tant pis, Scaramouche, tant pis. Quand Colombine saura que je ne suis qu’un comédien, quelle chute! Elle en mourra de douleur.

 

            scaramou.     S’il fallait trépaner toutes les femmes qui font de ces chutes-là, les chirurgiens gagneraient trop d’argent.

 

            octave          Continue ton récit.

 

30        scaramou.     Traître, infâme, scélérat... C’est elle qui parle.

 

            octave          Supprime ces épithètes.

 

            scaramou.     Je suis historien exact. Je mourrai. Oui, dit-elle, je mourrai de douleur. (il pleure) Ah, ah, cela m’arrache les larmes.

 

            octave          Hélas!

 

            scaramou.     Et sur le champ elle se lève du lit. Oh, pour celui-là il est trop plaisant, (il rit) prend les porcelaines de sa cheminée, les jette à terre, prin; rompt les tableaux, crac; renverse les meubles, ouvre la fenêtre, et se jette...

 

35        octave          Où, Scaramouche?

 

            scaramou.     Dans un fauteuil.

 

            octave          Enfin?

 

            scaramou.     Je n’en vis pas davantage, et je m’en allai.

 

            octave          Et pourquoi, coquin?

 

40        scaramou.     Diable, Monsieur, une fille amoureuse qui a perdu son amant se prend où elle peut! Que sait-on? Je ne suis pas dégoûtant, et elle n’était pas dégoûtée, sur ma parole.

 

            octave          Taisez-vous, Monsieur le mauvais plaisant. Mais comment sais-tu donc qu’elle est partie?

 

            scaramou.     C’est que le lendemain, je la vis sortir à cheval par la porte Saint-Honoré, et je conjecture de là qu’elle vous suit.

 

            octave          Me voilà plus inquiet et plus embarrassé que jamais.

 

            scaramou.     Pour moi, il y a environ deux heures que je me suis mis au service d’un nommé Arlequin.

 

45        octave          Ce philosophe qui s’est retiré ici?

 

            scaramou.     Justement, j’ai mes raisons pour cela.

 

            octave          Et quelles raisons encore?

 

            scaramou.     De bonnes raisons pour vos intérêts et pour les miens. Mais retirez-vous, j’ai peur qu’on ne nous surprenne.

 

 

                                   SCENE IV

 

                                   Arlequin, Monsieur Disanvray.

 

            arlequin       Eh bien, Monsieur Disanvray, qu’y a-t-il de nouveau à Paris?

 

            m. disanvr.    Quoi! Vous ennuyez-vous déjà dans votre retraite? À quel changement vous attendez-vous depuis un mois que vous êtes hors de Paris?

 

            arlequin       Un mois, Monsieur Disanvray? Vous n’y pensez pas. Faut-il un mois pour changer du blanc au noir une ville qui est le mouvement perpétuel? Allez, allez, ma curiosité serait bien satisfaite si je pouvais savoir combien il s’y fait de changements en vingt-quatre heures.

 

            m. disanvr.    Qu’est-ce à dire?

 

5          arlequin       Hé, faut-il plus d’une nuit pour faire d’une fille une femme, un gentilhomme d’un roturier, et d’un faquin, un homme d’importance?

 

            m. disanvr.    Vous avez raison; mais il serait diantrement difficile de tenir un registre exact de ces changements, tant ils sont fréquents. Mais, sans entrer dans un si grand détail, Paris est à peu près de même que vous l’avez laissé; les hommes y sont fourbes, avides, âpres à l’argent, peu sensibles aux lois de l’honneur, et sacrifiant tout à leur intérêt. Les femmes sont prudes au-dehors, et galantes au-dedans; les vieilles se fardent, les jeunes minaudent. Il y a moins de jaloux que de cocus.

 

            arlequin       Et les coquettes, comment se gouvernent-elles?

 

            m. disanvr.    Les coquettes? Il n’y en a plus.

 

            arlequin       Oh, oh, point de coquettes à Paris?

 

10        m. disanvr.    Non. Une coquette n’est-ce pas une femme qui a plusieurs amants?

 

            arlequin       Oui.

 

            m. disanvr.    Eh bien, il n’y a donc plus de coquettes. Car loin qu’une seule femme ait plusieurs amants, bien heureuse celle qui en a un à elle seule. Il y a tel homme sur qui dix ou douze femmes mettent l’enchère tout à la fois.

 

            arlequin       C’est comme de mon temps. Car j’ai connu autrefois une fort jolie personne intéressée pour un septième sur un capitaine de Dragons, qu’elle ne voyait pas six fois dans tout un quartier d’hiver.

 

            m. disanvr     C’est une chose déplorable que de voir la disette d’homme qui règne à Paris, et la cherté dont ils sont. Aussi une femme de bon sens, disait-elle ces jours passés, que dans une année abondante, la nature devrait produire pour le soulagement du pauvre sexe féminin, une certaine quantité d’hommes, comme elle produit du vin et du blé.

 

15        arlequin       Bon! Et quand cette année il serait né autant d’homme qu’il s’est cueilli de grains de blé, de quelle utilité pourraient-ils être aux coquettes? Elles seraient passées avant qu’ils fussent morts. Mais, Monsieur Disanvray, comment vivent les beaux esprits à Paris? Font-ils toujours corps de communauté, et n’ont-ils qu’un même syndic avec les fripiers?

 

            m. disanvr.    Comment donc?

 

            arlequin       C’est que de mon temps il leur était défendu de travailler de la besogne neuve, et ils ne s’occupaient qu’à rajuster ce qui avait été fait par les autres.

 

            m. disanvr.    C’est donc toujours de même. Car quand vous allez acheter des livres, vous entendez annoncer comme dans une friperie: Monsieur, une petite pensée d’Horace bien proprement retournée. Monsieur, une satyre de Juvenal doublée de neuf. Une comédie de Terence à grandes manches et grosses boutonnières. Des dialogues de rencontre. Les oraisons de Cicéron à la pièce.[16]

 

            arlequin       De sorte qu’il ne paraît plus de nouveautés?

 

20        m. disanvr.    Bon! On n’en a jamais tant vu. La rage possède les auteurs pour imprimer; et si le grand flegme et la retenue du public qui n’achète plus rien ne modéraient ce grand feu, il n’y aurait pas assez de papier en France. Tel qui n’a pas seulement appris à lire, fait des poèmes dramatiques en vers et en cinq actes, qu’on joue cinq fois la semaine. Voilà la liste des livres qui furent affichés mardi passé.

 

            arlequin       (Lit) Relation véritable et remarquable de la sanglante défaite des Anciens pas les Modernes, avec la liste des morts et des blessés.

                                   A la fin, ces maroufles ont donc été battus?[17]

 

            m. disanvr.    Et comme il faut. Il n’y en a pas un qui n’ait quelque vilain coup qui le défigure.

 

            arlequin       C’est donc par derrière, car nos braves Modernes ne regardent pas face à face ces poltrons-là.

                                   Topographie exacte du visage d’une femme, ou l’art d’y placer les mouches régulièrement; avec une dissertation sur les différentes manières de rire de bonne grâce. Le tout composé par un jeune abbé de qualité.[18]

 

            m. disanvr.    Oh, nos jeunes abbés se distinguent par leur érudition.

 

25        arlequin       L’art d’aimer, réduit en abrégé par un ancien fermier général. Ouvrage enrichi de plusieurs médailles d’or.

 

            m. disanvr.    Celui-là est fort rare. On n’en trouve presque plus de la bonne édition.

 

            arlequin       Projet d’un dictionnaire de mines. Ouvrage fort utile aux lorgneurs, pour l’intelligence des grimaces des coquettes.

 

            m. disanvr.    Celui-là ne sera pas dur à la vente.

 

            arlequin       Traduction des Instituts de Justinien en langue vulgaire, pour le soulagement des magistrats qui n’entendent pas le latin. Je réponds du débit de celui-là.[19]

 

30        m. disanvr.    Il enrichira l’imprimeur, si tous ceux qui en ont besoin en achètent un exemplaire.

 

            arlequin       Monsieur Disanvray, voilà de nouveaux visages qui me viennent; laissez-moi un moment, je vais vous rejoindre tout à l’heure.

 

 

                                   SCENE V

 

                                   Le Docteur, Arlequin, Léandre, une fille, Scaramouche, quatre biscaïens.

 

            le docteur   (Faisant de grandes révérences) Monsieur...

 

            arlequin       Sans compliment.

 

            le docteur   Monsieur...

 

            arlequin       Eh, sans façon.

 

5          le docteur   Monsieur...

 

            arlequin       Sans cérémonie, ou je vous plante là.

 

            le docteur   Monsieur, la haute réputation que vous avez dans le monde, et l’estime générale que vous vous êtes acquise...

 

            arlequin       Moi, de l’estime? Si je croyais être bien dans l’esprit de quelqu’un des hommes d’aujourd’hui, je m’irais pendre tout à l’heure.

 

            le docteur   Mais, Monsieur...

 

10        arlequin       Oui, je veux que les hommes me haïssent, me méprisent, et me regardent à peu près du même œil que je les vois. De l’estime? Je voudrais bien voir quelqu’un m’estimer! Je les y attends!

 

            le docteur   Mais; souffrez que je vous dise...

 

            arlequin       Souffrez que je vous dise moi, que le caractère du peu de mérite est d’être estimé des hommes d’aujourd’hui, et que la vraie marque qu’on vaut quelque chose est d’en être méprisé. Je veux qu’ils me méprisent, entendez-vous?

 

            le docteur   Soit.

 

            arlequin       Sans préambule, de quoi est-il question?

 

15        le docteur   Monsieur, comme vous savez qu’on ne fait plus rien dans les provinces, et que Paris est le seul théâtre où l’on peut paraître un peu à l’avantage, je vais m’y établir avec ma famille, et je n’ai pas voulu passer par ces lieux, sans voir un philosophe qui fait autant de bruit que vous, Monsieur.

 

            arlequin       Vous auriez pu retrancher plus de la moitié de votre longue période, aussi bien que les fréquents Monsieur, dont vous entrelardez vos longues phrases! Mais qui êtes-vous pour aller à Paris avec tant de confiance?

 

            le docteur   Je suis, Monsieur, un homme de lettres, dont le nom fait du bruit parmi les savants.

 

            arlequin       Je m’en suis douté en vous voyant si jargonneur. Vous allez donc à Paris faire fortune, vous courez après quelque établissement considérable?[20]

 

20        le docteur   Je ne suis guère embarrassé là-dessus. J’ai deux ou trois ouvrages fins, prêts à mettre sous la presse, et je ne serai pas plutôt arrivé à Paris, que les librairies de ce pays-là, qui sont connaisseurs, riches et honnêtes gens, viendront au-devant de moi m’offrir tout ce que je voudrai de mes livres.

 

            arlequin       (Riant) Ah, ah, les librairies connaisseurs, riches et honnêtes gens! Cet homme-là connaît la librairie!

 

            le docteur   Et la jeunesse de la Cour, qui est généreuse et délicate, sera ravie de m’avoir, et l’argent pleuvra chez moi, Dieu sait!

 

            arlequin       (Riant) Oui, oui, la jeunesse de la Cour généreuse et délicate! Ah, que voilà un homme bien instruit!

 

            le docteur   Outre cela, comme je sais de bien des sortes de choses, et que les jeunes magistrats sont curieux, appliqués et bienfaisants, ce sera un plaisir de voir comme je serai couru.

 

25        arlequin       (Riant) Les jeunes magistrats appliqués, bienfaisants! Il connaît aussi bien la robe que l’épée. Eh, mon ami, quand vous serez à Paris, que les choses vous paraîtront différentes de ce que vous les avez vues de votre province! Les fortunes des gens de lettres sont de belles perspectives, qui ne brillent que de loin. Mais qui sont ces gens-là?

 

            le docteur   C’est ma famille, Monsieur, et j’ai encore un fils à Paris, qui est à ce qu’on m’a dit, dans un poste fort éclatant.

 

            arlequin       Ce jeune garçon-là, est-il votre fils?

 

            le docteur   Oui, Monsieur, mon cadet.

 

            arlequin       Va-t-il aussi faire fortune?

 

30        leandre        Je l’espère, Monsieur.

 

            arlequin       Et comment cela, Monsieur?

 

            léandre        Monsieur, j’ai comme vous voyez, un extérieur assez souffrable; j’ai bien fait mes exercices; je manie bien un cheval, je danse passablement; je sais un peu les langues étrangères, Monsieur.

 

            arlequin       Et avec tout cela vous prétendez, Monsieur...

 

            léandre        M’attacher à quelque grand seigneur, qui m’avancera à l’armée, et prendra soin de ma fortune.

 

35        arlequin       Chimère, mon ami, chimère toute pure. Si, fait comme vous voilà, vous parliez de vous faire valet de chambre, ou premier laquais de quelque vieille, passe.

 

            léandre        Eh, si Monsieur, je n’ai pas l’esprit assez bas.

 

            arlequin       À quel étage croyez-vous donc qu’il faille avoir l’esprit pour faire fortune? Mais dites-moi, cette grande fille est-elle votre sœur? Elle n’est pas mal bâtie.

 

            léandre        Monsieur, elle danse bien, et a la voix assez jolie.

 

            le docteur   Je lui ai donné la meilleure éducation que j’ai pu. Je voudrais la mettre auprès de quelque femme de qualité, qui après l’avoir gardée quelque temps chez elle, la mariât avantageusement.

 

40        arlequin       Cela n’est pas bien sûr. On ne trouve presque plus d’épouseurs pour les filles qui sortent de grandes maisons.

 

            le docteur   Et pourquoi cela?

 

            arlequin       Mon Dieu, c’est que les médisants jasent toujours, et qu’on ne saurait ôter de la tête de certaines gens, qu’une jolie fille qui rend ses soins à Madame, reçoit souvent ceux de Monsieur. Mais puisqu’elle chante, savez-vous ce qu’il en faudrait faire?

 

            le docteur   Et quoi?

 

            arlequin       La mettre à l’Opéra.

 

45        le docteur   À l’Opéra?

 

            arlequin       Oui, à l’Opéra; si elle peut-y être reçue, s’entend. Car la presse y est diablement, depuis quelque temps. On pourra toujours par faveur la faire recevoir surnuméraire.

 

            le docteur   Si vous vouliez, vous nous rendriez ce bon office?

 

            arlequin       Attendez, que j’examine votre fille. Dans le fond, elle n’est pas propre à l’Opéra, elle n’a pas cet air ouvert... Là... Cette hardiesse... Je ne sais même si elle se tirerait bien d’un duo, et vous savez pourtant que c’est le duo qui place une fille à l’Opéra.

 

            le docteur   De sorte que...

 

50        arlequin       De sorte que, si vous et votre famille n’avez pas de meilleure ressource, vous pouvez à coup sûr épargner les frais du voyage. Croyez-moi, retournez-vous en chez vous.

 

            le docteur   Nous resterions volontiers avec vous, si vous y consentiez.

 

            arlequin       Oh, c’est une autre affaire; un solitaire craint d’être trop accompagné.

                                   (Scaramouche se met à pleurer)

                                   Hé, qu’as-tu donc, mon ami, qu’est-ce qui t’afflige? Parle, que veux-tu?

 

            scaramou.     Ah, Monsieur, si toutes ces bonnes gens qui ont du mérite, qui savent tant de choses, ne peuvent pas faire fortune à Paris, que ferais-je donc, moi?

 

            arlequin       Comment?

 

55        scaramou.     Oui, qu’est-ce que je ferai, moi qui ne suis bon à rien, qui ne fais que de la bagatelle, qui ne sais que la bagatelle, et qui ne suis moi-même qu’une bagatelle?

 

            arlequin       Tu sais la bagatelle?

 

            scaramou.     Oui.

 

            arlequin       Tu fais la bagatelle?

 

            scaramou.     Hélas, oui.

 

60        arlequin       Et tu es la bagatelle? Ah, mon cher, viens que je t’embrasse; tu es né pour Paris, tu es né pour une grande fortune! Avec une si belle disposition, tu peux aspirer à tout. La bagatelle? Ah! Mon ami, si j’avais eu un noble penchant pour la bagatelle, je ne serais pas ici, je serais à Paris dans une fortune éclatante.

 

            scaramou.     Quoi?

 

            arlequin       Pars hardiment, pars, vas, tu n’y seras pas plutôt, que tout le monde courra après toi.

 

            scaramou.     Mais, pourtant...

 

            arlequin       C’est un pays où l’on ne respire que bagatelle, le sérieux y est marchandise de contrebande, et la bagatelle y est si universellement répandue, qu’on peut dire qu’à proprement parler, Paris n’est qu’une grande bagatelle.

 

65        scaramou.     Ainsi avec beaucoup de bagatelle je puis faire un peu de fortune?

 

            arlequin       Telle que tu voudras. La bagatelle est aujourd’hui la porte des honneurs et des richesses. L’un a épousé une vieille qui l’a rendu gros seigneur pour avoir dit une bagatelle de bonne grâce; celui-ci a donné dans l’œil à une femme du premier rang pour avoir fait un saut périlleux d’un air robuste; cet autre possède une charge de judicature qui ne lui coûte qu’un petit tour de poignet, dans une rafle de six amenées à propos; et j’en connais un élevé à de grandes dignités qui n’a qu’une jolie femme pour tout mérite. Compte en un mot, que je te réponds de ta fortune, et que je te prie de m’en mettre de moitié.[21]

 

            scaramou.     Volontiers. Voilà des bagatelles de ma façon.

                                   (On ouvre, et on voit un grand cabinet illuminé. Il est soutenu par quatre mores vêtus de gaze d’or. Il y a dans chaque niche, des figures richement vêtues. Les violons jouent une chaconne)[22]

 

                                   (Quatre biscaïens dansent)

 

            espagnol                  (Chante) Il ne faut qu’une bagatelle

                                               Pour être heureux ou malheureux;

                                               Pour faire un infidèle

                                               De l’amant le plus amoureux,

                                               Il ne faut qu’une bagatelle.

 

                                               (Un autre espagnol danse seul)

 

            espagnol                  (Chante) Pour réduire une belle

                                               À bien payer nos feux;

                                               Pour troubler la cervelle

                                               Du mari le moins soupçonneux,

                                               Il ne faut qu’une bagatelle,

 

70        espagnolette                (Chante) Pour le faire riche ou gueux,

                                               Pour rendre son nom fameux,

                                               Par un croissant de bon modèle,

                                               Il ne faut qu’une bagatelle.

 

                                               (Le second espagnol et l’espagnolette dansent)

 

            espagnolette                (Chante) Sans un peu de bagatelle

                                               Tout le monde finirait.

                                               Qu’est-ce qu’on dirait?

                                               Qu’est-ce qu’on ferait?

                                               On craindrait une ruelle,

                                               On s’ennuierait,

                                               On s’enfuirait

                                               Rien ne plairait.

                                               Sans un peu de bagatelle.

 

                                               (Les quatre biscaïens dansent)

 

            espagnolette                (Chante) Qui se marierait?

                                               Qui nous voudrait?

                                               Que servirait d’être belle?

                                               On nous morguerait;

                                               On s’en passerait

                                               Sans un peu de bagatelle.

 

                                               (Les figures du cabinet se détachent, et font une danse de postures)

 

 

 

                                   ACTE II

 

 

                                   SCENE I

 

                                   La Comtesse, Le Chevalier, Arlequin.

 

            la comtesse  (À Arlequin) Oh ça, Monsieur, en deux mots comme en mille, qu’il se mette à la raison, où je le quitte.

 

            arlequin       Que veut-elle dire?

 

            la comtesse  Oui, oui, je sais comme on se sépare. À quelque tribunal que nous plaidions, il y aura plus de la moitié de nos juges qui seront de jeunes gens, et ces messieurs-là rendent bonne justice aux femmes qui cherchent à rompre un nœud, auquel ils sont les premiers à donner de furieuses entorses.

 

            arlequin       Mais, Madame, parlez plus intelligiblement. Je n’entends rien à tout ce galimatias de séparations, de jeunes juges, d’entorses à la foi conjugale. Que diantre veut dire tout cela?

 

5          chevalier     Quoi, Monsieur, vous ne comprenez pas que Madame a toutes les raisons du monde de se plaindre de Monsieur son époux, qui la tient dans une terre d’où il ne veut pas qu’elle parte sans son ordre?

 

            arlequin       Il est vrai qu’il y a près de huit jours que votre mari vous a laissée ici.

 

            la comtesse  Eh bien, Monsieur, huit jours? Comptez-vous huit jours pour rien? Savez-vous ce que c’est pour une jolie femme, d’être huit jours hors de Paris? Une femme comme moi hors de Paris, c’est un poisson hors de l’eau. Entendez-vous, Monsieur, huit jours? Si je n’avais trouvé le Chevalier ici, que serais-je devenue?

 

            chevalier     En vérité, Monsieur, une jeune dame comme Madame la Comtesse, est-elle faite pour demeurer à la campagne? Tant d’appas doivent-ils demeurer cachés, ou n’être vus que par des gens qui ne leur rendent pas l’hommage que leur doivent toutes les personnes de bon goût?

 

            arlequin       Hé, le godelureau! Comme il fait doucereux! Depuis que les femmes affectent les airs cavaliers, les jeunes gens ont pris toutes les manières féminines.

 

10        chevalier     Mais, Monsieur, vous êtes homme judicieux, mettez la main sur la conscience, que voulez-vous que Madame fasse dans cette maudite gentilhommière?

 

            arlequin       Qu’elle commence par vous en bannir; et vive ensuite comme les autres femmes.

 

            la comtesse  Fort bien! Vivre comme les autres femmes! C’est parler d’or, si cela se pouvait.

 

            arlequin       Et pourquoi non?

 

            la comtesse  Puis-je, dites-moi, dans une solitude, me levant à midi, être jusqu’à deux heures à ma toilette, parmi mille nuances de justaucorps rouges et bleus qui me réjouiraient la vue?

 

15        arlequin       Vraiment, on sait bien que vous ne pourrez pas comme certaines femmes, destiner les différents jours de la semaine aux différentes professions, et donner le lundi aux gens de robe, le mardi aux abbés, le mercredi aux étrangers, et le reste de la semaine au public.

 

            le chevalier Vous voyez donc bien, Monsieur, que Madame a raison, et que vous n’avez rien à répondre.

 

            arlequin       Il est vrai, j’en suis sur la négative.

 

            la comtesse  Eh, que répondrait-il? Me fera-t-il comprendre que si je donne à jouer dans un vieux château qui menace ruine, et qui est à vingt lieues de Paris, j’aurai tous les jours vingt coupeurs aux quatre pistolets?[23]

 

            arlequin       Difficilement les rondes d’un seul hiver vous vaudraient ici de quoi faire la fortune d’un joli homme.

 

20        le chevalier En vérité, Madame la Comtesse raisonne comme un charme, et je vois bien que Monsieur ne saurait résister à la force de son raisonnement.

 

            arlequin       Eh le petit butor! Il ne sait pas que la raison n’a rien à faire dans le raisonnement des femmes.

 

            la comtesse  Dans un maudit pays comme celui-ci, a-t-on le moindre plaisir? E celui de la promenade, tout innocent qu’il est, ne vous est-il pas lui-même interdit?

 

            le chevalier Oh pour cela, Madame, on vous a donné de mauvais mémoires, nous avons ici aux environs les plus belles promenades du monde.

 

            la comtesse  Eh fi! De quoi me parlez-vous?

 

25        arlequin       Ne voyez-vous pas que Madame ne veut se promener que dans les rues de Paris?

 

            la comtesse  Non, mais, vous n’avez ici ni Cours, ni Tuileries, ni Vincennes.

 

            le chevalier Il est vrai, mais nous avons des promenades qui ne valent guère moins.

 

            arlequin       Madame a raison. Dans nos promenades on n’a pas le plaisir de contrôler. Peut-on dire par exemple, voilà une telle qui est dans le carrosse de son amant. Cette maigre échine qui est dans le fond leur sert de commode. Mon Dieu, que Célimène est mal coiffée aujourd’hui! Ne se corrigera-t-elle jamais de mettre si peu de rouge sur deux doigts de blanc? Votre grand Président ne veut-il pas avoir un autre équipage? Je crois qu’il a acheté le sien à la Vallée de Misère! Non, il n’y a point de carrosse de remise qui ne donnât quinze et bisque à ce vilain fiacre-là.[24]

 

            la comtesse  Ce sont toutes ces gentillesses qui font l’âme de la conversation du Cours et des Tuileries.

 

30        le chevalier Madame dit cela d’un air malicieux qui enchante.

 

            la comtesse  Oh point, on a tous les torts du monde de dire que je suis médisante, je suis la meilleure pâte de femme qui fût jamais.

 

            arlequin       La bonne pâte de femme! On n’y a pas épargné la farine et le levain.

 

            la comtesse  Enfin, Monsieur, pour trancher court, je suis venue vous prier d’écrire à mon mari, que s’il ne me retire au plus tôt d’ici, je m’en retirerai moi-même, qu’il prenne ses mesures là-dessus. Allons, Chevalier, allons.

 

            arlequin       L’extravagante créature! Mais quel est cet homme-là?

 

 

                                   SCENE II

 

                                   Octave, Arlequin.

 

            octave          Monsieur, vous êtes un homme illustre, au-dedans, je suis un homme illustre au-dehors. Vous faites le sage quand il vous plaît, et je ne fais le fou que quand je veux. Vous vous cachez, et l’on vous suit. Je m’expose en public. Et l’on ne me suit pas autant que je voudrais: enfin, Monsieur, vous êtes philosophe, et je suis comédien!

 

            arlequin       Ah, comédien? Je ne m’étonne plus s’il est gaillard. Eh bien, Monsieur, que cherche ici votre personne comique?

 

            octave          Eh, Monsieur, dès que je suis comédien, je cherche de l’argent, du plaisir et de la gloire.

 

            arlequin       Il n’y a guère ici de tout cela.

 

5          octave          Monsieur, nous ne faisons plus rien dans les grandes villes. Le public ne court plus après nous, nous avons songé dans notre compagnie que la nouveauté de voir des comédiens dans un désert nous ferait suivre par cette multitude qui ne s’étonnait pas de nous voir bien solitaires dans une ville.

 

            arlequin       Mais savez-vous que cela est bien pensé? Moi, qui ai souvent vu avec chagrin la comédie bien solitaire à Paris, je sens que je serais ravi de la voir bien fréquentée dans ce désert.

 

            octave          Cela ne peut pas manquer pour peu que vous soyez de la partie. Tous les grands hommes sont d’excellents comédiens, et on ne se distingue qu’à mesure qu’on joue mieux son personnage.

 

            arlequin       Eh comment! Ceci est rare. On disait que les gens de plaisir n’avaient bien de l’esprit que le verre à la main, et celui-ci raisonne de sang-froid.

 

            octave          Monsieur, je m’ouvre à vous. Les gens de ma profession ont besoin d’un peu de solitude pour se connaître. Nous faisons si souvent les princes et les rois, que nous sommes comme ces menteurs de profession, qui à force d’en imposer se trompent eux-mêmes, et prennent leurs impostures pour des vérités.

 

10        arlequin       Vous êtes riche dans vos comparaisons.

 

            octave          Je vous avoue donc, Monsieur, qu’en mon particulier, je ne saurais vivre dans une grande ville sans y faire le prince.

 

            arlequin       Ah, ah, ceci serait plaisant. Le Prince de Colombine serait-il prince du sang de ce souverain-ci? Mais elle vient.

 

 

                                   SCENE III

 

                                   Octave, Colombine, Arlequin.

 

            octave          Ciel! Qu’est-ce que je vois? Colombine en ce désert! Elle me surprend après que je me suis découvert.

 

            arlequin       Bonjour, la belle affligée. Venez, levez les yeux. Je vous présente ici un prince qui pourra vous donner des nouvelles de celui que vous cherchez.

 

            colombine    (S’évanouit) Ô Dieux! Octave...

 

            arlequin       Elle s’évanouit? Quoi entre mes bras? Adieu ma philosophie.

 

5          octave          Tout mon amour se rallume.

 

            arlequin       Que veut dire ceci? C’est tout de bon, je crois. Allons donc, réveillez-vous, voici votre Prince. Il n’y a pas de meilleur antidote que le retour d’un amant, pour ranimer une belle évanouie.

 

            octave          Souffrez, Monsieur...

 

            arlequin       Je ne souffre rien.

 

            octave          Mais, encore...

 

10        arlequin       Mais retirez-vous de là, vous dis-je.

 

                                   (Octave veut secourir Colombine, Arlequin l’en empêche et emmène Colombine, Octave reste fort embarrassé. Le Docteur vient, qui le reconnaît pour son fils. Octave feint de ne pas le connaître et s’échappe. Le Docteur le suit. Après cette scène; qui est toute en italien, Arlequin revient sur le théâtre)

 

 

                                   SCENE IV

 

                                   Arlequin, Pierrot.

 

            arlequin       (À part) Notre évanouie est enfin revenue; et je comprends bien qu’elle pourrait faire le bonheur de quelqu’un qui voudrait mieux que son Prince comique. Mais à qui en veut Pierrot?

 

            pierrot          Oh dame, en voilà bien d’un autre! Le coche de Paris veut vous voir, le ferai-je entrer?

 

            arlequin       Le coche de Paris?

 

            pierrot          Oui, le coche de Paris. C’est-à-dire, non pas celui de Paris, mais qui va à Paris; et ce n’est pas le coche qui prétend avoir l’honneur de vous parler, ce sont les gens qui sont dedans. Je m’entends bien, une fois.

 

5          arlequin       C’est fort bien fait. Mais quelles gens sont-ces?

 

            pierrot          Oh, il y en a de toutes les façons, des hommes, des femmes.

 

            arlequin       Des femmes?

 

            pierrot          Oui, des femmes. Il y en a de jeunes et de vieilles. Il y en a de pimpantes comme des poupées de palais, et d’autres qui ont l’air sainte nitouche. Il y a encore des abbés.[25]

 

            arlequin       Des abbés?

 

10        pierrot          Oh, pour ceux-là, ils m’ont bien fait rire. Il y avait un petit rougeau qui se plaignait de vapeurs, et un autre endêvait d’avoir perdu sa boîte à mouches.[26]

 

            arlequin       Et je demeurerais ici? Non, dussé-je... Mais non, fais les entrer; si la sagesse me fait suivre, sans doute l’impertinence me fera fuir. Reprenons nos aires d’homme du monde, faisons le fat et le ridicule.

 

 

                                   SCENE V

 

                                   Le vieillard, sa femme, Arlequin.

 

            vieillard       Eh bien, Monsieur, n’est-ce pas dommage, belle comme la voilà, à vingt ans, ne pouvoir avoir d’enfants?

 

            arlequin       Et de quel tempérament êtes-vous, la belle? Mélancolique, bilieuse?

 

            femme            (Riant) Mélancolique moi, mélancolique? Ah, ah!

 

            arlequin       Quel tempérament donc?

 

5          femme            Je n’en sais rien. Mais je suis fort alerte. Je danse, je chante, je bois le petit coup, je prends du tabac, et si j’avais un mari qui me fournit de l’argent et du plaisir autant que j’en voudrais, je ne m’inquiéterais jamais de rien.

 

            arlequin       (Au vieillard) Vous êtes son père, apparemment?

 

            vieillard       Non, Monsieur. Je n’ai l’honneur d’être père de personne. Je suis son mari.

 

            arlequin       Son mari? Et quel âge, de grâce?

 

10        vieillard       Soixante-dix-sept, au 19 avril.

 

            arlequin       Soixante-dix-sept? (à la femme) Et comment vous accommodez-vous de cela?

 

            femme            Moi? Le mieux du monde. Mon petit mari a vingt mille livres de rente, il m’en a déjà donné la moitié, et l’usufruit du tout si j’ai un enfant. Oh, je n’oublie rien pour empêcher notre bien de passer en des mains étrangères.

 

            vieillard       Quel malheur si je laissais mon bien à des cousins au huitième degré!

 

            arlequin       Ces cousins-là vous sont peut-être plus proches que les enfants de votre femme.

 

15        vieillard       Ils ont beau rire, nos cousins, ils ont beau rire; dans neuf mois je leur livre un héritier.

 

            arlequin       C’est parler bien positivement.

 

            vieillard       Oh, je sais la recette présentement.

 

            femme            On nous a appris le remède. Si nous l’avions su d’abord, vraiment, vraiment!

 

            arlequin       Vous avez été jusqu’à soixante-dix-sept ans, sans trouver le remède! Ma foi, le mal est incurable. Mais peut-on savoir quel est ce remède?

 

20        femme            Bon! Il n’y a point de femme qui ne s’en serve.

 

            arlequin       Pour cette cure-là, certaines femmes emploient des remèdes qui ne sont guère approuvés des maris.

 

            femme            Oh, c’est un remède innocent, celui-là.

 

            vieillard       Innocentissime. Les eaux de Forges...[27]

 

            arlequin       J’y suis.

 

25        vieillard       Croyez-vous bien qu’un gentilhomme de mes voisins n’avait pu avoir d’enfants en vingt-quatre ans de mariage?

 

            arlequin       Eh bien?

 

            femme            L’eau de Forges lui en a donné.

 

            arlequin       Entendons-nous. Sa femme a bu les eaux de Forges?

 

            vieillard       Oui.

 

            arlequin       Chez elle?

 

30        femme            Vraiment, cela n’opère que sur les lieux.

 

            arlequin       Son mari y fut avec elle?

 

            vieillard       Non. Il lui donna seulement son valet de chambre pour l’accompagner.

 

            arlequin       Fort bien. Remède innocentissime. Allez, bon homme, retournez-vous en chez vous si vous m’en croyez, et laissez là des eaux qui ne sont propres qu’à remettre la poitrine des actrices de l’opéra, et à pailler l’hydropisie de quelques filles de mauvais aloi.[28]

 

            femme            Mais, Monsieur...

 

35        arlequin       Adieu. Dénichez.

 

            vieillard       Cependant...

 

            arlequin       Que de raisons! Allons, à d’autres. Qu’est-ce que ces figures-là?

 

 

                                   SCENE VI

 

                                   Deux gasconnes (dont il y en a une chantante), Arlequin.

 

            gasconne                  (Chantante) Bargé se vou m’as un pau,

                                               Plaigni m’un pau, peccaïre,

                                               Jo ne souffrissi tant de mau,

                                               Qu’io ne sabi que faire,

                                               Se sets à ma plaço, jamay,

                                               Bargé cossi vous plaigneray.

 

            arlequin       En voilà d’un autre! Voyons où cela ira.

 

            ii gasconne   Ah Mossu caigno de vous veyre! Votre servente de bon cor.

 

            arlequin       (À part) Diable! Elle est servante des bons corps? Mademoiselle, j’en suis fort aise, mon corps se porte bien à votre service.

 

5          ii gasconne   Ah, mossu, vous souits plats aubligado, me fasets trop d’annou.

 

            arlequin       (À part) Elle est fatiguée de trop d’honneur? Que diable de gens sont- ce? Vraiment, Mademoiselle, on sait bien que les gens d’au-delà de la Loire se fatiguent aisément de trop d’honneur, mais je n’en croyais pas les femmes tout-à-fait si rebutées.

 

            ii gasconne   Mossu, à cos quiconque ravis, que d’entendre tout ce que disons de vous, peccaïre.

 

            arlequin       (La contrefaisant) Disons de vous, pécaïre. De moy on dit que je suis un pécheur? C’est selon, il y a telle femme pour qui je ne voudrais pas avoir fait la moindre petite faute. Mais pour des minois gascons comme le vôtre, on ne me trouvera jamais normand.

 

            ii gasconne   Ah, pécaïre! Que bous raisounats plat!

 

10        arlequin       Oh oui, fort bien, je raisonne au plat.

 

            ii gasconne   Ah, mossu, non disi pas accot.

 

            arlequin       Je ne paye pas mon écot? Qui vous a dit cela?

 

            ii gasconne   Cousino, cresi que se truffo.

 

            arlequin       Comment des truffes? Est-ce que vous m’en apportez? Où sont vos truffes, cousine? Allons donc. Mais vous reculez? Depuis quand les femmes de votre pays ont-elles appris à reculer?

 

15        gasconne                  (Chante) Aro que souits grandetto,

                                               Jo ne reculi plus,

                                               Ay connescut l’abus,

                                               Cal estre doucetto,

                                               Et per poudets charma

                                               Me cal aima.

 

            arlequin       Diable! C’est chanter cela! Et voilà une chanson que je trouverais fort jolie, si je l’entendais.

 

            ii gasconne   Es plats jantio, mossu, quello cançonetto. Ma fasés semblant de ne nou pas entendre.

 

            arlequin       Ah, Mademoiselle, les semblants sont plus de votre pays que du mien. Ce n’est pas qu’autrefois j’ai su un couplet de chanson, qui disait:

 

                                               Quand io eri pichotto,

                                               Boulios pas far l’amour;

                                               Dari que sois grandotto,

                                               Boudrias lo fa toujours. Flon flon, etc.

 

                                   Mais qu’allez-vous chercher toutes deux à Paris?

 

            ii gasconne   Fortuno, mossu, fortuno. Dison que les gens de noustre païs, la fason tant vite.

 

20        arlequin       Mais, fortune pour une femme, c’est un mari.

 

            ii gasconne   Ah, mossu, vous venez tout d’un saut à l’essentiel. Eh, donc?

 

            arlequin       Eh donc. C’est bien dit. Mais apprenez en votre patois, ce que vous trouverez où vous allez. (il chante sur un vaudeville)

 

                                               Fillettes qu’anas à Paris

                                               Per cercas amans et maris;

                                               Troubares prou fringaires, abé:

                                               Ma guère d’espousaires,

                                               Bou m’entendez bé.

 

            ii gasconne   Anen, cousino, anen, se truffo ma de nautres.

 

 

                                   SCENE VII

 

                                   Monsieur de Colafon, maître à danser, Arlequin.

 

                                   Monsieur de Colafon a une jambe de bois, deux fleurets sur les épaules, un livre de musique, et un violon

 

            m. de colaf.   Serviteur très humble, Monsieur.

 

            arlequin       Bonjour, bonjour.

 

            m. de colaf.   Avez-vous, Monsieur, besoin d’une petite leçon?

 

            arlequin       Avec tout cet équipage, vous m’avez l’air de montrer le plus court chemin de l’hôpital général.

 

5          m. de colaf.   Non, Monsieur, ce n’est pas cela.

 

            arlequin       Mais, que voulez-vous, et qui êtes-vous?

 

            m. de colaf.   Hélas, Monsieur, sans exagérer, je puis me vanter d’avoir couru la fortune au galop; mais à présent...

 

            arlequin       A présent je vous défie d’aller au pas.

 

            m. de colaf.   Si vous connaissez mon talent, mon habileté, ma souplesse...

 

10        arlequin       Et quelle est votre profession?

 

            m. de colaf.   J’étais maître à danser à l’Opéra de Lyon, mais comme l’Opéra est tombé...[29]

 

            arlequin       Il vous est tombé sur le corps, et vous voilà tout estropié?

 

            m. de colaf.   Comme l’Opéra est tombé, j’ai trouvé à propos de quitter la ville. Je n’avais pas beaucoup d’écoliers, car mon fort est dans la danse haute, je n’ai pas la patience, de montrer la danse basse.

 

            arlequin       Eh, qui diable aurait la patience d’apprendre de vous? On disait bien que la danse était mal à cheval, mais je ne la croyais pas si mal à pied.

 

15        m. de colaf.   Oh, Monsieur, j’ai renoncé à la danse.

 

            arlequin       C’est bien fait.

 

            m. de colaf.   Je me suis jeté dans le fleuret...

 

            arlequin       Tant pis, diable, tant pis!

 

            m. de colaf.   Bon! Je suis le premier homme du monde, pour escrimer. C’est moi qui ai eu l’honneur de mettre les armes à la main aux trois quarts de la petite gendarmerie de la rue Au-fer, et de la rue Saint-Denis.

 

20        arlequin       Tudieu! Quels écoliers!

 

            m. de colaf.   Vous allez voir ce que je sais faire. Allons, faites assaut contre moi.

                                   (le maître à danser présente un fleuret à Arlequin qui le refuse d’abord, et le prend enfin. Après avoir escrimé quelques moments, le maître à danser sort un pistolet, et fait rendre la bourse à Arlequin, et s’en va en disant) Voilà une de mes bottes franches.

 

            arlequin       Au voleur, au voleur! Mais voici peut-être quelqu’un de ses camarades. Taisons-nous, de peur qu’il ne nous en coûte la vie.

 

 

                                   SCENE VIII

 

                                   Arlequin, Madame de l’Architrave.

 

                                   Madame de l’Architrave accompagnée de plusieurs maçons avec leurs outils, salue Arlequin.

 

            arlequin       Hé bien, Madame, qu’est-ce? Qu’y a-t-il? Quoi de plus? De quoi est-il question? Que demandez-vous? Et que veulent tous ces visages de plâtre? Venez-vous me montrer quelque autre botte franche?

 

            m. de l’arch.  Monsieur, je suis une fabricatrice de niches humaines, un antidote contre les injures du temps, un répertoire de la commodité des saisons, un alambic des aises; de la vie; architecte à votre service, commandant pour l’honneur de vos commandements, une escouade de Limousins.

 

            arlequin       Eh bien, Madame, du répertoire, de l’alambic, et de l’escouade limousine, de quoi est-il question?

 

            m. de l’arch.  D’une petite affaire de rien touchant notre métier; de bâtir une ville.

 

5          arlequin       Une ville? Il n’y en a déjà que trop. Quand les hommes logeaient dans le bois, ils étaient humains, et ne se mangeaient pas les uns les autres. Le séjour des villes les a gâtés, les a rendus féroces, et plus ours et plus tigres que les ours et les tigres qu’ils ont laissés dans les forêts.

 

            m. de l’arch.  Oh, cela est vrai; et cependant nombre de gens qui veulent profiter de votre philosophie, viendront s’établir ici, et vivre avec vous sous vos lois.

 

            arlequin       Une ville?

 

            m. de l’arch.  Sans doute, une ville pour les mécontents; elle sera peuplée dans un instant. Vous aurez d’abord tous ces importants d’office, qui se plaignent éternellement que la Cour, qui ne les connaît pas, ne fait rien pour eux. Ces mères coquettes désespérées du mauvais goût des hommes, qui les quittent pour leurs filles. Ces grisettes de conséquence, qui croient que les privautés d’un duc ou d’un marquis, leur ont acquis des droits incontestables sur le carrosse et le nombre de laquais. Ces gens de lettres pestant éternellement contre l’injustice de la fortune, et la dureté du siècle, et surtout ce nombre presque infini d’auteurs altérés, dont tous les théâtres regorgent.[30]

 

            arlequin       Voilà une architecte qui a du bon. Vous êtes de belle humeur, Madame?

 

10        m. de l’arch.  Pour vous servir, Monsieur. L’air joyeux, est la première partie d’un architecte. Si nos bâtiments ne sont riants, je n’en donnerais pas une nèfle. La joie, la joie, partout! Il faut de l’air dans les maisons, la vue libre, l’abord aisé, l’aspect gracieux, les avenues faciles, les faux-fuyants commodes, et les sorties borgnes et à discrétion.

 

            arlequin       Voici une femme rare! Vous êtes donc bien employée, Madame?

 

            m. de l’arch.  Oui! Mais je n’aime à travailler que pour de jeunes veuves, et pour des gens d’affaires; ce sont là les gens de bon goût, il faut primer avec eux. Ils ont plus d’invention et de goût pour placer une chaise percée, que les autres pour arranger un cabinet.

 

            arlequin       Les abbés ne sont-ils pas de ce nombre? Vous les oubliez?

 

            m. de l’arch.  Oh, point, ce sont des goûts différents. Les abbés appuient sur la cuisine, sur la cave, et les fausses portes des ruelles.

 

15        arlequin       Vous avez raison, diable! Cette femme l’entend! Est-ce vous qui avez inventé de mettre toutes les fenêtres en portes, surtout du côté des jardins?

 

            m. de l’arch.  Je n’ai pas trouvé cette invention, mais je l’ai perfectionnée! Vous allez voir ici de quoi je suis capable.

 

            arlequin       Je vois bien qu’il faut s’y résoudre, il faut bien loger tant de gens qui viennent ici. Car de quoi est-il question? Je vous avertis par avance que je veux une ville, qui ne ressemble en rien à Paris, où l’on ne paye point de boues ni de lanterne, et dont les rues ne servent que pour les chevaux, les mulets, les crocheteurs, et les autres bêtes de voiture.

 

            m. de l’arch.  Je suis votre fait. Voici comme je m’y prendrai. Je ferai qu’il y aura partout des balcons publics qui régneront sans interruption de maison en maison, et qui feront un saut par-dessus les rues qu’ils traversent; les lumières qui éclairent les chambres éclaireront les balcons; toutes les fenêtres seront des portes pour la commodité du public, et après cela ce sera la faute des particuliers s’ils ne se rendent pas visite.

 

            arlequin       Oui, mais cette commodité me paraît trop commode. L’occasion fait le larron. Ces balcons et ces fenêtres de communication sont cause que l’on communique plus qu’il ne faut. Tenez, depuis que vous avez inventé à Paris et à la campagne, ces larges gouttières en forme de corridor autour des mansardes, les jolies femmes ne logent plus qu’au grenier, et les hommes comme des chats passent la nuit sur les gouttières.

 

20        m. de l’arch.  Oh, Monsieur, c’est un abus que de s’abuser sur cela, les chats suivront toujours les chattes, et les femmes trouveront toujours des matous qui les suivront.

 

            arlequin       Je pense qu’elle a raison, c’est un mal sans remède. Mais revenons à notre ville.

 

            m. de l’arch.  Nous pourrons fort bien la bâtir sur cette rivière qui est ici près: cela sera fort bien commode.

 

            arlequin       Peste! Gardez-vous en bien. Une rivière? Et nous y verrions dans rien établir des moulins de javelles, des charentons, des ports à l’anglaise, des îles... Enfin je ne veux point de rivière.

 

            m. de l’arch.  Soit, soit, je suis accommodante. Il faudra donc la bâtir ici, et ce grand espace nous servira pour faire un beau jardin public, précédé d’une grande avenue d’arbres.

 

25        arlequin       Eh oui, oui, un jardin! Voilà-t-il pas Paris tout revenu! Je ne veux ni Cours ni Tuileries, entendez-vous, parce que je veux bannir de notre ville la coquetterie et la médisance.

 

            m. de l’arch.  J’ai tout prévu, je m’en vais commander mon escouade et placer mon monde dans les postes convenables. (Madame de l’Architrave se retire, et en même temps tous les maçons qui l’accompagnaient bâtissent en dansant, un magnifique palais)

 

            arlequin       Diantre! C’est bâtir bien gaiement! Mais pour qui destinez-vous cette habitation superbe?

 

            maçon            Superbe, Monsieur? Bon! C’est la maison de campagne d’une fille de l’Opéra. Ce n’est rien que cela; si vous voyiez comme elle est meublée!

 

            arlequin       Est-ce que vos maisons se meublent à mesure qu’on les bâtit?

 

30        maçon            Elles sont faites, meublées, et occupées tout à la fois. Tenez, voilà l’opératrice en question, sans doute elle veut répéter quelque chose.

                                   (La chanteuse sort du palais, avance sur le théâtre, et chante)

 

                                               Miei spirti amorosi,

                                               Brillatem’in sen:

                                               Amor vuol ch’io posi

                                               In braccio al mio ben,

                                               Miei spirti, etc.[31]

 

            arlequin       Mais voilà qui est étonnant! Je n’aurais jamais cru une fille d’Opéra si magnifiquement logée.

 

            maçon            Il y a quinze jours qu’elle occupait un grenier, et il n’est pas bien décidé si elle ne retournera pas à son premier gîte. En un mot, si vous voulez voir les fortunes de théâtre, les voilà. Un moment les élève, un moment les détruit. (tout le palais se détruit)

 

 

 

                                   ACTE III

 

 

                                    SCENE I

 

                                    Arlequin, Colombine.

 

            arlequin       Je ne fais pas l’amour, Madame, en jeune sot

                                   Et je ne sais pas longtemps tourner autour du pot,

                                   Je vais d’abord au fait. Je vous aime, ma reine,

                                   Vos yeux comme un forçat me tiennent à la chaîne;

                                   Mais sans perdre le temps en fades compliments,

                                   Songez que les déserts sont faits pour les amants,

                                   Profitons-en.

 

            colombine                            Jamais d’une si brusque flamme

                                    Le pétulant aveu ne touchera mon âme;

                                   Mais hélas! Suis-je encore maîtresse de mon cœur?

                                   Vous le savez, Octave...

 

            arlequin                                                      Oh ma foi, serviteur,

                                   Pour donner là-dedans je sais trop bien l’usage;

                                   Ma mignonne, il n’est plus de novice à votre âge:

                                   À dix-huit ans passés quand on a de l’esprit,

                                   Le changement d’amant réveille l’appétit.

                                   Du lieu d’où vous venez oubliez-vous la mode?

                                   Voulez-vous des romans pratiquer la méthode?

                                   À lorgner dans un bois croyez-vous m’obliger?

                                   En Céladon moderne allez-vous m’ériger?

                                   Un héros de Cyrus sans crainte de faiblesse,

                                   Pouvait impunément enlever sa maîtresse,

                                   Avec lui sans façon la belle s’embarquait,

                                   Il ne lui baisait pas le petit bout du doigt.

                                   Ces braves chevaliers par combats et prouesses,

                                   Envers et contre tous défendaient leurs princesses;

                                   Mais tout bien compassés, ces valeureux nigauds

                                   N’étaient de leur honneur que les custodicos.

                                   Comme ce temps n’est plus, un autre a pris sa place,

                                   Les choses aujourd’hui se font de bonne grâce,

                                   Et dès qu’en pareil cas l’amant sait demander,

                                   De son côté la belle est prête d’accorder.

                                   Vous connaissez l’amour, je le connais de même,

                                   Nous sommes seuls ici, Madame, et je vous aime.[32]

 

            colombine    L’ai-je bien entendu? Quelle surprise, ô Dieu!

                                   Que me proposez-vous? Ah trop funestes lieux!

                                   À de pareils propos me serais-je attendue?

                                   Seigneur, rendez le calme à mon âme éperdue.

                                   Voulez-vous tout de bon... Non c’est pour m’éprouver.

 

5          arlequin       Madame, en mes panneaux je n’irai pas crever.

                                   Quel sot!

 

            colombine                            Ah, Seigneur, vous êtes philosophe?

 

            arlequin       Bon bon! Nous sommes tous faits de la même étoffe;

                                   Et philosophe, ou non, Madame, il est écrit

                                   Que l’on a de l’amour, quand on a de l’esprit.

                                    Cet esprit voit en vous de quoi me satisfaire,

                                   Vos petites façons ont le secret de plaire,

                                   Et le sort me donnant femme et lieux à mon choix,

                                   Je crois qu’il ne faut pas que j’en fasse à deux fois.

 

            colombine    Vous ne rougissez pas d’avoir tant de faiblesse,

                                   Vous que l’on voit prêcher une austère sagesse?

                                   Vous qui vous gendarmez sur les défauts d’autrui?

 

            arlequin       C’est là le grand talent du sage d’aujourd’hui,

                                   Loup-garou, fier, hargneux, farouche, impraticable,

                                   Sur les moindres défauts toujours inexorable,

                                   Regardant les plaisirs d’un œil indifférent,

                                   Voilà comme il se montre au vulgaire ignorant.

                                   Mais quand se dérobant aux yeux de tout le monde

                                   En un réduit rustique il peut mener sa blonde,

                                   Qu’il sait bien au milieu des plaisirs les plus doux,

                                   Epuiser de l’amour les plus exquis ragoûts!

                                   Tout cela ne nuit pas à l’austère sagesse,

                                   Et la vertu ne gît qu’à cacher sa faiblesse,

                                   Ne vous entêtez point d’un chimérique honneur,

                                   Croyez-moi.

 

10        colombine                            Je ne puis en revenir, Seigneur.

                                   Quoi vous, qui détestant tous les mauvais usages;

                                   Cherchez de la vertu dans ces antres sauvages,

                                   Qui voyez en pitié le reste des humains,

                                   Osez faire éclater de criminels desseins?

                                   Mais quand il serait vrai que votre âme enflammée,

                                   De mes faibles attraits se sentirait charmée,

                                   Faut-il presser les gens, faut-il brusquer les cœurs?

                                   Si vous avez pour moi de sincères ardeurs,

                                   D’un air moins violent faites-le moi paraître.

 

            arlequin       La mode est aujourd’hui d’aimer en petit-maître,

                                   C’est le goût général, Madame, et les abbés

                                   Même avant les robins y sont enfin tombés.

                                   Tous nos hommes ont l’art d’attaquer et de prendre.

                                   Mais nos femmes n’ont pas celui de se défendre.[33]

 

            colombine    Mais nous voyons pourtant de graves magistrats.

                                   Des abbés réservés...

 

            arlequin                                           Ne vous y fiez pas,

                                   Tel qu’on voit en public faire le bon apôtre,

                                   Sous deux doigts de verrouil, est homme comme un autre,

                                   La différence enfin du rabat au plumet,

                                   Se réduit à ceci: l’un dit plus qu’il ne fait,

                                   L’autre en ses actions tout rempli de mystère,

                                   Sait chercher son plaisir, en jouir et se taire.

                                   Mais qui vient nous troubler en ce doux entretien?

                                   Examinons si c’est ou quelque chose, ou rien.

                                   Vous fuyez mes transports, en amante discrète?

                                   Allez, j’irai bientôt être leur interprète.[34]

 

 

                                   SCENE II

 

                                   Arlequin, Monsieur de la Cabriole (maître à danser), Monsieur de Geresol (maître à chanter) (ils font plusieurs révérences).

 

            arlequin       Quelle révérence! Encore... Ouf. Je n’y saurais durer.

 

            m. de geres.   Je ne sais, Monsieur, si vous nous connaissez.

 

            arlequin       Non, et je n’en ai même aucune envie.

 

            m. de geres.   Nous venons vous assurer de nos respects.

 

5          m. de la cab.  Nous n’avons pas voulu manquer cette occasion de vous faire la révérence.

 

            arlequin       En voilà plus de quinze de faites.

 

            m. de geres.   Vous voyez, Monsieur, dans Monsieur de la Cabriole, les meilleurs pieds et la plus belle jambe du monde. C’est le héros des chaconnes et des rigodons.[35]

 

            m. de la cab.  Monsieur de Geresol est de mes amis, il me flatte; mais il parlerait plus sincèrement, s’il vous disait qu’il est le Lulli de quatre-vingt-seize.[36]

 

            arlequin       À vous la balle, Monsieur.

 

10        m. de geres.   Monsieur de la Cabriole est le coryphée des danseurs.

 

            m. de la cab.  Monsieur de Geresol est la fleur, et le crème des musiciens.

 

            arlequin       Eh bien, Monsieur le Coryphée, et vous Monsieur la Crème, que voulez-vous?

 

            m. de geres.   Vous faire une proposition que vous ne pouvez refuser.

 

            m. de la cab.  Vous donner des moyens assurés de joindre l’agréable à l’utile.

 

15        arlequin       Promesses de musicien!

 

            m. de geres.   Dites un mot, et nous vous faisons trente mille livres de rente.

 

            m. de la cab.  Vous vous enrichirez sans appauvrir personne.

 

            arlequin       Ce n’est guère la manière de ce temps-ci. Mais enfin?

 

            m. de la cab.  Mais enfin, si vous voulez nous croire, vous ferez dans votre nouvelle ville, une académie de danse et de musique.

 

20        m. de geres.   Il n’y a pas de divertissement plus agréable au public, ni plus utile aux particuliers.

 

            arlequin       Il est vrai que personne ne se plaint de l’Opéra, et que tout le monde y trouve son compte.

 

            m. de la cab.  Son compte! Et sans l’Opéra que deviendraient les bons airs, les pieds bien tournés, les visages plâtrés, et les jolis gosiers?

 

            arlequin       Il est vrai. Sans l’Opéra comment subsisteraient tant d’honnêtes fainéants? Que deviendraient tant de beautés, qui tirent tout leur mérite de l’orchestre?

 

            m. de la cab.  L’Opéra est un trésor inépuisable dont on ne voit jamais le fond.

 

25        m. de geres.   C’est un abîme, un labyrinthe de ressources qu’on ne connaît qu’à mesure qu’on les creuse.

 

            m. de la cab.  Tout y rapporte son revenu jusqu’aux rides d’une coquette surannée.

 

            m. de geres.   C’est une terre où on sème des sons et des gambades pour recueillir des pistolets.

 

            arlequin       Mais encore, sur quoi assignez-vous les trente mille livres de rente que vous avez proposées?

 

            m. de la cab.  Sur la souplesse de mon jarret. (il saute)

 

30        m. de geres.   Sur la douceur de mon gosier. (il fredonne)

 

            m. de la cab.  Sur la fraîcheur d’Oriane.[37]

 

            m. de geres.   Sur les petites façons de Corisande.[38]

 

            m. de la cab.  Sur les minauderies des chanteuses.

 

            m. de geres.   Sur le blanc et le rouge des danseuses.

 

            arlequin       Sur les brouillards de la rivière de Seine, et sur la constance de l’amour. Je ne vois point mes sûretés là-dedans, et il me semble qu’une chaconne, et une sarabande ne sont pas des marchandises de bon débit.

 

35        m. de la cab.  Eh, morbleu, si vous êtes si délicat, tant pis pour vous; mais sachez qu’aujourd’hui dans le commerce, les meilleures lettres de change sont celles qu’on tire sur l’Opéra.

 

            m. de geres.   Et qu’un créancier remet toujours le tiers de la dette, pour une rescription sur la caisse de l’Académie Royale de Danse et de Musique.

 

            arlequin       Je le crois. Mais je ne suis point tenté; je ne veux dans la ville que je bâtis, ni musiciens, ni danseurs, il n’y aura que des gens sobres.

 

            m. de la cab.  Ma foi, Monsieur le petit fondateur, nous y perdrons beaucoup! La menace est terrible, mais l’Opéra de Lyon nous tend les bras.

 

            m. de geres.   Et en tout cas, il ne tiendra qu’à nous d’assister au rétablissement de celui de Rouen.

 

40        arlequin       À la bonne heure.

 

            m. de la cab.  Pour votre petite bicoque, tout y sera de travers; et puisque vous en excluez les maîtres à danser, jamais rien n’y sera sur le bon pied.

 

            arlequin       Soit.

 

            m. de geres.   Que les habitants de cette ville ne puissent jamais ouvrir la bouche sans détonner.[39]

 

            m. de la cab.  Que, quand ils voudront danser la courante, ils dansent le rigodon.[40]

 

45        m. de geres.   Qu’ils chantent par bécarre les airs de bémol.

 

            m. de la cab.  (En s’en allant) En un mot, qu’ils soient impolis, mal-faits, et sans goût, comme des gens qui méprisent la danse et la musique.

 

            m. de geres.   (En s’en allant) Que les femmes y aient des maris jaloux, et soupirent inutilement après un maître à chanter, pour rendre leurs billets.

 

            arlequin       Quelles imprécations! Mais voici mon architecte.

 

 

                                   SCENE III

 

                                   Madame de l’Architrave, Arlequin.

 

            m. de l’arch.  Ma foi, Monsieur, voilà qui ne va point mal, j’ai mis bien des gens en besogne, la ville s’avance, et nos ouvriers travaillent comme il faut.

 

            arlequin       Comment, travaillent? À peine avez-vous eu le temps de faire le plan de ce que vous avez à bâtir?

 

            m. de l’arch.  Bon! Vous me prenez donc pour un architecte d’eau douce? J’ai déjà fait mettre des écriteaux pour attirer des acheteurs et des locataires.[41]

 

            arlequin       Elle est folle? Quoi, des maisons qui ne sont pas encore faites...

 

5          m. de l’arch.  Vous voilà bien nouveau! Et ne savez-vous pas qu’il est à présent du bel usage de vendre les maisons dix ans avant d’en jeter les premiers fondements?

 

            arlequin       D’accord. Mais il faut...

 

            m. de l’arch.  Et, que diriez-vous donc, si je vous montrais à présent les troisièmes étages tout faits?

 

            arlequin       Je dirais, je dirais... Morbleu, je ne dirais rien, et je dis que vous êtes une extravagante.

 

            m. de l’arch.  Mais sérieusement je vous dis, que c’est là ma manière, je commence toujours par le haut, on travaille ensuite au reste.

 

10        arlequin       La folle!

 

            m. de l’arch.  Chacun a son humeur, les uns bâtissent sur la terre, d’autres sur la mer: pour moi l’air est mon élément; je bâtis toujours en l’air. Mais parlons d’autre chose. Ces trois filles, ou soi-disant telles, qui ont deux doigts de plâtre sur le nez, et qui sont arrivées avec un vieux commandeur dans un carrosse, dont les chevaux semblaient prêts à rendre l’âme...

 

            arlequin       Eh bien?

 

            m. de l’arch.  Eh bien, elles disent qu’elles s’accommoderont du troisième étage de la maison qui fera le coin auprès du marché, à condition que vous leur ferez faire une allée à part, et une porte de derrière sur la petite rue.

 

            arlequin       Les allées à part, et les portes de derrière sont merveilleuses, pour donner de l’air à l’honneur d’une femme. Mais gare le serein.[42]

 

15        m. de l’arch.  C’est de l’argent comptant, elles payeront le premier quartier d’avance.

 

            arlequin       Elles feront bien. Tout le monde n’est pas en humeur de se payer par ses mains comme leur dernier hôte.

 

            m. de l’arch.  Il est encore venu un procureur qui prendra la maison la plus élevée de la grande rue: mais il lui faut cinq pièces parquetées au premier étage. C’est pour loger sa femme.

 

            arlequin       Un procureur? Je ne veux point de cette vermine dans l’enceinte des murs. Aux faubourgs, aux faubourgs.

 

            m. de l’arch.  Ah, Monsieur, gardez-vous en bien; il ferait payer à ses parties ce qu’il lui en coûterait pour se faire voiturer au palais. Nous ne sommes pas dans un temps où le procureurs puissent aller à pied.

 

20        arlequin       Madame de l’Architrave?

 

            m. de l’arch.  Monsieur?

 

            arlequin       Avez-vous fait le plan de petites maisons?[43]

 

            m. de l’arch.  De petites maisons? Et vous ne voulez, dites-vous, que des gens raisonnables.

 

            arlequin       Il me faut de petites maisons, vous dis-je. Mais je les voudrais petites, petites.

 

25        m. de l’arch.  Eh pourquoi si petites, dès qu’il vous en faut?

 

            arlequin       C’est que j’y veux enfermer les gens raisonnables, de peur que le commerce des autres ne les gâte. Vous voyez qu’il ne faut pas pour cela grand espace.

 

            m. de l’arch.  À propos, que voulez-vous faire de ce grand hôpital d’incurables?

 

            arlequin       Diable, faites-le grand. Je le destine pour loger les marchands qui vendent à crédit aux gens de cour, les vieilles qui épousent de jeunes gens: s’il y avait place, j’y logerais aussi les amants contemplatifs et les filles qui s’embarquent sur la parole des épouseurs.

 

            m. de l’arch.  On y travaille déjà, il sera au coin de la grande place vis-à-vis l’horloge.

 

30        arlequin       Comment l’horloge? Je ne veux dans ma ville ni horloge ni cadran.

 

            m. de l’arch.  Point d’horloge?

 

            arlequin       Non, sans doute, je veux qu’on fasse toutes choses selon l’occasion, et l’opportunité, et qu’on ne se règle pas sur un coup de marteau. D’ailleurs, les femmes des gens de robe n’entendant pas sonner les heures, ne se précautionneront pas contre l’arrivée du mari, qui trouvera au retour du palais les galants à la toilette de sa femme.

 

            m. de l’arch.  Quelle malice!

 

            arlequin       Et les écornifleurs n’entendant jamais sonner midi, ne se précautionneront pas pour dîner en ville.

 

35        m. de l’arch.  Oh, pour cela, précaution inutile, je vous garantis les parasites suffisamment avertis par l’acide de leur estomac, et assez réveillés par l’odeur des viandes. Mais qui est cet homme qui vient? Ne serait-ce point quelque futur habitant?

 

            arlequin       Nous allons voir.

 

            m. de l’arch.  Pour moi je vais donner ordre à tout, afin que les choses s’avancent.

 

 

                                   SCENE IV

 

                                   Le libraire, Arlequin.

 

            libraire         Vous voyez, Monsieur, un homme qui, si la fortune lui en avait dit, se serait tenu en carrosse aussi bien qu’un autre. Je n’ai jamais manqué de cœur, Dieu merci, et j’ai bien autant d’ambition qu’aucun libraire de Paris.[44]

 

            arlequin       Ce n’est pas peu.

 

            libraire         Quand à moi, je crus en m’établissant, qu’une belle femme était le premier ornement d’une bibliothèque, et qu’un joli minois faisait plus d’effet derrière un comptoir, que cent in folio sur des tablettes.[45]

 

            arlequin       Il y a du vrai à cela, au moins; et je connais plus d’un marchand dont l’étalage vaut mieux que le fonds.

 

5          libraire         Je choisis pour épouse une jeune personne, belle, bien faite, de bon air, et par dessus cela, bel esprit, et bel esprit juré.[46]

 

            arlequin       Ce dernier point n’est pas tout à fait décisif pour la paix du ménage, et pour la douceur du commerce. Mais enfin, votre moitié vous attirait-elle bien des chalands?[47]

 

            libraire         Mon heureuse boutique ne désemplissait point: à quelque heure qu’on y vînt, ou y trouvait gens d’épée, de robe, de finance, abbés, et surtout grand nombre de provinciaux.

 

            arlequin       Tous ces gens-là attirés bien plus par les agréments du tendron que par l’envie d’acheter des livres?

 

            libraire         C’est ce que je n’ai jamais bien pu décider; car quoi qu’ils parussent fort empressés auprès de ma femme, et qu’il n’y en eût pas un, qui par-ci par-là, ne lui décochât quelque fleurette; ils ne laissaient pas d’acheter fort cher les bagatelles que me fournissaient trois grands diseurs de rien, et un auteur femelle, dont la plume avait encore plus de rapidité que la langue.

 

10        arlequin       Je ne m’étonne pas si elle a fait tant de volumes.

 

            libraire         C’était une aimable femme. Elle faisait un livre en une nuit.

 

            arlequin       Les jolies femmes de ce temps-ci, n’emploient pas si mal les leurs. Mais comment en usait la vôtre?

 

            libraire         Le mieux du monde, et je n’ai jamais vu personne se plaindre d’elle.

 

            arlequin       Femme si accommodante accommode pour l’ordinaire un mari de toutes pièces.

 

15        libraire         Oh, pour moi j’ai cela de bon, je ne suis point sujet au mal de tête. Il est vrai que quelques contrôleurs de profession remarquaient que de mes enfants aucun ne me ressemblait, et qu’ils avaient de l’air, l’un d’un colonel, l’autre d’un jeune magistrat, à qui j’ai dressé une bibliothèque de romans.

 

            arlequin       C’est-à-dire qu’il en était de vos enfants comme de ces livres dont l’épître dédicatoire est sous votre nom? Vous faisiez les honneurs de l’ouvrage d’autrui.

 

            libraire         Ma foi, si on regardait de si près, on trouverait autant de plagiaires dans les familles que dans la république des lettres. Heureux qui sait s’accommoder de sa femme! Je me trouvais fort bien de la mienne; et tant qu’elle a été jeune et jolie, j’ai triomphé. Mais à présent qu’elle n’est que jolie sans être jeune...

 

            arlequin       Vous n’avez plus cette affluence dans votre boutique?

 

            libraire         Pardonnez-moi, j’ai encore assez de gens chez moi. Mais, Monsieur, ma femme a plus de quarante ans.

 

20        arlequin       Ainsi ils n’y viennent que pour la conversation?

 

            libraire         Justement. Ils ont fait de ma boutique une académie de beaux esprits, où ma femme régente parmi les historiens, les poètes, et les diseurs de bons mots.

 

            arlequin       Il faut bien de ces gens-là pour échauffer une cuisine.

 

            libraire         Que voulez-vous, j’ai dupé le public, et le public m’a dupé; chacun à son tour... Je lui troquais d’abord des bagatelles pour de bon argent, il les prenait avidement; je crus qu’il se laisserait tromper plus longtemps, et me donnerait celui de faire une fortune complète.

 

            arlequin       Le public est un compère capricieux dont il faut brusquer le goût: pendant qu’il vous en disait que n’en profitiez-vous mieux?

 

25        libraire         Si je puis revenir sur l’eau, que je profiterai de vos avis! Plus de romans, ni d’historiettes, j’y renonce... De bons livres de maximes et de caractères. Ce sont ceux-là dont on voit en quatre mois doubler le prix, et multiplier les éditions. Voilà ce qui fait rouler un libraire en carrosse.

 

            arlequin       Cela n’est pas tout-à-fait sûr, le goût change là-dessus; et on se replonge dans la bagatelle. Ainsi, si vous voulez avoir de l’argent du public, il faut l’endormir par des contes de fées, et le réveiller par des rapsodies, ou l’amuser par de petits jeux, comme le gage-touché, cache-mitoulas, et colin-maillard. Voilà des titres cela![48]

 

            libraire         Ah, Monsieur, si vous me permettez de m’établir dans votre ville, voilà les livres par où je débuterai. Le Gage-touché! Quel effet dans une affiche!

 

            arlequin       Fort bien, nous penserons à cela une autre fois; laissez-moi un moment en repos.

 

            libraire         Je vais en écrire à ma femme. Qu’elle sera aise de venir débiter ici ses romans en style coupé! Pour peu que vous y donniez la main, notre fortune est faite.

 

30        arlequin       Adieu, bonsoir, et bonne nuit.

 

            libraire         (en s’en allant) L’heureuse rencontre! L’heureuse rencontre!

 

 

                                   SCENE V

 

                                   Un peintre, Arlequin.

 

            peintre          Comme tout ce qu’il y a d’illustres dans le monde, semble s’être donné rendez-vous pour venir peupler votre nouvelle ville où vous ne voulez rien de commun, agréez que je vous présente un homme en sa manière des plus extraordinaires qui se fassent.

 

            arlequin       Où est-il?

 

            peintre          Le voilà.

 

            arlequin       Je le crois. Mais qui êtes-vous?

 

5          peintre          Monsieur, je suis un original sans copie, un poète muet, un imposteur de bonne foi, un beau morceau moderne qui ne deviendra que trop antique avec le temps.

 

            arlequin       Et avec tout cela, vous êtes gueux comme un peintre?

 

            peintre          Il est vrai qu’un peintre ne va pas si tôt en carrosse qu’un caissier; mais enfin, on ne laisse pas de se tirer d’intrigue; et depuis que les gens d’affaires se sont jetés dans le goût des tableaux, notre profession est un peu réconciliée avec la fortune. D’ailleurs, j’ai un talent merveilleux pour le portrait.

 

            arlequin       Et attrapez-vous bien l’air des gens? Faites-vous ressembler?

 

            peintre          À merveille... J’attrape cela... Le tour du visage, le feu des yeux, le coloris du teint... Il n’y a pas un de mes portraits qui ne ressemble parfaitement.

 

10        arlequin       Et avec ce beau talent, peignez-vous bien des femmes?

 

            peintre          Oui, dea.

 

            arlequin       Vous peignez des femmes, et vous faites ressembler? Poursuivez, mon ami, poursuivez, vous êtes dans le grand chemin de l’hôpital. Un bon peintre de femmes doit être un imposteur de profession.

 

            peintre          Cela est vrai. Il y a quelque temps qu’une vieille marquise me pria de faire son portrait, je fus assez sot pour me piquer de sincérité, je la peignis comme deux gouttes d’eau.

 

            arlequin       Eh bien?

 

15        peintre          Elle ne se vit pas plutôt comme la nature l’avait faite, qu’elle voulut me faire jeter par les fenêtres, disant que je la rendais hideuse. À huit jours de là, je lui portai un portrait que j’avais fait d’une jolie petite personne de dix-huit ans. Je lui dis que c’était le sien que j’avais raccommodé, elle me fit donner cinquante pistolets, et publie partout, que je suis le premier homme du monde.

 

            arlequin       Bon! Si l’on peignait les gens tels qu’ils sont, ils se feraient peur les uns aux autres.

 

            peintre          À vous parler naturellement, mon grand gain n’est pas de faire des portraits.

 

            arlequin       À quoi donc gagnez-vous davantage?

 

            peintre          À retoucher les anciens originaux.

 

20        arlequin       Quoi, vous vous mêlez de barbouiller ce qui nous reste de l’antiquité?

 

            peintre          Vous ne m’entendez pas. Je dis que je travaille sur les vieux originaux naturels.

 

            arlequin       Encore moins.

 

            peintre          N’avez-vous jamais vu un visage sur lequel les années ou la petite vérole ont sillonné des trous, où les amours à coup sûr ne jouent plus à la fossette... Tac... Tac... Je vous remplis cela, et rétablis à une face sexagénaire un embonpoint de dix-huit ans.

 

            arlequin       Ah, vous êtes fort intelligible à présent.

 

25        peintre          Je répands sur des joues décrépites un incarnat... Oh, ma foi, cinq ou six coups de pinceau touchés à propos, donnent un terrible soufflet à l’extrait baptistaire le mieux collationné.

 

            arlequin       La malepeste! Vous devez être à votre aise avec un si beau talent. Mais ne s’aperçoit-on pas que ce n’est que de la peinture?

 

            peintre          Bon! Si vous aviez vu une paire de sourcils que j’ai livré il y a huit jours à une vieille présidente, vous y seriez trompé vous-même. Son mari ne s’en aperçut qu’en y regardant avec ses lunettes.

 

            arlequin       Monsieur le peintre, ne pourriez-vous pas me montrer quelque chose de votre façon?

 

            peintre          Volontiers. J’ai une pièce curieuse... Holà, ho, apportez ce tableau. (on apporte un tableau qui représente un abbé avec un habit brodé, et une cravate en Steinkerque) Voyez cela. Est-ce bien peint? Tenez, pour qui prendriez-vous cet homme-là?[49]

 

30        arlequin       Pour un colonel, s’il avait une épée.

 

            peintre          Bon? C’est un abbé qui a voulu se faire peindre dans cet habit-là. C’est son habit d’occasion, et celui-là même dans lequel il fut ces jours passés volé, et battu, en faisant porter son souper en ville. Mais ce serait bien pis si vous le voyiez à sa toilette.

 

            arlequin       Comment donc?

 

            peintre          Il a voulu que je le peignisse en déshabillé. Voulez-vous le voir?

 

            arlequin       Est-ce que vous l’avez-là?

 

35        peintre          Et n’ai-je pas le secret de changer ce tableau comme il me plaît? Voyez, voyez. (le tableau change, et l’abbé paraît devant une toilette pleine de carrés, de pots de pommade, et de rouge)[50]

 

            arlequin       Oh parbleu, Monsieur le peintre, vous vous moquez de moi. C’est une femme.

 

            peintre          Oui vraiment une femme! Les femmes de ce temps-ci y sont bien plus cavalièrement. Tenez, voilà une toilette de femme. (le tableau change. Une femme paraît devant une table pleine de bouteilles de ratafia. Elle a une pipe à la bouche et un verre à la main)

 

            arlequin       Oh, pour celui-là, je ne m’y attendais pas.

 

            peintre          Voulez-vous voir votre portrait en petit? J’ai tous les gens illustres. Voyez. Cela vous ressemble-t-il? (on voit un petit Arlequin dans le tableau qui salue, descend, danse et s’en va)

 

 

                                   SCENE VI

 

                                   Octave, Scaramouche, Colombine (cachée).

 

            colombine    Voilà l’homme que j’ai vu tantôt avec mon prince, cachons-nous, et écoutons ce qu’il dit.

 

            scaramou.     Ah, amour, amour, petit scélérat, que tu fais faire de folies! Il n’y a pas jusqu’au cerveau d’un comédiens que tu ne t’avisé de déranger. Octave était habile, goûté de tous ceux qui l’écoutaient, il s’est avisé de devenir amoureux, et n’est plus qu’un... Ma foi, Monsieur, Octave, ce n’est pas là votre métier, et pour un comédien qui s’est enrichi à faire l’amour, j’en connais trente qui s’y ruinent. Mais le voilà. Comme il est fait! Le pauvre garçon me fait pitié. Eh bien, comment va le cœur?

 

            octave          Ah! Mon pauvre Scaramouche, je suis le plus malheureux de tous les hommes, j’adore Colombine.

 

            scaramou.     Le grand malheur! Si vous l’aimez, elle ne vous hait pas; et je suis bien trompé si elle ne vous cherche.

 

5          octave          Et c’est ce qui me confond. Elle me croit un homme de grande qualité, elle ne s’est embarquée que sur cette espérance, et je dois mourir de honte d’avoir abusé de sa crédulité.

 

            scaramou.     Allez; allez, nous sommes dans un temps où l’on ne meurt pas plus de honte que d’amour.

 

            octave          Admire la cruauté de ma destinée! Je fuyais Colombine, je commençais à sentir que je guérissais, lorsque quelque démon ennemi de mon repos me la fait trouver en ces lieux, comme par enchantement, et redonne à mon cœur toute sa première sensibilité.

 

            scaramou.     Vous l’aimez, elle vous aime... Hem? Y a-t-il tant de façons? Epousez-là.

 

            octave          Que je lui donne un comédien, après lui avoir promis un prince?

 

10        scaramou.     Elle ne serait pas la première qui aurait fait succéder à un grand seigneur, un homme de moindre étoffe. De tout temps la comédie s’est faufilée avec les gens du beau monde.

 

            octave          Je ne puis me pardonner de l’avoir trompée.

 

            scaramou.     Tarare, pardonner! Les femmes sont plus indulgentes que vous ne pensez, pourvu que...[51]

 

            octave          Mon cher Scaramouche, je t’ouvre mon cœur. Quelque envie que j’eusse de rester en ces lieux, il faut absolument que je m’en arrache, j’irai me cacher quelque part au bout du monde, où je ne verrai jamais...

 

            colombine    (paraît) Tu ne me verras jamais, traître! Tu m’as trompée, et tu veux me fuir?

 

15        octave          Ah, ciel!

 

            colombine    Vous m’aimez, Octave? Vous m’aimez? Quelle preuve vous m’en donnez! Partir sans me dire adieu!

 

            scaramou.     Voici bien une autre histoire!

 

            octave          Vous vous abusez, Madame, je ne suis pas...

 

            colombine    J’ai tout entendu, j’ai appris ce que vous êtes de votre propre bouche, et mon cœur a raison de se plaindre du peu de confiance que vous avez en mon amour. Vous ne savez pas aimer, Octave. Avez-vous pu croire que je n’aimasse en vous que la grandeur qui paraissait à mes yeux? Désabusez-vous, rendez-moi justice, et comptez que ce n’est pas le prince, mais Octave que je suis venue chercher ici.

 

20        scaramou.     La peste, qu’une fille amoureuse a d’esprit!

 

            octave          Ah! Trop généreuse Colombine, par où pourrai-je vous exprimer...

 

            colombine    Voici Arlequin. Vous savez les raisons que j’ai de le ménager, c’est un homme de poids, et qui malgré ses caprices, pourra nous être d’une grande utilité: retirez-vous, que je lui parle seule, je lui ferai mieux entendre mes raisons.

 

 

                                   SCENE VII

 

                                   Arlequin, Colombine, Scaramouche.

 

            arlequin       (à Scaramouche) Ah, bonjour, Seigneur Bagatelle. Quoi vous êtes encore ici?

 

            scaramou.     Signor sì, con tutte le mie bagatelle, al servizio di Vostra Signoria.

 

            arlequin       Je vous rends grâces, je vous ai déjà dit que vous pouvez les porter à Paris.

 

            scaramou.     Ho sentito dire, che V[ostra] S[ignoria] bâtissait une grande ville, una famosissima città; e così, je venais avec toutes mes bagatelles, pour divertir votre femme et vos petits enfants.

 

5          arlequin       À Paris, à Paris. Je ne veux point de fadaises chez moi, et la bagatelle en sera bannie aussi sévèrement, que l’amour l’est du mariage.

 

            colombine    Quoi, Seigneur Arlequin, seriez-vous de l’opinion de ceux qui croient que le premier jour de l’hymen, est le dernier de l’amour, et du bon temps?

 

            arlequin       De l’amour, oui. Pour du bon temps, c’est selon. Certaines femmes ne commencent à en prendre, que lorsqu’elles commencent à être épouses; d’autres ne le goûtent qu’au veuvage, tout cela est très bien partagé. Mais à propos de femme, savez-vous que dans ma ville nouvelle, pour épargner aux plaideurs la moitié de ce qui leur en coûte, les femmes rendront la justice?

 

            scaramou.     Des femmes juges! Que de prises de corps!

 

            arlequin       J’ai remarqué, que presque tous les plaideurs payent leurs arrêts aux belles qui sont bien dans l’esprit du juge.

 

10        colombine    Fort bien.

 

            arlequin       Cependant, il n’en est pas moins inexorable sur les épices; de sorte que le pauvre diable de plaideur paye des deux côtés.[52]

 

            colombine    J’entends.

 

            arlequin       Vous voyez bien, que si les femmes rendaient la justice en leur nom, on en serait quitte pour ce qu’on leur donne.

 

            colombine    Il y a même en cela un autre avantage. Car, une belle magistrate qui trouvera quelque plaideur de bonne dégaine, lui fera gratis des épices.[53]

 

15        arlequin       Justement, comme il arrive tous les jours à nos vieux magistrats avec de jeunes solliciteuses.

 

            colombine    Ma foi, je crois qu’il fera beau voir un Sénat féminin; toutes ces fem-mes auront bonne grâce en robe, et en bonnet! Cela sera bien leste!

 

            arlequin       Eh, je les défie d’être plus poupines et plus musquées, que quelques-uns de nos jeunes sénateurs de Paris.[54]

 

            colombine    Je vous avoue que ce dessein m’enchante, et que je brûle de le voir exécuté.

 

            arlequin       Pourquoi?

 

20        colombine    Je me figure avec plaisir, une trentaine de femmes aux opinions. Le bruyant tribunal! Il faut convenir que toutes vos lois sont admirables!

 

            arlequin       Vous savez bien que tous les ans je marierai trente filles aux dépens du public.

 

            scaramou.     Belle réparation!

 

            colombine    Et qui fera grand plaisir à quantité de jeunes personnes qui n’ont pas assez de bien.

 

            arlequin       Comment donc jeunes? Marier de jeunes filles? Je n’emploie pas si mal mon argent! Les jeunes et jolies personnes se marient assez gratis. Je destine ce fonds pour ces vieilles filles de dur débit, qui ont resté trente ans dans une arrière-boutique, dont on ne se charge qu’à bonnes enseignes, et qui demeureraient éternellement à la porte de l’hymen, si l’argent ne leur servait de véhicule.[55]

 

 

                                   SCENE VIII

 

                                   Jaquet, Macine, Arlequin, Colombine.

 

            jaquet            Monsieur, Je venons pour prier de nous donner un petit brin d’avis, en payant, s’entend, comme de raison.

 

            macine           Oui, Monsieur, je voulons faire les choses de bonne grâce; et s’il n’y a pas assez de quinze sols, j’irons jusqu’à la pièce neuve.[56]

 

            arlequin       Ces gens-là me prennent pour un avocat ou un médecin. Allez mes enfants, je ne vends pas mes paroles; mais de quoi s’agit-il?

 

            jaquet            De boutre la paix dans notre ménage.[57]

 

5          arlequin       Vous êtes donc mariés?

 

            macine           Pas encore; mais je pourrons l’être sans miracle avant jour failli.

 

            arlequin       Vous n’êtes pas encore mariés, et il vous faut un tiers pour terminer vos différends? Ah, ah! Eh, comment ferez-vous donc si vous l’êtes une fois?

 

            macine           C’est que Jaquet est un entêté, un vilain.

 

            jaquet            C’est que Macine est une éventée, et une glorieuse. Elle me donne cent-dix livres en mariage, et elle veut que de cet argent-là lui en fasse un habit.

 

10        arlequin       Mettre sa dot en habits et en bijoux des noces, c’est à présent le grand usage.

            colombine    Heureux le mari quand cela n’excède pas!

 

            macine           Ce n’est-il pas juste, Monsieur? Il dit lui qu’il en veut acheter deux arpents de tarre.

 

            jaquet            Oui, qui me rapporteront un bon revenu, au lieu qu’un habit, ça n’est que de l’argent mort.

 

            macine           De l’argent mort, dea! J’ai pourtant ouï dire à une madame de Paris, qu’une procureuse de ses amies avait un habit de velours verd cramoisi, dont alle retirait cinq cent bonnes livres de rente, bon an malan.

 

15        arlequin       Et je sais un peu vivre. Va Jaquet, compte qu’une jolie femme un peu ajustée vaut toujours son prix, et rapporte son revenu.

 

            colombine    Je trouve que Macine a raison, il faut toujours suivre la grande route, et faire comme les autres.

 

            jaquet            Quoi, tout notre bien en un guenillon?[58]

 

            arlequin       Oui, que comme les autres femmes, elle se mette sa dot sur le corps: dût-elle à leur exemple mettre dans quinze jours les habits en gage.

 

            jaquet            Puisque vous le trouvez bon, qu’alle fricasse comme alle l’entendra, j’aurai le plaisir de voir ma femme brave. Adieu, Monsieur, et grand merci.

 

20        macine           Bonsoir, Monsieur.

 

            arlequin       Bonsoir.

 

            macine           (revenant) Mettrai-je de l’or sur cet habit, Monsieur?

 

            arlequin       Oui, des diamants même, si vous en trouvez à crédit.

 

            macine           Pour les cornettes, je les prendrai de papier; ça ne dure guère, mais ça reluit beaucoup. Votre servante. (ils sortent)

 

25        arlequin       Voilà qui prouve bien que la vanité est partout. Mais, Madame, parlons d’autre chose, je vous aime, je vous l’ai déjà dit. Je vous offre ici un établissement: faites mon bonheur, je tâcherai de faire le vôtre.

 

            colombine    Je vous ai déjà répondu que mon cœur ne se donnait pas deux fois. J’aime Octave.

 

            arlequin       Qui? Ce prince là...

 

            colombine    N’insultez point... Mais le voici avec un homme que je ne connais pas.

 

 

                                   SCENE IX

 

                                   Le docteur, Octave, Colombine, Arlequin.

 

            le docteur   Monsieur, Monsieur, voilà par le plus grand bonheur du monde, ce fils dont je vous ai parlé tantôt.

 

            arlequin       Qui était dans un poste si éclatant? Vous aviez raison, il brille trois fois la semaine parmi des lustres et des chandelles.

 

            octave          Oui, Monsieur, je suis comédien. Mais votre philosophie n’est pas fort éloignée de la mienne, ma profession comme la vôtre, est de corriger les hommes en les rendant ridicules.

 

            arlequin       C’est bien fait. Mais Docteur, savez-vous que voilà une personne qui aspire à être votre bru?

 

5          le docteur   On m’a tout conté; et je la prie de recevoir mon fils pour son mari.

 

            colombine    (À Arlequin) Consentez à notre mariage, et souffrez que nous nous établissions ici avec vous. J’ai eu toute ma vie un furieux penchant pour la comédie: la belle occasion est satisfaite! Nous composerons une troupe admirable.

 

            arlequin       Je consens à tout, à condition que dans vos pièces, vous ne louerez jamais personne, et que vous ne ferez pas quartier à la moindre impertinence. Outre cela, vous observerez, s’il vous plaît, les lois que je prescris à mes citoyens. Je les ai mises pas écrit, écoutez. (il lit)

 

                                   I          Que toute charge s’abolisse,

                                               Dans ma ville nouvelle une seule me plaît,

                                               Et je ne veux pour tout office,

                                               Qu’un bon prêteur sans intérêt.

 

                                   II         Qu’avec mépris on regarde les biens,

                                               Qu’un coffre-fort, une grosse marmite,

                                               Ne fasse point tout le mérite,

                                               De mes nouveaux concitoyens.[59]

 

            colombine    Adieu les abbés bien nourris!

 

            arlequin       Je ne veux point de fainéants. (il lit)

 

                                   III        Qu’un fat ne règle point son estime grossière

                                               Sur le dehors pompeux des carrosses brillants.

                                               Et quiconque a monté derrière,

                                               Qu’il soit exclu d’entrer dedans.

 

10        colombine    Si cette loi s’observait à Paris, les deux tiers des carrosses resteraient sous la remise.

           

            arlequin       (Lit)

 

                                   IV        Je bannis ces docteurs qui de mots assassins

                                               Ont pour toute science, une longue tirade,

                                               Et veux comme à Chaudray que tous mes médecins,

                                               Sachent et ne rien prendre, et guérir un malade.[60]

 

            colombine    Oh, pour celui-là, il est directement contre les Statuts de la Faculté.

 

            arlequin       (Lit)

 

                                   V         Qu’en intrigue à vingt ans toute fille soit neuve,

                                               Fût-ce un tendron aux coulisses nourri:

                                               Mais je défends à riche et vieille veuve,

                                               D’épouser un jeune mari.

 

                                   VI        Sortez de mes états, brelandières coquettes,

                                               Qui rassemblez joueurs et galants confondus,

                                               Et chez qui tous les jours lansquenets et bassettes,

                                               Sont les jeux les moins défendus.[61]

 

            colombine    Vous achèverez une autre fois le reste. Voyons à présent la noce de Jaquet et de Macine.

 

                                   (Le théâtre représente un fort beau bocage. On voit plusieurs bergers assis auprès de leurs bergères qui jouent de différents instruments. Un berger et une bergère héroïques chantent ce duo italien)

 

                                               Mia luce, mio core,

                                               Mia vita, mia speme,

                                               Quando fia che trionfi il nostro amore

                                               Su queste spiaggie amene?

 

                                   (Quatre paysans dansent une entrée. Une bergère chante)

 

                                               Nous ne brillons jamais d’un éclat emprunté.

                                               Notre beauté

                                               Doit toute sa parure

                                               À la seule nature;

                                               Notre teint n’est point frelaté,

                                               Nous n’y mettons point de peinture;

                                               Et quand le hâle l’a gâtée,

                                               C’est avec de l’eau toute pure,

                                               Que revient sa vivacité.

 

                                   (Un sabotier danse tout seul. Octave chante)

 

                                               Le seul amour est inutile,

                                               Parmi les amants de la ville.

                                               Il faut par les présents exprimer son ardeur,

                                               Pour attendrir une inhumaine;

                                               Il faut avec de l’or que l’on forme la chaîne,

                                               Dont on veut arrêter son cœur.

 

                                   (Un paysan et une paysanne dansent)

 

15        octave          Mais, Monsieur le philosophe, ne voulez-vous pas aussi vous réjouir? Allons chantons et dansons en rond.

 

            arlequin       Je le veux bien. À la charge que chacun chantera son couplet, et y mettra une comparaison.

 

            octave          Volontiers. Commencez.

 

            arlequin                   (Chante) Comme l’hiver a des roupies,

                                               Cérès des blé, Flore des fleurs;

                                               Ainsi Paris a des harpies,

                                               Greffier, sergents, et procureurs.[62]

 

            octave                      (Chante) Comme on voit pencher la balance

                                               Du côté du poids le plus fort;

                                               Ainsi femme à qui plus finance,

                                               Se livre sans aucun effort.

 

20        colombine                (Chante) Comme au soleil cèdent la place,

                                               Les nuages les plus épais;

                                               Ainsi l’éclat du plumet chasse

                                               Les grands et les petits collets.[63]

 

            léandre                    (Chante) Comme on voit que la pleine lune

                                               Par degrés monte au firmament;

                                               Ainsi j’en sais dont la fortune

                                               A commencé par le croissant.

 

            mezzetin                  (Chante) Comme les abeilles habiles

                                               Puisent des fleurs les sucs nouveaux,

                                               Ainsi les coquettes subtiles

                                               Sucent la bourse des nigauds.

 

            scaramou.                 (Chante) Le fétu d’abord pirouette

                                               Qu’il est auprès de l’ambre chaud;

                                               L’ambre à Paris c’est la grisette,

                                               Et le fétu c’est le courtaud.[64]

 

            arlequin                   (Chante) Comme un coucou que l’amour presse,

                                               Prend un nid qui n’est point à lui;

                                               Ainsi l’officier a l’adresse,

                                               De pondre dans le nid d’autrui.

 

                                               (Ils dansent tous en rond; la comédie finit)

 

 

 

Apparato

Sono qui di seguito riportate le varianti fra le edizioni del testo precedentemente indicate.[65]

            Tanto quella pubblicata da Henry Lambin quanto la versione riportata da Adrian Braakman trasmettono un medesimo testo, più lungo e ‘originale’, tagliato o censurato da Gherardi.

            I mutamenti più consistenti riguardano il primo e il secondo atto, laddove nell’edizione settecentesca, che talvolta restituisce un testo di peggiore qualità (come testimoniano alcuni errori separativi, evidenti grazie al confronto puntuale dei passaggi), mancano rispettivamente le scene 4 e 5, nonché la scena 2. Non è difficile comprendere i moventi dell’intervento gherardiano, se si considera che tutte le parti soppresse sono accomunate dalla presenza di una componente comica buffonesca e dei ruoli che tradizionalmente se ne fanno portatori sulla scena: a ben guardare, infatti, i personaggi che escono sacrificati dalla scelta editoriale operata nel 1700 sono innanzitutto Marinette, del tutto espulsa dalla commedia; Mezzetin, il cui unico intervento consiste ormai in quattro versi cantati all’ultima scena, mentre precedentemente condivideva il palco con Arlequin, in uno scambio tutt’altro che secondario nella caratterizzazione di questo personaggio nullafacente e profittatore, perfetto abitante della capitale; Pierrot, che vede il suo intervento nella pièce ridursi al minimo (cinque battute in II.4, laddove nelle prime due versioni comparivano ben due scene in cui la sua presenza era importante); e Scaramouche, che, pur a seguito di un innegabile ridimensionamento, continua a veicolare in scena, ormai solo, l’elemento comico grottesco, tipico del suo ruolo.

            Nel dettaglio, I.4, scena di sole sei battute, ripropone il tradizionale confronto fra le due tipologie di servitore, il serio e il buffone: in particolare, Pierrot si ripromette di conformarsi alla gravità e riservatezza del suo padrone, mentre Scaramouche intende caratterizzarsi per contrasto: più Arlequin è austero e scontroso, più il suo valletto si lascerà andare al riso e al canto sfrenati.

            Nella scena successiva, i due si contendono i favori della servetta Marinette, personaggio eliminato nella versione gherardiana.

            Ecco dunque le ragioni che hanno spinto il curatore a espungere questo dialogo, particolarmente osceno e intessuto di sottintesi a sfondo sessuale più o meno espliciti: da un lato la volontà di proporre testi moralmente irreprensibili, al fine non solo di evitare qualunque tipo di censura, ma anche di riabilitare gli Italiens (non dimentichiamo che la troupe era stata allontanata e che l’operazione editoriale di Gherardi mirava anche a reintrodurla a corte); dall’altro l’intento di conferire alla produzione della Comédie-Italienne un solido statuto letterario; oltre naturalmente alle ragioni più strettamente personali, cui si è accennato riguardo agli equilibri di forze interni alla compagnia.[66]

            Peraltro, queste scene in apertura del primo atto dovevano servire a presentare al pubblico i personaggi principali, quelli che, in misura e proporzioni diverse, si distinguevano dalle figure bizzarre e grottesche, destinate a sfilare davanti ad Arlequin per fornire spunti polemici alla sua mordente satira. Risulta così ancora più significativo l’intervento del curatore, il quale altera almeno in parte l’equilibrio dei ruoli, difficile dire se per risentimento personale o per ragioni esclusivamente artistiche.

            Unicamente il primo, invece, pare essere all’origine dell’eliminazione di II.2, scena centrale nella caratterizzazione di quello che, nella lista dei personaggi, è definito come ‘intrigante’; epiteto non facilmente giustificabile alla luce del ruolo pressoché inesistente che Gherardi gli riserva nell’edizione di riferimento. Nel tratteggiare il ritratto del perfetto profittatore, Mezzetin forniva all’autore l’ennesimo spunto per uno spaccato polemico sulla vita parigina. Camaleontico, mimetico, opportunista, mondano: il ritratto perfetto, insomma, del parassita che si trova nel suo elemento a Parigi meglio che in qualunque altro luogo. Non può che essere stata la violenta contesa che ha opposto il curatore ad Angelo Costantini a determinare l’eliminazione di un personaggio tanto a tono in una commedia, dominata fino all’eccesso dalle tirate contro la capitale e la sua fauna.

            Tutti i ruoli sacrificati da Gherardi erano infine protagonisti di quella che, nella numerazione originaria, corrisponde come si è già detto a II.9 (per meglio contestualizzarla, si ricorda che nell’edizione di riferimento essa si situerebbe fra II.7 e II.8): scena notturna a soggetto, in cui i personaggi maschili cantano una serenata a Marinette. Si tratta di momento canoro, soppresso probabilmente sempre per conferire alla drammaturgia degli Italiens quella patina di autorialità e quel valore letterario che la recitazione fondata sulle capacità d’improvvisazione, tratto distintivo della tradizione attoriale dell’arte, pareva offuscare; oltre che per le idiosincrasie personali del curatore per alcuni attori della troupe, non a caso proprio quelli penalizzati dall’intervento, che elimina così anche la controparte farsesca del filone amoroso. La serenata d’amore di Mezzetin, Pierrot e Scaramouche doveva rappresentare un contrappunto di notevole efficacia a livello comico al duetto che apre il terzo atto.

            Quanto alle varianti riportate dall’edizione del 1700 rispetto alle due precedenti in III.8, dal confronto emerge come le modifiche non alterino in alcun modo il contenuto della scena: al centro del diverbio fra i due promessi sposi vi è la dote, questione nodale di politica matrimoniale e, con essa, di regolamentazione dei rapporti privati in società. Nella versione posteriore l’attacco contro chi sperpera il patrimonio femminile è solo più esplicito e violento.

            Riguardo infine a III.9.14, il cambiamento attuato da Gherardi sembra dettato da uno scrupolo di esattezza nel riportare un’aria conosciuta nella sua versione originaria, laddove nelle edizioni precedenti una ripetizione alterava il secondo verso.[67]

            Minime invece risultano le differenze fra l’edizione parigina e quella olandese, così come di lieve entità si rivelano i mutamenti fra queste prime due e quella settecentesca, fatti salvi i tagli segnalati. Resta da notare una maggior (seppur ridotta all’essenziale) precisione negli ‘a parte’, testimoniata dall’ultima edizione, frutto di un’accresciuta consapevolezza autoriale rispetto alla funzione e alla valenza scritta del testo teatrale.

 

 

Varianti

 

Acteurs

 

Deux gasconnes ] hlp aba Deux gascones

 

Quatre biscaïens ] hlp aba

 

Prologue

 

3: Cigne ] hlp Signe, aba Singe

 

4: Et bien ] hlp aba Eh bien

 

5: il … gouverne. Quand tu déplores ce beau monde-là hlp aba il … gouverne & quand tu déplores ce beau monde-là

 

11: bancs ] hlp aba bans

 

15: Nego consequentiam, retorqueo argumentum ] hlp aba Nego consequentiam. N’est-ce pas bien raisonner

 

17: adroitement ] hlp aba dextrement

 

20: tu te tirera fort bien ] hlp aba tu te tirera bien

 

21: hlp aba a parte omittit

 

24: à ce but qui ] aba à ce qui

 

 

Acte I

 

I.2.14: Dites ] hlp aba Parlez

 

I.2.37: quittait ] hlp quitterai

 

I.2.56: n’est-ce point ] hlp aba n’est-ce pas

 

I.2.58: hlp e aba a parte omittit

 

I.3.1: trouve-je ] hlp aba trouvai-je

 

In hlp aba, fra le scene terza e quarta dell’edizione presa a riferimento, ne sono inserite altre due, qui di seguito riportate:

                                            SCENE IV

                                            Pierrot, Scaramouche.

               pierrot                (À part) Il n’y a point à dire, disait-il, il faut qu’un bon valet copie son maître en tout et partout. Le nôtre est grave, sérieux, misanthrope; je le veux devenir.

               scaramouche     (À part) C’est une chose bien dure à un valet un peu alerte, de servir un philosophe rébarbatif. Mais justement, parce que mon maître est un misanthrope, je veux rire, chanter, me divertir, n’engendrer point de mélancolie. Faut-il pas qu’il y ait de la différence du valet au maître? Mais voilà Pierrot notre cuisinier, écoutons.

               pierrot                (À part) Ne parler que rarement, comme un mari parle d’amour à sa femme.

5             scaramouche     (riant) On entendra moins de sottises.

               pierrot                (À part) Un air austère et rébarbatif.

               scaramouche     Une mine gaie, un visage ouvert, un air riant.

 

                                            SCENE V

                                            Marinette, Pierrot, Scaramouche.

               marinette          Voilà les gens que je cherche. Abordons-les! (se tournant vers Pierrot) Fi, le vilain homme! Quelle mine rechignée! Il ne regarde pas le monde. (vers Scaramouche) Et voilà au moins qui donne quelque signe de vie. (vers Pierrot) Encore! C’est une pierre, non pas un homme. Tournons-nous devers l’autre.

               pierrot                A qui en veut cette fille-là?

               scaramouche     Serviteur ma belle personne.

               marinette          (À Pierrot) Monsieur, je cherche... (à Scaramouche) Je suis votre très humble servante.

5             scaramouche     Vous voilà belle comme l’amour.

               marinette          (À Scaramouche) A votre service. (à Pierrot) Je cherchais...

               pierrot                Vous l’avez trouvé? Testigué elle est gentille, démisanthropisons-nous un peu.

               scaramouche     Pierrot, vois-tu l’aimable personne?

               marinette          Bon, bon, vous vous moquez; mais, si je ne suis pas belle, je suis bonne.

10           pierrot                Sot qui s’y fie? Mais que cherchez-vous ici?

               marinette          Je cherche condition et je venais me présenter à vous et à votre maître.

               pierrot                Oh, ma foi, vous voilà bien chue; servante d’un philosophe. C’est une bonne                                                            boutique: je n’y reste moi que parce que je suis homme d’esprit.

               marinette          Eh, là là, je ne suis pas si innocente que je le parais; j’ai été à Paris et une fille ne revient pas de ce pays-là sans avoir appris quelque chose.

               scaramouche     Oui, da, et même une fille n’oublie pas pour l’ordinaire ce qu’elle y apprend.

15           pierrot                Mais savez-vous bien que notre maître n’est pas un homme aisé?

               marinette          Oh, que j’en ai bien vu d’autres. Il sera diantrement difficile si je ne l’accommode, je suis faite à tout.

               scaramouche     Voilà ce qu’il nous faut.

               pierrot                Allez, allez, vous ne le connaissez pas. Mornon pas de ma vie, c’est un malin diable que notre maître, il vous tarabustera rudement.

               marinette          C’est comme je le veux. Laissez-moi seulement manier deux jours son esprit. J’ai servi un procureur, qui, quand j’entrai chez lui, passait pour l’homme de Paris le plus rude... Eh, demandez un peu à sa femme comme je l’ai laissé: je l’ai rendu doux, doux comme un petit agneau.

20           scaramouche     Oh, parbleu, après cela, il n’y a point de merveille qu’elle ne fasse.

               pierrot                Mais comment ça se fait-il?

               marinette          Ça se fait, tenez... Ça se fait moitié figue, moitié raisin, avec un petit air entre innocent et malin. De petites mines par-ci, de petits souris par-là... Tant y a que je ne saurais droitement vous dire comment ça se fait, mais il n’y a rien de si aisé quand on y est.

               pierrot                Ah, matoise, vous l’entendez.

               scaramouche     Elle est parbleu jolie, menons-la à notre maître.

25           marinette          Usez-en bien, vous n’y perdrez pas, car je suis de ces filles qui ne négligent rien et les soins du maître ne me font pas oublier les valets.

               pierrot                Je le crois. Allons trouver notre maître.

               scaramouche     Allons.

 

I.4.5: un gentilhomme d’un roturier, et d’un roturier et d’un faquin ] hlp aba un gentilhomme d’un roturier, et d’un faquin, un homme d’importance (errore per dittografia di 1700, sanato nella versione proposta in quanto guasto tipografico).

 

I.4.9: Oh, oh, point de coquettes à Paris? ] hlp aba Oh, oh, point de coquettes.

 

I.4.14: dont ils sont ] hlp aba dont ils y sont

 

I.5 quatre biscaïens omittit.

 

I.5.57: Fra questa battuta e la seguente se ne aggiungono in hlp aba due, di seguito riportate:

               arlequin             Tu fais la bagatelle?

               scaramouche     Oui.

 

I.5.60: Et tu es la bagatelle? Ah, mon cher ] hlp aba Ah, mon cher

 

I.5.67: Il … vêtues. Les violons jouent une chaconne hlp aba Il… vêtues

 

 

Acte II

 

II.1.18: Eh, que] hlp aba Eh, et que

 

II.2.2: di hlp aba è stata eliminata nell’edizione settecentesca, ma il numero delle scene della versione di riferimento, saltando da 1 a 3, rende evidente la modifica. Si riporta di seguito il dialogo mancante. La numerazione delle scene è stata cambiata e corretta di conseguenza nella trascrizione:

                                            SCENE II

                                            Mezzetin, Arlequin.

               mezzetin            (Regardant Arlequin depuis les pieds jusqu’à la tête) Serviteur, Monsieur.

               arlequin             Serviteur. Eh bien, m’aurez-vous bientôt assez regardé, à droit, à gauche, de face, de profil? A qui en voulez-vous?

               mezzetin            A vous, Monsieur. C’est que je m’en retourne à Paris.

               arlequin             Et moi, grâce au ciel, j’en suis revenu. Vous y avez donc déjà été?

5             mezzetin            Si j’y ai été? Il y a dix ans que j’y sers le public et que, grâce à ses bontés, j’y fais une petite fortune assez raisonnable.

               arlequin             Vous en êtes fort content sur ce pied-là?

               mezzetin            Oui. Tant en gros qu’en détail, je n’ai qu’à m’en louer.

               arlequin             Tant mieux pour vous. Mais en quelle qualité servez-vous le public? Quelle est votre profession?

               mezzetin            Ma profession est de n’en point avoir. Homme d’importance ou faquin, suivant l’exigence des cas; j’emploie tout mon talent à faire plaisir aux autres.

10           arlequin             C’est le moyen d’être bienvenu partout.

               mezzetin            Gai, sérieux, tour à tour, l’un ou l’autre. Protée perpétuel, je change de plus de figures qu’une fille d’Opéra de Gallant. Ami de tout le monde, je ne suis haï que des vieilles et des jaloux. Répertoire d’expédients et de facilités, j’ai cela de commun avec les généraux et les ministres, que mon art comme le leur consiste à profiter des occurrences et saisir les occasions.

               arlequin             Cela s’appelle un beau portrait d’une vilaine profession.

               mezzetin            On me trouve aux bals, aux promenades, aux spectacles, partout hors chez moi, et c’est là que je mets toute mon application à rendre service à d’honnêtes gens qui ne me laissent pas sans récompense.

               arlequin             Ces sortes de services ne sont pourtant guère bien payés, s’ils ne le sont d’avance. En pareille occasion le grand secret est d’être nanti.

15           mezzetin            Cela est vrai. Aussi je ne laisse pas refroidir les choses.

               arlequin             Mais que pouvez-vous tant faire aux promenades?

               mezzetin            La peste, c’est mon théâtre le plus avantageux. Vois-je par exemple sur les neuf heures du soir dans la grande allée des Tuileries un vieux seigneur rêvasser tout seul, son chapeau sur les yeux, je me glisse auprès de lui et lui murmure à l’oreille: Monsieur, Mademoiselle Javotte et Mademoiselle Fanchon sont dans l’allée des soupirs, sur le troisième banc à gauche! Oh, mon homme ne se le fait pas dire deux fois, le voilà aller et, s’il n’a qu’un écu, il est pour moi.

               arlequin             Ce que c’est que le savoir-faire. Mais, Monsieur, le répertoire d’expédients, vous qui êtes si commode, ne trouvez-vous pas quelque incommodité en votre chemin? Là... Quelque jaloux bâtonnant, quelque mari rossant. Hem...

               mezzetin            C’est là le casuel de la profession. Mais ces petits contretemps sont récompensés par mille douceurs clandestines, cent profits non attendus. Vous ne sauriez croire ou cela va?

20           arlequin             On est cependant bien corrigé là-dessus. Chacun fait ses affaires soi-même. Les femmes pour épargner la bourse de leurs amants font les deux tiers des avances, et souvent suppriment l’autre pour venir plutôt au fait.

               mezzetin            Ce que vous dites est bon pour un tas de courtiers subalternes, mais les illustres trouvent toujours à travailler.

               arlequin             C’est-à-dire que vous êtes de la première volée.

               mezzetin            On me fait l’honneur de le dire ainsi. On me regarde comme une manière d’homme d’importance. Je suis le doyen des grisons; le syndic général des coiffeuses, bouquetières et revendeuses à la toilette, l’intendant des filles de bonne volonté et le cousin germain banal de toutes les soubrettes de Paris.

               arlequin             Oh, diable, vous êtes bien allié. On m’a dit pourtant que depuis peu il s’était glissé dans votre profession quelques matrones, qui, sous prétexte de confitures, de gants et de pommades, trafiquent de billets doux. Cela est dangereux au moins.

25           mezzetin            Bon. A mon arrivée je verrai tout cela disparaître. Je crosse ces gens-là, moi. Ces canailles croient avoir bien opéré, quand ils ont porté un billet et rendu la réponse. Le moindre de mes exploits est de ménager un tête-à-tête dans les formes. Je débute par là et, si vous ne sauriez croire combien peu cela coûte au temps où nous sommes. Je crois pour moi que les maris ne sont pas fâchés qu’on les trompe.

               arlequin             Hom, les maris qui veulent être dupés ne sont pas toujours les plus dupes.

               mezzetin            Vous y voilà. Que vous avez d’esprit! Tenez, vous me gagnez le cœur! Ça de quoi est-il question?

               arlequin             De vous dire adieu.

               mezzetin            Venons au fait, me voici prêt, que faut-il que je lui dise?

30           arlequin             A qui?

               mezzetin            Hé! Vous ménagez le terrain. Là, cette petite personne, que j’ai trouvée les yeux en larmes et le cœur en mouvement, qui va, qui vient et qui cherche ce que je vais lui offrir de votre part.

               arlequin             Bon, elle cherche un prince. En avez-vous à lui donner?

               mezzetin            Oh, que ce n’est pas ce qui m’embarrasse. Mais, dites-moi le bon mot, je m’en vais. Il vous vient quelqu’un, demain à votre lever nous parlerons à fond. La toilette est le champ de bataille des gens de ma sorte. Adieu.

 

II.2.1: en public ] hlp au public

 

II.4.1: in hlp aba arlequin l’a parte omittit

 

II.5.5: Je n’en sais rien. Je danse ] hlp aba Je n’en sais rien. Mais je suis fort alerte. Je danse (salto di 1700, sanato nella versione proposta in quanto refuso)

 

II.6.3: Ah Mossu caigno de ] hlp aba Ah Mossu caigno jovo de

 

II.6.8: hlp aba a parte omittit

 

II.6.15: connescut ] hlp aba conne scut

 

II.6.16: Diable! C’est chanter ] hlp Diable! C’est chanté

 

II.6.17: nou ] hlp nous

 

II.6.18: arlequin Ah,… mien. Ce n’est pas qu’autrefois j’ai su un couplet de chanson, qui disait: / Quand io eri pichotto, / Boulios pas far l’amour; / Aro que sois grandotto, / Boudrias lo fa toujours. Flon flon, etc. / Mais qu’allez-vous chercher toutes deux à Paris? hlp aba arlequin Ah, Mademoiselle, les semblants sont plus de votre pays que du mien, mais qu’allez-vous chercher toutes deux à Paris?

 

II.6.19: vîte ] hlp aba vite

 

II.6.22: Troubares ] hlp Troubarés

 

II.6.34: à pailler ] hlp à bailler

 

II.7.22: battuta assente in hlp aba

 

Fra II.7 e II.8 dell’edizione settecentesca non compare quella che, nella numerazione originaria, corrisponderebbe a II.9 di hlp aba, di seguito riportata:

C’est une scène de nuit, italienne, entre Mezzetin, Pierrot et Scaramouche, qui viennent donner une sérénade à Marinette.

 

II.8.1: arlequin Eh … plâtre? Venez-vous me montrer quelque autre botte franche? hlp aba arlequin Eh … plâtre?

 

II.8.8: ce nombre ] hlp aba le nombre

 

II.8.25: un jardin! Voilà-t-il ] hlp aba un jardin, Madame, un jardin, voilà-t-il tout revenu?

 

II.8.30: en question ] hlp aba de question; Miei spirti amorosi, / Brillatem’in sen: / Amor vuol ch’io posi / In braccio al mio ben, / Mei spirti, etc. ] hlp e aba Bellezze, / Voi siete tiranne de cuori. / Col crime legate, / Col guardo ferite; / E troppo spietate / Vibrate gli ardori. / Bellezze, / Voi siete tiranne de cuori.

 

II.8.32: En… voilà. Un moment les élève, un moment les détruit. (tout le palais se détruit) hlp aba En… voilà (tout le palais se détruit)

 

 

Acte III

 

III.1.1: Et je ne sais pas longtemps tourner autour du pot ] hlp aba Et je ne sais point longtemps tourner autour du pot

 

III.1.3: braves ] hlp aba bons

 

III.1.7: Que l’on a de l’amour ] hlp Que l’on en a de l’amour

 

III.1.10: antres sauvages ] hlp autres sauvages

 

III.1.11: robins ] hlp robains

 

III.1.13: Examinons si c’est ou quelque chose, ou rien ] omittit in aba

 

III.2.8: quatre-vingt-seize ] hlp aba quatre-vingt-dix-sept

 

III.2.22: pieds bien tournés ] hlp aba pieds tournés

 

III.2.29: hlp aba a parte

 

III.2.30: hlp aba a parte ; Corisande ] hlp aba Chorisandre

 

III.3: Madame de l’Architrave, Arlequin ] hlp aba Arlequin, Madame de l’Architrave

 

III.3.5: Et ne savez-vous pas ] hlp Et ne savez pas

 

III.3.28: arlequin ] hlp mezzetin

 

III.5.11: Oui, dea ] hlp aba Oui, da

 

III.5.13: je la peignis comme deux gouttes d’eau ] hlp aba je la peignis ressemblante comme deux gouttes d’eau

 

III.7.4: Ho sentito dire, che V.S. bâtissait une grande ville, una famosissima città; e così ] hlp Io sentino, che V.S. bâtissait une grande ville, famosissima città; è così, aba Io ho sentito, che V.S. bâtissait une grande ville, famosissima città è così

 

III.7.7: épouses ] hlp épousés

 

III.8.9: Da questa battuta in poi, sino al finale, hlp aba presentano la variante di seguito riportata:

               jaquet                 C’est que Macine est une éventée, et une glorieuse.

10           arlequin             Déjà des invectives, voilà les naturelles dispositions pour l’assortiment que demande l’hymen.

               jaquet                 Jugez si j’ai tort.

               macine                 Voyez si je n’ai pas raison.

               arlequin             Un plus d’honnêteté. Vous êtes brusques comme des gens mariés.

               macine                 Monsieur, je suis la plus riche fille du bourg, et mon père me donne en mariage quarante bons écus.

15           jaquet                 Sans vous démentir, n’y a que cent dix livres.

               macine                 Or, comme je nous disions tantôt queuque petite doucereusité amoureuse, je sommes venus de fil en aiguille à parler de notre mariage.

               jaquet                 Ça est vrai, et elle a eu la tamerité de me dire qu’alle voulait que je lui fisse un habit de la valeur de son mariage.

               arlequin             Mettre sa dot en habits et en bijoux de noces, c’est à présent le grand usage.

               colombine          Heureux le mari quand cela n’excède pas!

20           macine                 Ça n’est-il pas juste, Monsieur? Il dit lui qu’il en veut acheter deux arpents de tarre.

               jaquet                 Oui, qui me rapporteront un bon revenu, au lieu qu’un habit, ça n’est que de l’argent mort.

               macine                 De l’argent mort, da! J’ai pourtant ouï dire à une madame de Paris, qu’une procureuse de ses amies avait un habit de velours vert cramoisi, dont alle retirait cinq cent bonnes livres de rente, bon an mal an.

               arlequin             Et j’ai connu, moi, une femme qui faisait valoir de simples grisettes à un denier bien plus haut.

               macine                 Oh, je sais un peu vivre, va Jaquet, conte qu’une jolie femme un peu ajustée vaut toujours son prix et rapporte son revenu.

 

Da qui in poi riprende come nell’edizione settecentesca, a partire dalla battuta 16.

 

III.9.2: chandelles ] hlp bougies

 

III.9.9: Qu’un fat ] hlp Qu’un fait

 

III.9.14: Il canto in hlp ripete il ritornello con una variazione, secondo quanto riportato di seguito:

Mia luce, mio core, / Mio core, mia speme.

 

III.9.24: point ] hlp aba pas; Ils dansent tous en rond ] hlp aba Ils dans en rond

 

 

 

Bibliografia

 

 

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Vinti, Claudio, Alla Foire e dintorni. Saggi di drammaturgia foraine, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 1989.

 

 

 



[1] ARLEQUIN / MISANTROPE/ COMEDIE / A PARIS. / Chez Henry Lambin / ruë de petit / Pont, vis-à-vis la ruë de la Huchette / M.DC.XCVII. / Avec Privilege du Roy. L’esemplare è consultabile presso la Bibliothèque Nationale de France alle seguenti collocazioni: NUMM-72639; esemplare digitalizzato e consultabile in formato elettronico nel sito della Bibliothèque numérique Gallica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72639k), MICROFILM M-12536 e RES-YF-3770.

[2] SUPPLEMENT / DU/ THEATRE / ITALIEN, / ou / NOUVEAU RECUEIL / DES / COMEDIES ET SCENES / FRANÇAISES / qui ont été joüées sur le Theatre Italien par les Come- / diens du Roy de l’Hôtel de Bourgogne à Paris. / TOME TROISIE’ME. / Suivant la Copie de Paris, / A AMSTERDAM, / Chez ADRIAN BRAAKMAN, Dans le / Beurs Straat, prés le Dam à la Ville / d’Amsterdam. 1698. Esemplare disponibile alla Bibliothèque Nationale de France, collocazione M-23249(3), nonché in versione digitale sul sito googlebooks: http://goo.gl/vNOn87

[3] SUPPLEMENT / DU/ THEATRE / ITALIEN, / ou / NOUVEAU RECUEIL / DES / COMEDIES ET SCENES / FRANÇAISES / qui ont été joüées sur le Theatre Italien par les Come- / diens du Roy de l’Hôtel de Bourgogne à Paris. / TOME TROISIE’ME. / Suivant la Copie de Paris, / A AMSTERDAM, / Chez ADRIAN BRAAKMAN, Dans le / Beurs Straat, prés le Dam à la Ville / d’Amsterdam. 1698. Esemplare disponibile alla Bibliothèque Nationale de France, collocazione M-23249(3), nonché in versione digitale sul sito googlebooks: http://goo.gl/vNOn87

[4] Il tono della commedia è dato sin dalla lista dei personaggi, i cui appellativi lasciano trasparire evidenti intenti satirici. Anche alcuni di quelli che parrebbero a prima vista nomi propri sono in realtà epiteti che nascondono propositi ridicolizzanti da parte dell’autore: questi in tal modo suggerisce, con allusioni scoperte o attraverso un gioco di assonanze, elementi che contraddistinguono la personalità di chi interviene sulla scena o volgono in caricatura tipologie sociali ben riconoscibili agli occhi del pubblico.

            Ciò avviene a cominciare dal sedicente filosofo, Monsieur de Disanvray («disant vrai»), quantomeno pretenzioso.

            Madame de l’Architrave, personaggio dal nome parlante, è una caricatura che mette in ridicolo il gusto in voga all’epoca per l’arredamento lussuoso. Il lessico tecnico dell’architettura diventa patrimonio comune e fa sempre più spesso la sua comparsa anche nei testi teatrali: diverse commedie della raccolta confermano tale tendenza, specchio ironico del favore di cui godono in società i professionisti del mestiere. Il sostantivo è meno trasparente in francese che in italiano: la scelta di ricorrere a un termine tecnico è tesa a creare un contrasto stridente fra l’incompetenza del personaggio in questione e la precisione lessicale del nome, che rinvia all’ambito di riferimento.

            Su questa linea interpretativa ci spingiamo ad azzardare un accostamento fra Monsieur de Colafon e il colascione, strumento musicale della famiglia dei liuti, conosciuto per le sue proporzioni inusuali (cassa piccola e lungo manico); forse proprio come il personaggio che si presentava agli spettatori, un ex maestro di danza ormai storpio e dedito al banditismo perché inabile per condizione fisica a qualunque altro mestiere dignitoso, così come il nome del suo collega, Monsieur de la Cabriole, sembra alludere alla destrezza fisica, basata sull’acrobazia, in cui erano specializzati proprio i danzatori italiani. L’allusione alla capriola crea un gioco parodico rispetto alla danza codificata in passi aggraziati, tipica dell’impostazione grave e contenuta della scuola francese.

            Monsieur de Geresol è nomen omen, che ricorda note musicali.[4]

[5] Concedo maiorem: formula canonica della disputa scolastica, così come nego consequentiam alla battuta 15.

[6] marmitonne: giovane aiuto-cuoca, incaricata delle mansioni più umili; letteralmente, che si occupa della marmitta, sguattera. ¨ Nous sommes de bons petits hommes, qui faisons gracieusement une culbute, nous soupirons tendrement pour une belle marmitonne comme toi, nous faisons éloquemment le panégyrique d’une bonne soupe, et déplorons avec énergie la cherté du vin et du fromage de Milan: sono qui riuniti tutti gli stereotipi della caratterizzazione di Arlequin, prima che la maschera subisse l’evoluzione di cui si è detto nella prefazione.

[7] quartier: trattamento di favore riservato ai vinti.

[8] le plan de satire: dopo la promozione della maschera di Arlequin, è rivendicata in questa battuta l’evoluzione della drammaturgia degli Italiens, innalzatasi dal piano della buffoneria a quello ben più elevato della satira. L’intento moralizzatore è del resto rivendicato apertamente qualche riga sotto.

[9] polissonerie: oltre al senso corrente di birichinata, proprio in questo periodo il termine assume anche la sua accezione corrente legata all’ambito della licenziosità e si manifesta nella sua sfumatura peggiorativa ogni volta che è chiamato in causa un petit-maître. ¨ petits maîtres: giovane elegante, dal modo di fare manierato e pretenzioso. ¨ tombeau: composizione poetica o musicale in onore di qualcuno; o ancora una sorta di declamazione strumentale triste e dolorosa. ¨ un grand de nouvelle édition: la moda delle metafore di origine tecnica è caratteristica di fine secolo allorché si sviluppa la tendenza a creare un lessico legato in particolare all’ambito della stampa. ¨ gourgandine: termine familiare per donna di facili costumi. Anche abito femminile alla moda all’epoca, che consisteva in un corsetto aperto sul davanti, in modo da lasciar intravvedere la camicia.

[10] Cyrus: opera di Mademoiselle de Scudery, Artamène ou le Grand Cyrus è conosciuto per essere il più lungo romanzo mai scritto, di più di tredici mila pagine, qui evocato per satireggiare la moda delle opere monumentali in voga all’epoca; per le stesse ragioni, esso sarà citato anche in III.1.3, insieme all’Astrea di Honoré d’Urfé.

[11] godelureau: giovane elegante e pretenzioso.

[12] furieux: l’aggettivo serve a introdurre una sfumatura di affettazione nella frase, tipica del linguaggio alla moda.

[13] nel senso di ‘de peine’.

[14] Artémise: Regina della Caria, celebre per l’amore nutrito nei confronti del marito Mausolo.

[15] Difficile non pensare che la satira sull’ambiente dell’editoria non risenta dell’esperienza personale del curatore della raccolta. D’altronde, i titoli citati (tutti parodici, senza tuttavia riferimenti precisi a un’opera in particolare) corroborano l’attacco frontale alla società contemporanea sferrato da Arlequin in ogni suo intervento; critica che è alla base della dialettica Parigi-campagna, su cui tanto si insiste, e che sfocia poi nel progetto di fondazione della città ideale, di cui nel finale si dettano le regole di convivenza. L’utopia di un luogo della convivenza perfetta, qui tratteggiato con ironia e sarcasmo, anticipa la tematica di pièce posteriori, come l’Arlequin sauvage o le varie Îles di Marivaux.

[16] Difficile non pensare che la satira sull’ambiente dell’editoria non risenta dell’esperienza personale del curatore della raccolta. D’altronde, i titoli citati (tutti parodici, senza tuttavia riferimenti precisi a un’opera in particolare) corroborano l’attacco frontale alla società contemporanea sferrato da Arlequin in ogni suo intervento; critica che è alla base della dialettica Parigi-campagna, su cui tanto si insiste, e che sfocia poi nel progetto di fondazione della città ideale, di cui nel finale si dettano le regole di convivenza. L’utopia di un luogo della convivenza perfetta, qui tratteggiato con ironia e sarcasmo, anticipa la tematica di pièce posteriori, come l’Arlequin sauvage o le varie Îles di Marivaux.

[17] Relation véritable: il titolo è una chiara parodia di altri interminabili in voga all’epoca, coniati per trattati e relazioni sulle materie più diverse (per citarne solo alcuni come esempio indicativo di una prassi: Relation véritable de ce qui s’est passé au royaume de Sophie, depuis les troubles excitez par la rhétorique et l’éloquence, Relationvéritable de ce qui s’est passé à la prise de la ville de Harfleur près de Le Havre par l’Armée de Monseigneur le Duc de Longueville ensemble la liste de tous les Officiers de son armée, o ancora Relation véritable, des choses les plus mémorables passées en la Basse-Guienne depuis le siège de Fontarabie, qui fut en l’an 1638, et particulièrement des désordres et troubles arrivés aux sièges de Saint-Sever, Tartas, Ax ou Dax depuis ledit jour). ¨ la sanglante défaite des Anciens pas les Modernes: se l’opposizione fra partigiani dell’imitazione e dell’emancipazione rispetto alla cultura classica è questione di attualità da sempre, almeno dai tempi di Petrarca, la vera e propria querelle conosce il suo apice in Francia nel XVII e XVIII secolo, allorché due schieramenti si scontrano sui meriti rispettivi degli scrittori dell’antichità e di quelli del regno di Luigi XIV. Già trita disputa, la discussione si riaccende su stimolo di Charles Perrault, fautore dei Moderni (le Siècle de Louis le Grand, 1687; Parallèle des Anciens et des Modernes, 1688-1697), tanto da investire negli anni seguenti tutti i campi dello scibile: filosofia, letteratura, filologia, storia, arti, musica e politica. I sostenitori degli Anciens, il cui capofila è Boileau, vedono la creazione letteraria come una semplice imitazione degli autori classici, che avevano raggiunto una volta per tutte la perfezione. Inutile dire che i loro avversari si battono per il superamento di questa concezione. Dietro tale dibattito, apparentemente soltanto di carattere artistico, si celano in realtà dinamiche di potere fra membri di diverse accademie, che si contendono i favori del re.[17] Echi della querelle risuonano in diverse opere celebri del tempo; ci limitiamo a citare Le malade imaginaire per l’interesse che il rapporto fra gli Italiens e Molière riveste ai fini di questa analisi: qui Angélique liquida in modo lapidario la questione, affermando «Les Anciens [...] sont les Anciens, et nous sommes les gens de maintenant»[17] (II.6.19). Per quanto riguarda la Comédie-Italienne e i suoi autori, in occasione della prima querelle (in particolare, delle satire pro e contro le donne), l’Hôtel de Bourgogne si pronuncia senza ambiguità a favore dei moderni. Gli Italiens passano per difensori di alcuni principi come il femminismo (anche se nell’Arlequin misanthrope la donna è travolta dalla carica di negatività che investe la società nel suo insieme), il rifiuto del modello antico, la confusione dei generi e il gusto dell’opera (si è già detto in quali temini vada interpretata la parodia del genere e la satira contro alcuni dei suoi esponenti)[17]. Il dibattito che opporrà Quinault a Racine e che dà adito a uno dei primi scontri fra i due campi è indicativo delle rispettive posizioni dei due schieramenti: il fatto che i partigiani di Corneille (Thomas e Fontenelle) siano degli autori dell’Académie Royale de Musique conferma lo statuto di arte ‘moderna’ dell’opera.[17] D’altronde la satira della Comédie-Italienne contro i rivali della Comédie-Française va nella stessa direzione: gli Italiens, attraverso il rovesciamento parodico della tragedia classica, condannano l’enfasi di un teatro che la recitazione dei francesi relega nell’ambito di un’estetica ormai superata. I detrattori dell’opera come Boileau, d’altronde, trovano negli Italiens dei severi censori. ¨ maroufles: appellativo ingiurioso attribuito a persone corpulente e grossolane.

[18] Topographie exacte: come già il precedente, anche questo titolo e i seguenti riecheggiano opere di ambito geografico-antropologico, trattati, vocabolari e compendi di moda al tempo; la precisione scientifica dei termini impiegati contrasta visibilmente con la futilità della materia trattata. ¨ mouches: piccolo lembo di taffetà nero, della grandezza dell’ala di una mosca, che le donne mettono sul viso per far risaltare la luminosità dell’incarnato.

[19] Traduction des Instituts de Justinien en langue vulgaire, pour le soulagement des magistrats qui n’entendent pas le latin: dichiaratamente satirico, come i precedenti, questo titolo è un’allusione scoperta all’ostentazione di competenza attraverso tecnicismi giuridici latini dei professionisti del mestiere, esibizione troppe volte tesa a celare un’ignoranza di fondo della materia, come tipicamente avviene per la figura del Dottore.

[20] jargonneur: che si esprime in modo incomprensibile o insolito.

[21] rafle: qui, lancio dei dadi in cui si ottengono gli stessi punti da tutti i dadi.

[22] quatre mores vêtus de gaze d’or: alla meraviglia scenografica si aggiunge in questo caso lo spaesamento delle componenti esotica ed erotica.

[23] coupeurs: giocatore di lanzichenetto.

[24] quinze et bisque: espressioni del gioco della pallacorda. ¨ la Vallée de Misère: un tempo a Parigi era il mercato del pollame e della selvaggina.

[25] sainte n’y touche: ipocrita, che esibisce in modo affettato semplicità e innocenza.

[26] endêvait: arrabbiarsi, indispettirsi per qualcosa.

[27] Les eaux de Forges: Forges-les-Eaux è una storica località termale della Normandia: Luigi XIII vi si recò nel 1633, seguito dalla nipote, Mademoiselle de Montpensier, da Richelieu e da Anna d’Austria; la corte reale aveva l’abitudine di recarvisi per le preziose proprietà benefiche delle sue acque. Di conseguenza, il sito attira sempre più i frequentatori che apprezzano la mondanità anche in villeggiatura, come la borghesia che cerca di imitare la vita di corte. I soggiorni erano ritmati da feste, spettacoli e giochi di ogni genere, soprattutto sotto Luigi XIV. Altri ospiti illustri, seppur in epoche successive, Voltaire e Marivaux.

[28] aloi: nel contesto di riferimento il termine assume l’accezione di valore, assommando in sé le nozioni di ‘qualità’ e ‘gusto’. Si tratta in realtà di un termine tecnico, il cui uso si diffonde a partire dal 1685, momento che coincide con un parallelo impiego metaforico; propriamente indica il titolo legale dell’oro e dell’argento.

[29] l’Opéra de Lyon: la caduta del teatro di provincia fa allusione al sistema di privilegi allora vigente in Francia. In due parole, all’inizio del regno di Luigi XIV, cinque teatri ufficiali si affermano a Parigi: il Théâtre de Bourgogne, il Théâtre du Marais, il Petit Bourbon, il Théâtre du Palais Royal e l’Opéra, mentre al Jeux de Paume si assisteva alle rappresentazioni occasionali delle compagnie itineranti. A seguito della morte di Molière e dei disordini in seno alla sua troupe, il Théâtre du Palais Royal è assegnato a Lully, che vi stabilisce l’Académie royale de Musique. La compagnia di Molière raggiunge così quella del Théâtre du Marais all’Hôtel Guénégaud. È nel 1680 che Luigi XIV firma a Charleville l’atto fondatore della Comédie-Française, sala destinata ad accogliere, oltre agli attori che già vi recitavano, le troupe del théâtre Guénégaud, dell’Hôtel de Bourgogne. La Comédie-Française diventa così la compagnia ufficiale del re e beneficia ormai di una sorta di monopolio teatrale nella capitale. Un altro atto fondatore segna l’intervento di Luigi XIV in ambito teatrale: nel 1669 il monarca fonda l’Académie royale de Musique. Diretta dapprima da Perrin, è Lully a raccoglierne il testimone. Contro questo sistema, fortemente penalizzante per chi ne era escluso, si scaglia apertamente la satira degli Italiens, in questa scena attraverso il personaggio di un maestro di danza dell’Opéra di Lione, in piena rovina in quanto estranea alla rete di privilegi reali.

[30] grisettes: donne vestite di grigio. Termine usato talvolta in modo dispregiativo per persone di sesso femminile di bassa condizione sociale.

[31] I primi due versi sono la trascrizione esatta di un’aria intonata da Cirene, re d’Assiria, ne La Giocasta regina d’Armenia (I.12.2), dramma di Giovanni Andrea Moniglia, con musica di Carlo Grossi (edizione citata: Francesco Nicolini, Venezia, 1677). L’opera è forse stata scelta come esempio paradigmatico della produzione barocca a carattere esotico, che si distingue per la magnificenza degli allestimenti scenici. Un prototipo, dunque, di spettacolarità nel teatro musicale di cui il nostro autore si prende gioco nella persona della cantante. La componente visiva, elemento portante delle messinscene operistiche assai di moda all’epoca, è peraltro rievocata in chiave ironica dalla grandiosità effimera del palazzo, che è costruito in scena sotto gli occhi del pubblico, per poi crollare rovinosamente in chiusura, a testimoniare la precarietà della fortuna artistica dell’opera e dei suoi protagonisti, ora osannati dal pubblico, ora dimenticati. L’effetto ricercato è amplificato dalla parodia, che sovrappone nei primi due versi l’aria di trionfo del re vittorioso a quella della cantante, fino al giorno precedente alloggiata in un granaio, ora destinata a occupare un’abitazione fastosa, che si disfa sotto lo sguardo meravigliato degli spettatori.

[32] Céladon: personaggio dell’Astrea, prototipo dell’innamorato platonico. Il romanzo pastorale di Honoré d’Urfé non è certo evocato a caso: si tratta di un’opera monumentale di più di cinquemila pagine, pubblicata in un arco di tempo di quasi trent’anni, che ha avuto un successo straordinario a livello europeo. Definito «le roman des romans», rappresenta il prototipo dell’opera interminabile, dove le fila sono tenute dalla storia principale, costituita dall’amore contrastato dei due giovani pastori, Astrea e Céladon. Al romanzo si ispira l’omonima opera per musica in cinque atti (libretto di Jean de la Fontaine e musica di Pascal Colasse), rappresentata il 28 novembre del 1691.¨ Cyrus: v. nota a I.2.33. ¨ custodicos: parola di origine latina per guardiani.

[33] robins: epiteto denigratorio per uomo di legge.

[34] rabat: ampia cravatta a pettorina portata da magistrati, avvocati, professori di università e religiosi. ¨ plumet: giovane militare.

[35] chaconnes: danza lenta in tre tempi. ¨ rigodons: aria vivace in due tempi, su cui si danzava.

[36] le Lulli de quatre-vingt seize: apice della satira contro l’opera, questa scena prende di mira, non tanto Lully, quanto i sedicenti eredi del maestro, oltre al sistema di privilegi (v. nota a II.7.11) dal lui ottenuto ai danni degli altri teatri parigini nonché delle sale operistiche di provincia (già evocata la rovina dell’Opéra di Lione in II.7.11, cui si aggiunge qui quella di Rouen, alle battute 38 e 39). Il dialogo è un concentrato di sarcasmo nei riguardi della vacuità dell’ambiente operistico, frequentato da profittatori che mirano unicamente al loro utile, attirando il pubblico con la magnificenza di uno spettacolo tanto grandioso quanto vuoto. Prototipi di questo genere di professionisti, sono un maestro di danza e uno di canto che offrono i loro servigi ad Arlequin, fondatore della città ideale. Ai tributi di stima iniziali, tesi ad accattivarsi le grazie del filosofo, si sostituiscono inavvertitamente le invettive scagliate dagli arrivisti, cui è stato opposto un rifiuto, in un rovesciamento tanto repentino quanto violento, che nella sua continuità rende l’idea dell’opportunismo come sentimento guida della condotta dei due visitatori e, con loro, delle categorie sociali che questi rappresentano.

[37] Oriane: personaggio femminile, protagonista della storia d’amore con Amadis, eroe di un romanzo-fiume cavalleresco nonché dell’omonima tragedia in musica di Lully, messa in scena il 18 gennaio del 1684 con libretto di Philippe Quinault. L’opera, oltre ad aver riscosso un notevole successo, era una delle predilette dal maestro. Celeberrima l’ampia ciaccona del finale.

[38] Corisande: intrigo parallelo agli amori di Amadis e Oriane quello fra Florestan e Corisande nel romanzo cavalleresco e nell’opera citati nella nota precedente.

[39] détonner: cantare con voce chiassosa e poco musicale.

[40] courante: danza in tre tempi, dal ritmo vivace.

[41] d’eau douce: espressione che indica chi non conosce bene il proprio mestiere, dal medico incapace che dispone come unico rimedio dell’acqua dolce.

[42] le serain: umidità o aria fresca della sera, che si diffonde dopo una giornata di bel tempo.

[43] petites maisons: a Parigi vi era un ospedale omonimo, in cui erano rinchiusi i malati di mente.

[44] se serait tenu en carrosse: in un’epoca in cui si accorda un’importanza centrale alle manifestazioni esteriori di ricchezza, si fa strada la moda delle espressioni facenti riferimento ai beni di cui si dispone per indicare il rango sociale di appartenenza e, di conseguenza, lo stato di un individuo. Di qui l’impiego di modi di dire quali appunto se tenir en carrosse o avoir carrosse, che significano avere ricchezza e reputazione. Così pure va letto il riferimento di III.IX.9.

[45] in folio: fra i vari ambiti che vivono una diffusione e un volgarizzamento del lessico tecnico spicca l’editoria: la moda delle riviste e dei periodici è all’origine dell’estensione del vocabolario legato all’abito della stampa.

[46] de bon air: ‘être de bon air’ è seguire la moda della corte. ¨ juré: che ha prestato giuramento accedendo alla laurea.

[47] chalands: l’uso del termine in questo contesto è indicativo del processo di estensione dell’impiego di un lessico mercantile al linguaggio galante. In questo caso, il sostantivo appartiene al vecchio vocabolario commerciale, nel cui ambito significava ‘chiatta’.

[48] cache-mitoulas: gioco che consiste nel nascondere fra le mani o nei vestiti di qualcuno della compagnia un oggetto che un terzo deve indovinare. ¨ colin-maillard: gioco da bambini in cui si benda uno del gruppo, che deve cercare di afferrare a tastoni uno dei compagni perché prenda il suo posto.

[49] Steinkerque: cravatta che fa la sua apparizione all’epoca dell’omonima battaglia delle Fiandre. Dopo aver fatto un nodo semplice, uno dei lembi è fatto passare nell’asola. Curiosamente in questo periodo si affermano due tendenze opposte nell’evoluzione della moda: da una parte la fascinazione per l’ambito militare, come appunto testimonia l’adozione della steinkerque e di simili capi d’abbigliamento; dall’altra il petit-maître mondano non nasconde un lato effeminato nella sua maniera di vestirsi (come si era già potuto notare in II.1.9).

[50] carrés: cofanetto in cui le donne mettevano i loro pettini e accessori di bellezza.

[51] Tarare: interiezione tipica del linguaggio familiare a indicare scetticismo e indifferenza.

[52] épices: in origine, dolciumi destinati ai giudici dopo una sentenza; successivamente, per traslato, denaro.

[53] dégaine: goffaggine.

[54] poupines: di viso e proporzioni graziose. ¨ musquées: in senso figurato, moralmente lusinghiero.

[55] débit: smercio.

[56] pièce: moneta d’oro o d’argento, di maggior valore se nuova in quanto non consumata e, quindi, più pesante.

[57] boutre: in piccardo, nel registro familiare, equivale a mettere.

[58] guenillon: vecchio lembo di panno o di stoffa.

[59] Que toute charge s’abolisse: ancora una volta, sul modello del romanzo monumentale di Mademoiselle de Scudery, con le sue «Douze tables des lois d’amour», si parodizza nel finale la moda dei testi che dettano precetti di comportamento, come già Molière ne L’école des femmes (III.2.2).[59] Rispetto a quest’ultimo, nella lista di precetti destinati a reggere la comunità ideale istituita dal filosofo l’Arlequin misanthrope riprende i temi dell’infedeltà e della vanità femminile, cui si accompagna la critica alla mondanità e all’amoralità dei tempi. Non si può, tuttavia, parlare di una ripresa diretta ed esplicita del precedente molieriano.

[60] Chaudray: frazione del comune di Villers-en Arthies, conosciuta per la dinastia degli Ozanne, famiglia di pastori, dediti a una forma di medicina empirica, fondata sull’utilizzo di piante curative. Capostipite, Christophe (nato nel 1633) si dà alla scienza medica senza alcuna formazione specifica; la sua fama giunge sino alla capitale sul finire del XVII secolo, tanto che Florent Carton detto Dancourt gli dedica una pièce, rappresentata nel 1698, il cui titolo riprende la formula con cui l’asceta-guaritore era ormai unanimemente identificato, Le médecin de Chaudray. A Christophe farà seguito una dinastia di nipoti, che prolungheranno la sua fama sino all’inizio del XIX secolo.

[61] brelandières: termine dispregiativo per designare chi è solito giocare a carte. ¨ lansquenets: gioco di carte.

[62] roupies: goccia che cola dal naso.

[63] petits collets: espressione che designa il devoto, chi porta piccoli colletti in opposizione a chi ne sfoggia in società di ornati e vistosi.

[64] courtaut: piccolo e tarchiato.

[65] Quella parigina di Henry Lambin e quella stampata ad Amsterdam da Adrian Braakman, entrambe del 1697.

[66] Per la polemica editoriale legata alla pubblicazione di Gherardi, si rimanda all’Avertissement, in TI 1700, I, pp. XII-XIII.

[67] Si rimanda per ulteriori dettagli al Commento.