Charles Dufresny
Les Mal-Assortis
a cura di Stéphane Miglierina
Biblioteca Pregoldoniana
lineadacqua
edizioni
2016
Charles Dufresny
Les Mal-Assortis
a cura di Stéphane Miglierina
Ó 2016 Stéphane Miglierina
Ó 2016 lineadacqua edizioni
Biblioteca Pregoldoniana, nº 14
Collana diretta da Javier Gutiérrez Carou
www.usc.es/goldoni
javier.gutierrez.carou@usc.es
Venezia - Santiago de Compostela
lineadacqua edizioni
san marco 3717/d
30124 Venezia
www.lineadacqua.com
ISBN
dell’edizione completa: 978-88-95598-49-9
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Biblioteca Pregoldoniana, nº 14
Nota al testo
Seguiamo l’edizione del 1693 il cui
frontespizio recita:
LES MAL-ASSORTIS. | COMEDIE EN DEUX ACTES. | Mise au Théâtre par
monsieur du F***, | & representée pour la premiere fois par | les comédiens
Italiens du Roi, dans leur | hôtel de Bourgogne, le trentième de May | 1693.
Segnaliamo
la presenza di un’incisione su rame di 134x70 mm.[1] prima del testo (vol. IV, tra
p. 350 e p. 351) disponibile sul sito Gallica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438360p),
1693 (disegnatore: D. B.; incisore: Etienne Jahandier Desrochers).
Les Mal-Assortis non compaiono nelle
edizioni precedenti.
Les Mal-Assortis
Comédie en deux actes
Mise au théâtre par monsieur du F** [Dufresny], et représentée
pour la première fois par les Comédiens Italiens du Roi, dans leur hôtel de Bourgogne,
le trentième de mai 1693.
Acteurs
arlequin, gouverneur
d’une île en Espagne.
colombine, duègne,
gouvernante de plusieurs filles.
isabelle, marinette, pasquariel, mezzetin, filles sous le gouvernement de Colombine.
pierrot, eunuque,
gardien de ces filles.
octave [léandre], amant
d’Isabelle.
le dieu d’hymen, un
chanteur.
un cabaretier et sa
femme.
un procureur et sa
femme.
un jardinier et sa
femme.
un jeune homme et sa
femme fort vieille.
Plusieurs autres acteurs.
La scène est dans une
île en Espagne.
Les
Mal-Assortis
Acte I
Scène
I
Le théâtre représente une île en Espagne.
Arlequin,
gouverneur de l’île, Colombine.
arlequin La sotte coutume, madame, la sotte
coutume! Quoi, quand un gouverneur prend possession de cette île, il est obligé
de se marier? Ma foi, c’est acheter trop cher un gouvernement.
colombin Je vous dis que vous ne serez point reçu, que vous n’ayez choisi
une femme.
Arlequin Mais, comment voulez-vous que je choisisse? Je n’en connais encore
aucune. Est-ce que vous avez ici, comme à Paris, de ces rues marchandes, où l’on
trouve des filles en magasin?
colombine Non, mais la loi ordonne que vous choisissiez entre les filles
du dernier gouverneur, quand il y en a. Par bonheur, le gouverneur défunt en a laissé
douze, dont je suis l’aînée et la gouvernante. Enfin, ma maison est une pépinière,
où vous en trouverez de toutes les espèces.
5 arlequin Et
dans votre pépinière, les filles sont-elles toutes greffées?[2]
colombine J’ai, entre autre, une jeune plante nommée Isabelle, où j’ai pris
soin de greffer la sagesse la plus à l’épreuve.
arlequin Hon, tous les arbres qu’on greffe ne reprennent pas, et la sagesse
d’une fille est semblable à ces petites branches mal nourries qu’on veut enter sur
un arbre trop fort, le plus souvent la sève les étouffe. Mais, dites-moi un peu
ce qui a donné lieu à la coutume dont il s’agit, et quel intérêt vous avez que les
gouverneurs se marient?[3]
colombine En
voici la raison. C’est que le plus beau des privilèges de nos habitants est fondé
sur ce mariage; c’est en sa faveur qu’ils jouissent du droit des Mal-Assortis.
arlequin Qu’est-ce que ce droit des Mal-Assortis?
10 colombine C’est que tous les époux mal assortis,
c’est-à-dire qui ne sont pas contents l’un de l’autre, auront permission aujourd’hui
de se plaindre à vous, et vous aurez le pouvoir de les faire troquer de femmes et
de maris, si vous le jugez à propos.
arlequin Oh, je jugerai toujours à propos de démarier les mal-assortis;
car j’en sais les conséquences. Mais deux choses m’embarrassent en ceci. La première,
pourquoi en faveur d’un si beau droit votre île n’est pas plus peuplée?
colombine C’est qu’on n’y reçoit point de Français, et surtout de Parisiens,
qui déserteraient leur ville pour venir jouir d’un nouveau privilège.
arlequin La seconde difficulté que je trouve, c’est que tout le temps de
mon gouvernement ne suffira pas, si je suis obligé d’écouter tous ceux qui sont
mal mariés.
colombine Oh, c’est ce qui vous trompe, car nos peuples sont de si bon
sens, que tel qui a une femme jalouse, laide, capricieuse et coquette, ne veut point
changer, de peur de trouver pis, et vous n’aurez peut-être aujourd’hui que cinq
ou six mal-assortis à juger.
15 arlequin Mais, à propos, je viens de m’aviser,
que sans aller choisir dans votre pépinière, je me contenterais…
colombine Oh, j’ai fait vœu de ne point me marier.
arlequin La témérité de ce vœux-là est écrite dans vos yeux.
colombine Je serais bien folle de me marier, puisque j’ai déjà, par devers
moi, le plus grand avantage qu’attire après lui le mariage le plus heureux.
arlequin Que voulez-vous dire par là? Avez-vous de beaux enfants, bien
conditionnés? C’est un grand avantage.
20 colombine Vous n’y êtes pas.
arlequin Est-ce un gros douaire?[4]
Colombine Non.
Arlequin Ouais!
Quel est donc ce grand avantage que le mariage le plus heureux attire après lui?[5]
colombine C’est le veuvage.
25 arlequin Ma foi, vous avez raison. Comment est-ce
que je ne l’ai pas deviné!
Scène II
Arlequin,
Colombine, Pierrot eunuque.
arlequin Qui est cet homme-là?
colombine C’est le sous-gouverneur de mes sœurs.
arlequin Comment donc? Un homme pour sous-gouverneur de vos sœurs?
colombine Oh, Monsieur, ne vous scandalisez point, il a toutes les qualités
requises pour…
5 arlequin Oh, je vois bien à sa physionomie,
que s’il est capable de gouverner des filles, ce n’est pas tant par les bonnes qualités
qu’il a, que par celles qui lui manquent.
pierrot Madame… Monsieur, dis-je… non, non. Madame: ô, Monsieur… ô, Madame!
A qui est-ce de vous deux que j’ai quelque chose à dire?
arlequin Ma foi, je n’en sais rien.
pierrot N’importe, c’est pour un secret que mesdemoiselles vos sœurs m’envoient
vous dire tout bas à l’oreille à quelqu’un de vous deux. C’est que Monsieur le Gouverneur
n’aille pas les voir que dans une petite demi-heure, parce qu’elles ne sont pas
encore prêtes. L’une attend ses cheveux qui sont chez la coiffeuse; l’autre, deux
ou trois dents qu’on achève de limer; celle-ci, sa couturière, qui lui fait une
gorge de satin; l’autre répète sa leçon devant un miroir. Tant y a qu’il leur faut
encore quelque temps pour achever tous leurs exercices.
colombine (à Arlequin) Monsieur, il faut donner du temps
aux filles de s’ajuster.
10 arlequin Je ne trouve pas cela étrange. Il n’est
pas encore tout à fait nuit: et cinq heures du soir, c’est la plus belle heure de
la toilette.[6]
colombine Monsieur, allons dans mon appartement, je vais achever de vous
instruire sur les cérémonies des Mal-Assortis.
pierrot Et moi, je vais aider à ces pauvres filles à s’attifer; car elles
n’ont point d’autre femme de chambre que moi.[7]
Scène III
Pierrot,
Isabelle.
pierrot Ah, je suis bien aise que vous soyez plus diligente que vos sœurs!
On ne saurait les tirer de leur toilette, et je crois que de deux heures d’ici,
elles ne seront caparaçonnées.[8]
isabelle Hélas, mon soin est bien différent de celui de mes sœurs! Elles
ont passé toute la nuit à s’ajuster, et moi à pleurer. Elles cherchent dans leur
toilette des charmes qu’elles n’ont point, et je voudrais pouvoir cacher ceux que
le ciel m’a donnés.
pierrot Oh, les filles n’aiment guère à se cacher; et si elles étaient
toutes faites comme vous, elles amèneraient bientôt la mode de s’habiller l’été
avec du réseau.[9]
isabelle Mon pauvre eunuque, je tremble de peur que le gouverneur me trouve
aimable. Tu sais ma passion pour Léandre, et que la princesse a rompu notre mariage,
dans l’espérance que le gouverneur me choisirait. Que je suis malheureuse, d’être
plus jolie que mes sœurs! Ne sais-tu point quelque secret pour me faire paraître
laide?
5 pierrot Je n’en ai point encore vu dans les affiches: mais je m’imagine
que si on pouvait composer quelque pommade douce avec de la poudre à canon, s’en
couvrir le visage, et y mettre le feu… mais je ne l’ai pas encore éprouvé.[10]
isabelle Oh, je voudrais bien être laide pour déplaire au gouverneur: mais
je serais bien aise de redevenir belle, pour plaire à Léandre.
pierrot Oh, cela ne se peut pas. La fleur de la beauté, c’est comme la
fleur de la sagesse. Quand elle est une fois fanée, il n’y a plus rien à refaire.
isabelle Je n’ai donc plus qu’une ressource, et j’espère que ma vertu me
guérira de l’amour que j’ai pour Léandre.
pierrot Bon, bon, la vertu! La vertu est justement tout comme les médecins,
qui ne guérissent que des maladies qu’on n’a point.
10 isabelle Oh, mon pauvre ami, s’il faut absolument que j’épouse le gouverneur,
je ne verrai plus Léandre.
pierrot Quoi, ce Léandre, si beau, si bien fait, qui se démène comme un
coq, et se campe comme un cheval de manège, vous ne le verrez jamais? À d’autres.[11]
isabelle Non, mais je m’enfermerai quelquefois dans ma chambre, et je l’aimerai
toute seule sans qu’il y soit.[12]
pierrot Et cette vertu, morbleu, cette vertu?
isabelle Est-ce qu’il ne sera pas permis de prendre plaisir à penser à
lui, malgré moi?[13]
15 pierrot Prendre plaisir malgré vous! Oh, il n’y a point de concordance
à cette phrase-là: prendre plaisir malgré vous! Cicéron appelle cela La chèvre et les choux.[14]
isabelle Je ferai donc tous les efforts pour oublier Léandre. Quand il
me viendra dans l’esprit, je secouerai la tête, je me rongerai les ongles, je me
promènerai à grands pas, je fermerai yeux et oreilles.
pierrot Oh, l’Amour est un voleur de nuit, qui trouve toujours quelque
porte ouverte.
isabelle Hé bien, quand je serai lasse de combattre, je m’endormirai, afin
de l’oublier tout à fait.
pierrot C’est là où l’amour vous guette. Il vous fera voir Léandre plus
beau qu’il n’est, vous oublierez que vous dormez, et puis après, que sais-je, moi?
Les songes sont bien malins.
20 isabelle Mais, je ne serai point coupable, car ce ne sera qu’un songe.
(on entend plusieurs voix de filles qui appellent
Pierrot)
pierrot Voilà vos sœurs qui m’appellent, je m’en vais vitement plier leur
toilette, afin que le gouverneur qui va venir ne voie pas tout cet attelage-là.
isabelle (seule) Ciel! Fais que
le gouverneur me haïsse, autant que Léandre m’aime.
Scène IV
On
voit toutes les filles de la duègne, qui se disposent à recevoir le gouverneur.
L’une est à sa toilette, l’autre se fait lasser un corps; celle-ci fait des révérences
devant un miroir, cette autre répète une danse, etc.[15]
une des filles (pendant qu’on la lasse) Ah! Ah! Je n’en puis
plus.
pierrot Voulez-vous que je la délasse?
pierrot Est-ce assez?
5
une autre
fille Pierrot,
Pierrot. Ma couturière n’a-t-elle point apporté ma gorge?
pierrot Votre
gorge? Est-ce qu’elle n’est pas sous votre peignoir?
pierrot Je
ne connais point tout ces brimborions des filles, mais j’ai vu ici deux vessies
de cochon: est-ce cela?[16]
10
Toutes les filles appellent Pierrot. L’une lui
demande une aiguillière, l’autre le pot à la pommade, une autre sa robe de chambre,
une autre le miroir, une autre du rouge. Pierrot qui veut les servir toutes, s’embarrasse,
tombe en courant d’un côté et d’un autre, et s’en va tout en colère.[17]
Scène V
Arlequin,
les filles.
arlequin (à part) Je suis venu
par l’escalier dérobé, afin de surprendre ces filles dans leur naturel, avant qu’elles
aient le temps de se falsifier: car sitôt qu’une femme a le loisir de se préparer
à recevoir visite, ma foi, les plus connaisseurs ne sauraient juger ni de son teint,
ni de sa taille. J’ai toujours oui dire, que pour bien juger d’un tableau, il faut
le voir sans bordure, et un cheval tout nu par le licol.[18]
une des filles (à Arlequin)
Ah, quelle trahison, Monsieur le gouverneur, quelle trahison!
arlequin Pardonnez ma curiosité.
5 arlequin Quelles mamelles! Où sont donc les petits marcassins? (à part) Ma foi, je ne suis plus curieux.
arlequin Ce crime-là porte sa pénitence.
arlequin On peut juger des autres par celles-là. Je vous laisse en liberté.
10
arlequin Si j’ai fait la faute, je ne la boirai pas.[19]
arlequin Allez, allez, achevez de vous habiller.
15 arlequin Si toute la famille lui ressemble, le choix m’embarrassera.
une autre
fille
(tenant un tambour basque):
Marinette De la joie, de la joie, Monsieur le Gouverneur.
(elle chante cet air italien)
No, no, non, che
non prendo marito
Amo troppo la
mia libertà.
Del disciolto
e allegro mio core
Mai signor nissun
non sarà;
Voglio rider,
cantar, e ballare,
No, no, no, non
mi vo’ maritare.
arlequin L’humeur de celle-ci me plairait assez, mais il y a quelque chose
à refaire à cette taille-là.
arlequin Oh, vive les tailles fines! Je me défie ces filles qui se piquent
d’embonpoint, et qui sont toujours en déshabillé.
20
arlequin Non,
mais vous savez ce que c’est que d’engendrer la joie. Franchement, je n’ai point
envie de vous prendre.
une autre
fille
(avec une cornette qui lui cache le visage):
Pasquariel Il aime les tailles fines, il va me choisir.
(elle se promène devant le gouverneur)
arlequin (à part) Cette taille-là
me plaît assez, elle n’est point raboteuse. (haut) Madame, pourrait-on vous voir au visage?[20]
25
arlequin (à part) Apparemment
qu’elle est jolie, car elle minaude. (haut)
Hé je vous prie, Madame…
arlequin Une vraie beauté est à l’épreuve du soleil.
30 arlequin Hé
bien, mettez-moi dans le point de vue.
Scène VI
Colombine,
Arlequin, Isabelle qui survient.
colombine Hé bien, monsieur, parmi ces charmantes sœurs, en avez-vous trouvé
quelqu’une qui vous convienne? Votre cœur s’est-il déterminé?
arlequin Non, mais il s’est soulevé. Ah! (il se laisse aller sur son siège)
colombine Vous trouvez-vous mal?
arlequin Franchement, Madame, j’aime mieux renoncer au gouvernement, que
de me marier; votre famille est trop laide.
5 colombine (à part) Où est donc
Isabelle? Apparemment qu’il ne l’a pas encore vue. (apercevant Isabelle) Pourquoi donc vous cacher ainsi?
isabelle Ah, ciel!
colombine (à part) Celle-ci lui
fera revenir le cœur. (à Arlequin) Monsieur
le Gouverneur, tournez-vous; en voici une qui vous plaira sans doute.
arlequin (se tournant, et voyant
Isabelle) Ah! Voici de l’eau de la reine de Hongrie. (à Colombine) Madame, je l’épouse, et me tiens trop heureux de l’avoir.[21]
isabelle (à Colombine) Mais,
ma sœur, pourquoi contraindre monsieur à me choisir entre des sœurs qui sont plus
aimables que moi?
10 colombine Je lui ai donné le temps d’examiner leur mérite.
arlequin Leur mérite, ma foi, n’a pas besoin d’examen, il saute aux yeux
d’abord. Madame, je m’en tiens à celle-ci, et je la choisis pour femme.
isabelle Ah, grands dieux, quel malheur!
colombine (à Isabelle) Allons,
il faut obéir à la loi.
isabelle Ah, ma sœur! Faites-le changer de sentiment.
15 arlequin Oh, ne craignez rien, je ne suis pas changeant.
isabelle Que je suis malheureuse!
arlequin Que dit-elle?
colombine Qu’elle est heureuse…
isabelle Oui, j’en mourrai.
20 arlequin Comment? Elle en mourra?
colombine Oui, monsieur, de joie.
arlequin Oh, il faut que les femmes modèrent leur joie. Hippocrate dit
que summum gaudium muliere dilatando occidit.[22]
colombine Je la laisse avec vous, et je vais donner mes ordres pour la cérémonie
des Mal-Assortis.
isabelle (à part) Il me vient
une pensée pour le dégoûter de moi; je vais lui faire accroire…
25 arlequin Hé bien, charmante pouponne, je vais vous rendre heureuse.
isabelle Monsieur, puisque vous voulez me rendre heureuse, je ne puis sans
ingratitude vous rendre malheureux, et je me crois obligée de vous avertir que j’ai
mille défauts, que vous ne pourrez jamais supporter.
arlequin Oh, je me suis déjà aperçu de ces défauts-là. Vos yeux sont un
peu trop vifs, votre bouche trop vermeille, votre taille trop fine. Mais quand on
aime, on passe par-dessus ces petits défauts-là.
isabelle Si vous connaissiez mon humeur! Je suis bizarre, capricieuse…
arlequin Cela me vient le mieux du monde, car mon médecin m’a ordonné,
à cause de ma bile, de donner tous les matins à jeun trois ou quatre soufflets à
quelqu’un; et cette recette nous guérira tous deux, moi de ma bile, et vous de vos
caprices.
30 isabelle (à part) Quel brutal!
Ô ciel! (haut) Monsieur, j’ai une autre
maladie bien plus dangereuse. Toutes les nuits, je suis sujette à des rêves furieux,
qui allument la rage dans mon âme; j’égratigne, le mords, j’assassine, et j’étouffais
l’autre jour dans mes bras…
arlequin Un amant?
isabelle Un petit bichon que ma sœur m’avait donné.[23]
arlequin Il faudra se précautionner, et je coucherai avec une armure à
toute épreuve.
isabelle Il n’y a point d’armure à l’épreuve de la rage d’une femme (bas) qui hait son mari. (haut) A propos, Monsieur, j’oubliais à vous
dire… mais je n’ose.
35 arlequin Dites, dites, je suis tout disposé à vous entendre.
isabelle C’est que j’ai eu déjà deux accès de folie.
arlequin Quoi! Vous n’avez eu que deux accès de folie à votre âge? Hé,
vous êtes la perle des filles.
isabelle Mais, Monsieur, pourquoi vous obstiner à prendre une malheureuse?
Si vous connaissiez le mérite d’une sœur que j’ai. Il faut que je vous la fasse
voir. Ma sœur Toinon…
Ici plusieurs filles accourent, chacune d’elles
disant: C’est moi, c’est que Monsieur le Gouverneur a choisi. Elles le prennent par les bras, et le tirent
chacune de son côté, de telle force qu’il tombe, et elles aussi: ce qui finit le
premier acte.
Acte II et dernier
Scène I
Le théâtre représente la salle des Mal-assortis.
On voit L’Hymen au milieu de quantité
de maris et de femmes qui se tournent le dos, et qui rechignent l’une conte l’autre.
L’Hymen est assis sous un arbre sec, tout plein d’oiseaux de mauvais augure, comme
coucous, hiboux, chauve-souris, etc. La symphonie joue un air fort triste.
arlequin O
Hymen, protecteur du chagrin domestique,
Divinité climatérique,
Qui fais aux deux
époux, par ta rare équité,
Prodiguer tes
faveurs avec égalité:
À l’un des maux
de têtes, à l’autre des coliques.
Patron des animaux
froids et mélancoliques,
Des chauves-souris,
des hiboux,
Des limaçons,
et des coucous,
Je ne viens point
pour soustraire à ta main malfaisante
Cette troupe dolente
D’époux mal-assortis
Puisqu’en brisant
leurs nœuds je les assujettis
À prendre d’autres
chaînes.
Il est vrai que
souvent le changement des peines
Cause quelque
plaisir,
Mais ne te fâches
point, car selon ton désir,
Tu les verras
demain plus malheureux encore
Qu’ils ne l’étaient
hier. Ma bile s’évapore,
O Hymen! mais
pardonne-moi.
Quelque mal qu’on
dise de toi,
Ou tôt ou tard
dans tes fers on s’engage.
Et moi tout le
premier je viens te rendre hommage,
Et dire à ta louange
avec sincérité,
Que tu ferais
toujours notre félicité,
Si dans les douceurs
du ménage,
Tu trouvais le
secret de séparer l’usage,
De la propriété.[24]
La symphonie reprend le même air triste.
l’hymen (s’avance et chante) Je fais le malheur extrême
De la plupart
des humains.
Mais leur bonheur
suprême
Est aussi dans
mes mains.
En ma droite je
tiens l’heureuse destinée,
Ma gauche livre
le tourment.
Celle-ci, par
malheur, s’ouvre facilement,
Et ma droite est
toujours fermée.
Scène II
Les mal-assortis s’avancent, et se rangent en
haie autour d’Arlequin.
Un
cabaretier, une cabaretière fort laide, Arlequin.
un cabaretier Seigneur,
puisqu’en faveur de votre mariage,
On peut troquer
de femme en dépit de l’usage…
arlequin Qui êtes-vous
l’ami?
le cabaretier Je suis cabaretier
De mon métier,
Mais grâce à la
laideur, j’ai bien peu de pratique.
Autrefois les
buveurs de clique,
Les gourmets de
profession,
Et la bachique
nation
Des vieux doyens
de confrérie,
Vidaient mes muids
jusqu’à la lie.
Mais depuis que
cette guenon
A mis le pied
dans ma maison,
Chacun me chante
injure,
Et me prédit un
très fâcheux hiver.
Celui-ci dit,
que ma femme est trop mure,
Et celui-là, que
mon vin est trop vert.[25]
arlequin On a
raison. Quand on veut dans l’année
Avoir des officiers
la joyeuse assemblée,
Il faut avoir
chez soi, pour se rendre fameux,
Jeune femme et
vin vieux.
Une coquette vient avec empressement, suivie
d’un procureur qui est son mari.
5
arlequin Patience,
Madame, un peu de patience,
Laissez parler
Monsieur.
Si vous ne m’écoutez.
Je ne puis plus souffrir
Cette chaîne
Qui me gène,
En m’arrêtant
si près de mon époux.
arlequin C’est
un grand supplice entre nous:
Mais vous devez
y être accoutumée.
Je n’ai jamais
été si longtemps qu’aujourd’hui
Tête à tête avec
lui.
C’est un insupportable,
Un jaloux incurable:
Il est bourru,
fourbe, avare, menteur.
10 arlequin Ah, le joli portrait, n’est-il point
procureur?
le procureur Fiscal,
pour vous servir, et…
arlequin (au procureur) Laissez-moi l’entendre,
Vous pourrez vous
défendre
Quand elle aura
tout dit.
le procureur J’attendrai donc longtemps.
Je suis traitée.
Parce qu’un contrat
dit que je suis mariée,
Il prétend me
faire la loi,
Et disposer de
moi
Comme un amant
d’une maîtresse.
Monsieur me parle
de tendresse,
Et veut prendre
avec moi des familiarités.
15 arlequin Oh,
ce n’est plus la mode, et de ces libertés
Les femmes du
bel air ont retranché l’usage.
Devant la femme
d’un greffier,
D’un notaire,
et d’un financier,
Au lieu de m’appeler
Madame,
Tout court, me
fit l’affront de m’appeler sa femme.[26]
arlequin Il a
grand tort, et je vois clairement
Que vous vivez
tous deux célibatiquement:
Et vous nommer
sa femme est une calomnie.[27]
Régaler mes amis.
Le souper apprêté,
Toute la troupe
en joie, on voit pour mon malheur
Arriver ce benêt,
comme un écornifleur,
Un chercheur de
franche lipée:
Et sans être connu
d’aucun de l’assemblée
Se plante effrontément
à la table avec nous.[28]
Arlequin Cette
impudence est sans seconde:
Et ces bourgeois
époux
Ne savent point
leur monde.
Un mari de qualité
N’aurait jamais
commis cette incivilité.
20
Cependant cette
chamarrure
Ne revient qu’à
cinq cents écus.
Et si c’est un
argent que j’ai pris sur mon compte!
arlequin Fi! Votre
époux doit mourir de honte,
De vous voir un
habit qui ne lui coute rien.
arlequin Quand
la femme fournit à de telles dépenses,
Ce n’est pas aux
marchands qu’elle fait les avances.
25 arlequin J’en sais plus qu’il n’en faut.
(au procureur) Et vous maître nigaud,
Qui semblez mépriser
l’aiguillon qui vous pique,
Ma foi, vous tenez
plus du bœuf que du stoïque,
Si vous ne répondez
à ces piquants discours.[29]
le procureur Bon!
je les entends tous les jours,
Et je crois après
tout ma femme raisonnable.
Je l’aime trop
pour la donner au diable:
Faites-moi le
plaisir de la prendre pour vous.
arlequin Je vais
lui donner un époux,
Qui du diable
n’a pas tout à fait la figure,
Mais qui dans
peu de jours en aura la coiffure.
C’est vous que
je destine… (au cabaretier)
Un mari de si
bas aloi,
A moi qui d’un
sergent suis l’unique héritière!
le cabaretier (à la coquette) Franchement, je ne connais
guère
Ni votre père,
ni le mien,
Mais je crois
que je vous veux bien.
30
Et d’un empoisonneur
l’épouse gargotière![30]
arlequin À vos
mordants discours mettez un caveçon.
Quoique son vin
soit plein de colle de poisson,
Il est moins frelaté
qu’une franche coquette,
Car, sans parler
de sa toilette,
Tous ses regards
confits au vinaigre et au miel,
Le désordre artificiel
Des mouvements
de son visage,
Et ce tendre patelinage
Qui remplit son
discours d’une fade douceur:
Tout cela, franchement,
fait plus de mal au cœur
Que le vin qu’il
apprête
Ne fait mal à
la tête.[31]
le cabaretier (à la coquette) Je sais quelque secret pour
éclaircir le vin:
Mais pour éclaircir
votre teint,
N’usez-vous point
de fourberie?
le cabaretier Je
crois que vous prenez vos roses et vos lys
Chez le même épicier
où je prends mes rubis.
Ce teint n’est
point clair-net.[32]
35
arlequin Ou taisez-vous,
ou je vous remarie
Au procureur.
C’est ainsi que je veux
Que vous troquiez
tous deux.
le procureur Monsieur…
arlequin Vous
êtes trop heureux
D’avoir une femme
qui vous convienne.
le procureur Je
l’aime encore mieux que la mienne
Toute laide qu’elle
est.
40 arlequin (au procureur) Apprenez aujourd’hui,
Qu’un procureur
ne doit avoir chez lui
Que pain moisi,
vin détestable,
Et femme laide
comme un diable,
Et le tout à cause
des clercs.
(au cabaretier) Vous, dont les berceaux sont
déserts,
Si vous voulez
avoir chez vous bonne pratique,
De ce joli bouchon
parez votre pratique.[33]
le cabaretier (chante) Si l’on troquait de femme et de mari
Chez Dautel, et
chez Fagnany,
Je leur conseillerais
de fermer leurs boutiques,
Et de louer, pour
loger leurs pratiques,
Toute la plaine
Saint-Denis.
l’hymen (chante) Ô l’heureux ménage,
D’une coquette,
et d’un cabaretier,
Qui savent leur
métier!
Qu’ils vont mettre
tous deux de talents en usage!
L’un par son tripotage
Sait rajeunir
le vin;
Et l’autre, avec
le blanc et le carmin,
Rajeunit le visage.
Scène III
Arlequin,
un jeune homme qui se cure les dents, une vieille qui tient une bourse vide, un
jardinier, et une jardinière qui est grosse.
arlequin Une vieille, dont la bourse est vide, et un jeune homme qui se
cure les dents! Cette scène muette parle toute seule. (au jeune homme) Vous voulez vous démarier, parce que vous voyez le fond
de la bourse? Vous avez raison. (à la vieille)
Vous, vous vous plaignez apparemment qu’il ne vous a pas donné l’emploi de vos deniers?
Vous avez tort. Une vieille qui achète la tendresse d’un jeune homme, doit s’attendre,
que dès le lendemain du marché, il portera chez sa voisine l’argent et la marchandise.
Voyons, si nous trouverons ici de quoi vous assortir.
le jardinier (à
sa femme) Ah! Il y a longtemps que j’attends ce jour bienheureux.
arlequin De quelle vacation êtes-vous?
le jardinier Jardinier, pour vous servir.
5 arlequin Je m’en suis douté, en voyant la rondeur de la jardinière: car
la terre d’un jardinier est toujours plus fertile qu’une autre.
le jardinier Vous
me faites plus honneur qu’il ne m’en est dû. Mais vous voyez ce jeune homme (il montre le mari de la vieille)
arlequin En est-ce à lui l’honneur?
le jardinier Je
ne dis pas cela, mais je suis son jardinier, et il y a quelque temps qu’il vint
me trouver, et qu’il me dit: maître Ambroise, en récompense de tes services, je
te veux faire un présent… Ah, Monsieur… Oui, maître Ambroise, je te donne en mariage
la fille de mon concierge… Oh! comme il n’avait pas accoutumé de me faire de si
grands présents, je me doutais de sa ruse, et je dis en moi-même: je l’attraperai.
arlequin C’est-à-dire que vous ne voulûtes pas l’épouser.
10 le jardinier Oh
que si! Je l’épousai, pour mieux découvrir la vérité, mais sitôt que nous fumes
mariés, je pris la poste, et je fis un voyage de six mois.
arlequin Je vous entends. C’est-à-dire que vous voulûtes voir, si malgré
votre absence…
le jardinier Vous
l’avez dit.
le jardinier Il
n’y a que quinze jours que je suis de retour, et vous voyez.
15 arlequin Cela ne vous doit point surprendre. Vous qui êtes jardinier, vous
devez savoir que les fruits semés sur couche, viennent souvent avant la saison.
le jardinier Oh,
cela n’est pas naturel.
arlequin Oh que si! Votre femme est peut-être une femme précoce.
le jardinier Oh,
tu as beau dire, le juge sera de mon côté, car il est homme comme moi.
20
arlequin Écoutez, la faute de votre femme est une faute d’ignorance, car
si elle avait su calculer, comme vous, les jours et les mois, elle aurait si bien
pris ses mesures, que vous ne vous seriez aperçu de rien, et il ne faut pas déshonorer
une femme, parce qu’elle ne sait pas l’arithmétique.
le jardinier Si
vous voulez que je garde ma femme, défendez donc à Monsieur de venir chez moi.
arlequin Ce serait manquer de politesse que de vous opposer à l’honneur
que Monsieur veut bien vous faire.
25 le jardinier Oh,
qu’il me laisse l’honneur que j’ai, et je le quitte de celui qu’il veut me faire.
l’hymen (s’avance et chante)
Heureux qui par son labourage,
Met à profit
L’arbre fourchu
du mariage!
La femme a l’avantage
D’être la branche
à fruit.
Mais un mari discret
et sage
Par son bois se
met en crédit.
arlequin D’un arbre roturier dont la tige est jolie,
On voit souvent
sortir un noble rejeton:
Et par hasard
aussi sur la branche anoblie
Un jardinier pourrait
greffer un sauvageon.
Ce
troc-ci est bien aisé à faire. (au jeune homme)
Monsieur, vous savez mieux que moi l’hypothèque que vous avez sur cette jeune femme.
Je vous l’adjuge, tâchez de regagner avec elle, ce que vous avez dépensé à la vieille.
(au jardinier) Et vous, mon ami, pour
vous punir de la folie que vous avez faite, je vous ordonne d’épouser la bonne femme.
C’est aux jardiniers qu’il faut donner les terres en friche, et une vieille ne doit
point vous embarrasser. Vous trouverez le secret de la rajeunir, comme un vieux
poirier, en lui coupant la tête: aussi bien une vieille sans argent, n’a plus que
faire du monde.
Scène IV
Isabelle
voilée, Arlequin.
isabelle Monsieur,
en faveur de la fête,
Je viens présenter
ma requête.
arlequin C’est
pour troquer d’époux que vous venez ici;
Mais, Madame,
pourquoi vous déguiser ainsi?
Isabelle Vraiment,
Monsieur, si j’étais refusée,
Et que mon mari
sût…
arlequin La petite
rusée:
Que j’ai de curiosité
De voir…
5 isabelle Oh, n’usez point de votre autorité.
arlequin Découvrez-moi
votre visage.
isabelle Ne
me pressez pas davantage.
Je ne puis apporter
trop de précaution
Pour ne point
troubler l’union
Qui règne dans
notre ménage:
Elle est charmante.
arlequin Oh, le
plaisant langage!
Ma foi, je crois
que vous êtes unis
Comme le loup
et la brebis.
Son discours sent
un peu le déclin de la lune.
Dites-moi vos
raisons.
Isabelle Hélas!
Je n’en ai qu’une.
En aimant mon
mari, six mois sont écoulés,
Et je trouve que
c’est assez.
10 arlequin Hon! Ce n’est point cela qui vous rend
malheureuse.
Vous ne dites
pas tout. Ne soyez point honteuse.
Apprenez-moi le
hic de cet aimable époux.
Est-il brutal,
est-il jaloux,
A-t-il chez le
voisin quelque second ménage?
isabelle Non,
mais six mois de mariage.
arlequin D’accord,
mais il me faut expliquer mieux le cas.
Dites-moi tout
bas.
Vous a-t-il refusé
quelque habit magnifique?
isabelle Six
mois, Monsieur, six mois.
arlequin La chose
est sans réplique,
Cependant il faudrait
savoir de votre époux,
S’il est aussi
las d’être à vous.
15 isabelle Ah! Si vous l’écoutez, Monsieur, je suis
perdue.
Il consentira
qu’on le tue,
Plutôt que de
rompre des nœuds
Qui font son bonheur.
arlequin Il
est bien malheureux
D’aimer une ingrate.
Madame, votre
affaire est un peu délicate,
J’y veux rêver.
Scène V
Léandre
avec un manteau sur le nez, Arlequin.
léandre Monsieur.
arlequin Autre
déguisement.
Que voulez-vous
de moi?
léandre Je viens
secrètement
Vous faire un
franc aveu de ma bizarrerie.
Mon épouse est
jeune et jolie,
Et je pourrais
faire serment
Qu’elle m’aime
fidèlement.
Cependant, puisqu’il
faut avouer ma faiblesse
Je ne puis supporter
l’excès de sa tendresse,
Et je viens vous
prier
De me démarier.
arlequin Je ne
m’attendais pas à ce sujet de plainte.
Il est nouveau.
Mais parlez-moi sans feinte,
N’avez-vous point,
pour briser ce lien,
Quelque grief
plus fort?
5 léandre Comptez-vous
donc pour rien
D’être obligé
par complaisance
D’adorer une femme
au moins en apparence,
D’épouser son
caprice, et de remplir ses vœux,
De suivre pas
à pas ses transports amoureux,
Enfin d’être auprès
d’elle
Nuit et jour?
arlequin Je sais
bien qu’une épouse fidèle
Fait voir plus
de pays à l’époux complaisant,
Qu’une maîtresse
à son amant.
Mais après tout,
il faut prendre courage
Vingt ou trente
ans de mariage
La mettront sur
le pied
D’une bonne amitié.[34]
léandre Je n’en
crois rien, Monsieur; la froideur conjugale
Ne sera jamais
de son goût
Et son ardeur
toujours égale
Depuis six mois
a mis ma patience à bout.
arlequin Depuis
six mois qu’il est à la torture.
Depuis six mois
aussi… (regardant la femme) La plaisante
aventure
De votre cher
époux peut-on savoir le nom?
Isabelle C’est
Léandre, Monsieur.
10 Arlequin (à l’homme) Comment vous nomme-t-on?
Léandre Léandre
Arlequin Justement.
La chose est avérée,
C’est le mari
de la voilée.
Je veux m’en divertir.
Écoutez-moi tous deux.
Je vais d’un seul
arrêt satisfaire vos vœux.
Vous qui cherchez
une femme inconstante,
Croyez que celle-ci
remplira votre attente;
Jamais son trop
d’amour ne vous fatiguera,
Et du moment qu’elle
vous connaîtra,
Je vous réponds
de son indifférence.
Pour vous, (à la femme) dont la volage instance
A pour but de
changer pour changer seulement,
Vous consentirez
aisément
A l’hymen que
je vous propose:
Mais il n’est
point de bail sans clause,
Et je veux absolument
Que sans résister
un moment,
Vous vous preniez
tous deux.
isabelle Quoi
donc sans se connaître?
arlequin Vous
aimez mieux, peut-être,
Garder l’époux
que vous avez?
15 isabelle Que
vous m’embarrassez!
arlequin Épouser
au hasard, c’est la bonne méthode,
Rien n’est plus
à la mode,
Et tous les jours
on unit mille époux,
Qui se connaissent
moins que vous.
Allons, allons,
de peur que ce mari; dont vous êtes lasse, et que cette femme qui vous aime si tendrement,
ne viennent s’opposer au troc, il faut vous marier promptement. Allons, donnez-vous
la main, je vous dispense d’attendre l’ordre de la cérémonie, et je vous marie dès
à présent.
Léandre et Isabelle s’épousent, puis se découvrent.
Le gouverneur qui reconnaît qu’il a été trompé, et que c’est sa femme qu’il vient
de marier à Léandre, après les premiers emportements, consent d’en épouser une autre,
ratifie leur mariage, et ordonne la fête qui suit.
arlequin (s’adressant à l’hymen qui
est au même poste où il était avant la cérémonie) Hymen, pour aujourd’hui faites
cesser les plaintes,
Fermez bien cette
main si pleine de malheurs;
Rallumez vos flammes
éteintes
Et changez vos
chaînes en fleurs.
(aux nouveaux mariés) Ô troupe moins mal assorti[e],
Pour vous bien
réjouir, songez combien d’époux
Vont vous porter
envie,
Et voudraient,
comme vous,
Goûter en un seul
jour les charmes du veuvage,
Et les plaisirs
d’un nouveau mariage.
l’hymen (chante) Craignez le premier feu du flambeau
de l’hyménée,
Il brille autant
que celui de l’amour:
Mais bien souvent,
en moins d’un jour,
Sa flamme se change
en fumée.
Les violons jouent un menuet, et tous les époux
moins mal assortis passent en dansant deux à deux, et l’Hymen les marie.
l’hymen (chante) Tu dis qu’en troquant de femme,
Tu trompes ton
compagnon;
Toi, tu le penses
dans l’âme:
Vous avez tous
deux raison.
Mais avant que
le coq chante,
Je crains bien
que le plus fin
Du marché ne se
repente,
En regrettant
sa catin.[35]
20 arlequin (reprend) Car toujours la plus charmante
C’est la femme
du voisin.
le
cabaretier (dont
la femme laide a épousé le procureur) Le seul défaut de ta laide,
C’est qu’elle
achète un amant:
Aussi cher que
quand tu plaides,
Tu paies un témoin
Normand.[36]
le
procureur (dont
la femme coquette a épousé le cabaretier, répond) Si jamais la tienne attrape
La clef du coffre
au magot,
Que de plumets
par étape
Te grugeront comme
un sot![37]
arlequin (reprend) Quand la femme met la nappe,
Le mari paie l’écot.
Pour un jeune
damoiseau,
C’est bien troquer
en matoise
Sa miche pour
du gâteau.[38]
25 le jardinier (répond) Mais la fille de village
Se lasse de pain
au lait.
Le chat revient
au fromage,
Et la servante
au valet.
arlequin (reprend) Le pain bis pour le ménage
Vaut bien mieux
que le pain mollet.
(on continue à danser)
arlequin (au parterre) En faveur de notre fête,
Combien d’époux
à l’envi,
Sans me présenter
requête,
Vont changer de
femme aussi!
Mais tel qui sans
privilège
Cherche à rire
chez autrui,
Retrouve après
ce manège,
Le voisin qui
rit chez lui.[39]
Bibliografia
Attinger, Gustave,
L’esprit de la commedia dell’arte dans
le théâtre français, Genève, Slatkine, 1993.
de Luca, Emanuele, Il repertorio della Comédie-Italienne di Parigi
(1716-1762), Paris, IRPMF, 2011 (https://sharedocs.huma-num.fr/wl/?id=tpqei2P6t4tNouWWd0dEekHg4S4Yupnf&path=Repertorio.pdf).
Guardenti, Renzo, Gli Italiani a Parigi.
Miglierina, Stéphane Metateatralità e legittimazione comica nelle commedia di Dufresny per
Moureau, François,
Dufresny auteur dramatique (1657-1724),
Paris, Klincksieck, 1979.
Per
i commenti lessicali usiamo i dizionari di riferimento citati in Emanuele De Luca e Lucie Comparini, Le Théâtre italien di Evaristo Gherardi, in Anne Moduit de
Fatouville, La précaution inutile, a cura di Lucie Comparini, Biblioteca
Pregoldoniana, Venezia - Santiago de Compostela, lineadacqua, 2014, pp. 9-27 (http://www.usc.es/goldoni):
Trésor de
[1] Riprodotta in Guardenti, Gli Italiani a Parigi, cit., vol. II, p. 52.
[2] L’allusione è qui licenziosa, si riferisce alla dubbia verginità delle ragazze
presenti (cfr. la prefazione al testo).
[3] hon: esclamazione
di sorpresa, di dubbio e di scontento.
[4] douaire: lascito di un marito
alla moglie in caso di vedovanza.
[5] ouais: esclamazione di sorpresa
comune nel Seicento.
[6] Punta ironica da parte di Arlequin
che si inserisce nella satira della civetteria femminile cara a Dufresny: mentre
è già notte, i preparativi delle signorine non sono ancora finiti.
[7] attifer. Fam., vestire. Il termine non ha ancora il senso spregiativo moderno.
[8] caparaçonnées: metafora ippica applicata alle donne. I caparaçons sono le casacche prottetive e ornamentali dei cavalli nei
giorni di festa. La valenza iperbolica dell’immagine rafforza l’ironia della descrizione.
[9] réseau: retina per contenere i capelli.
[10] dans les affiches: negli annunci dei periodici.
[11] Tutta la battuta, oltre che
come una ridicolizzazione dell primo innamorato, può anche essere letta come un’allusione
alle qualità fisiche e recitative dell’attore (giovane, bello, ecc.).
[12] je l’aimerai toute seule sans
qu’il y soit: allusione comica poco velata a pratiche masturbatorie da
parte di Isabelle.
[13] Opposizione filosofica tra piacere e virtù: il piacere non può essere innocente.
Continuazione dell’allusione all’onanismo.
[14] La chèvre et les choux: in un esempio di finta erudizione, Pierrot mescola qui un proverbio popolare
di incerta origine (ménager la chèvre et le
choux, cioè cercare di conciliare due esigenze contrarie), che d’altronde non
ha un rapporto chiaro con il contesto in cui viene usato qui, e una citazione non
di Cicerone ma di Terenzio «ovem lupo committere» (Eunuchus, v. 832: affidare la capra al lupo). Sull’uso delle finte citazioni
in Dufresny, cfr. Moureau, Dufresny, cit., p. 223.
[15] lasser un corps: allacciare un corsetto.
[16] brimborions: piccoli oggetti senza valore, ma anche testicoli. Doppio senso comico in presenza
di uomini travestiti.
[17] aiguillière: letteralmente rete da
pesca, ma qui nel senso più ampio di reticella.
[18] licol: forma antica di licou, briglie.
[19] je ne la boirai pas: non la sopporterò.
[20] raboteuse: che presenta irregolarità
e imperfezioni. Qui, sgradevole.
[21] eau de la reine de Hongrie: famoso e pregiato profumo a base di rosmarino.
[22] Hippocrate dit que summum gaudium muliere dilatando occidit: citazione probabilmente apocrifa, con comicità sessuale, letteralmente
significa: «Hipocrate dice che il troppo gioire uccide le donne dilatandole». L’intera
scena è intrisa di riferimenti pseudo-medici con effetto comico: l’incontro tra
discorsi falsamente razionali e clichés
sulla disperazione dell’amore crea un dislivello comico tra le batutte di Arlequin
e Colombine (in modo simile a quelle di Pierrot e Colombine prima).
[23] bichon: cagnolino.
[24] Come spiegato nella Prefazione
al testo, il secondo atto è in gran parte in versi. Si tratta di alessandrini (con
qualche caso di versi ipermetri o ipometri) e decasillabi con alternanza di senari
e ottonari, e qualche caso isolato di quaternario e persino di trisillabi. Frequenti
le dieresi. Le rime sono baciate o alternate. L’alternanza di versi lunghi e brevi
deve essere interpretata come una volontà di mantenere un ritmo veloce alle battute,
provocando con la brevità di alcuni versi la sorpresa e il sorriso del pubblico
(ad esempio, II.2.7: la coquette usa improvvisamente due trisillabi, «Cette chaine
/ Qui me gène», tra un alessandrino e un decasillabo creando un effetto comico di
rottura del ritmo). Alcuni schemi regolari di lunghezza di versi ci permettono di
supporre l’esistenza di parti cantate anche non indicate dalle didascalie: ad esempio
II.2.31 dove la battuta di Arlequin, composta di alessandrini e ottonari viene conclusa
da un distico di senari, probabilmente un segno di punteggiatura musicale. Oltre
alle partiture segnalate e a queste ipotesi ritmiche, non abbiamo purtroppo altre
informazioni sul rapporto tra recitazione parlata e cantata nel secondo atto.
[25] muids: antica misura di capacità dei liquidi il cui valore è variabile secondo le
regioni ma che rappresenta tuttavia una grande quantità.
[26] ce visage: qui, spreggiativo, persona di cui si ha poca stima.
[27] célibatiquement: neologismo di Dufresny per creare
un alessandrino. Però la ragione non è soltanto metrica: l’allungamento della parola
e la creazione dell’avverbio permettono di insistere sul soggetto centrale della
commedia, il rapporto all’istituto del matrimonio. Il passaggio da prosa a verso
diventa quindi anche una fonte di comicità. Sui neologismi e le contaminazioni linguistiche
di Dufresny cfr. Moureau, Dufresny, cit., p. 224 e seguenti.
[28] franche lipée: buon pasto che non costa niente.
[29] aiguillon: dardo, con doppio senso
sessuale.
[30] gargotière: oste di un cabaret economico.
[31] caveçon: altro termine dell’ippica.
Anello di metallo nel naso dei cavalli. ♦ Patelinage: modi artificiosi e furbi.
[32] n’est point clair-net: non è del tutto onesto o, qui, naturale.
[33] Dautel, Fagnagny: mercanti di curiosità
del quai de
[34] la mettront sur le pied d’une
bonne amitié: la faranno diventare uguale a una vera amicizia.
[35] catin: moglie campagnola, ma
con doppio senso di prostituta.
[36] un témoin Normand: un testimone inaffidabile. I normanni erano noti per il loro carattere cavilloso
(cfr. Fatouville, La précaution inutile, a cura di Lucie
Comparini, cit.).
[37] plumets: soldati. ♦ gruger: rubare.
[38] en matoise: con l’astuzia e la furbizia di una volpe.
[39] In questa ultima battuta, rivolta allo spettatore, la morale è quindi quella
dello status quo matrimoniale, ma soprattutto
della necessità di ridere di ogni situazione e anche delle proprie sfortune.