Anne Moduit de Fatouville

 

La Précaution inutile

 

a cura di Lucie Comparini

 

*    *    *

 

Con un’introduzione di Emanuele De Luca

e Lucie Comparini

 

Biblioteca Pregoldoniana

 

lineadacqua edizioni

 

2014

 

 

 

Anne Moduit de Fatouville

La Précaution inutile

a cura di Lucie Comparini

con un’introduzione di Emanuele De Luca e Lucie Comparini

 

Ó 2014 Lucie Comparini

Ó 2014 Emanuele De Luca e Lucie Comparini (per «Le Théâtre italien di Evaristo Gherardi. Introduzione»)

Ó 2014 lineadacqua edizioni

 

Biblioteca Pregoldoniana, nº 6

Collana diretta da Javier Gutiérrez Carou

www.usc.es/goldoni

javier.gutierrez.carou@usc.es

Venezia - Santiago de Compostela

 

lineadacqua edizioni

san marco 3717/d

30124 Venezia

www.lineadacqua.com

 

ISBN dell’edizione completa: 978-88-95598-36-9

 

La presente edizione è risultato dalle attività svolte nell’ambito del progetto di ricerca Archivo del teatro pregoldoniano (FFI2011-23663) finanziato dal Ministerio de Economía y Competitividad spagnolo. Lettura, stampa e citazione (indicando nome dei curatori, titolo e sito web) con finalità scientifiche sono permesse gratuitamente. È vietato qualsiasi utilizzo o riproduzione del testo a scopo commerciale (o con qualsiasi altra finalità differente dalla ricerca e dalla diffusione culturale) senza l’esplicita autorizzazione dei curatori.

 

 

 

Biblioteca Pregoldoniana, nº 6

 

 

 

Nota al testo

 

Edizione di riferimento e prima edizione de La Précaution inutile:

Le / Theatre / Italien / de / Gherardi, / ou / Le Recueil General / de toutes les Comedies & Scenes Françoises jouées par les Comediens Italiens du Roy, pendant tout le temps qu’ils ont été au Service. / Enrichi d’Estampes en Taille-douce à la tête de chaque Comedie, à la fin de laquelle tous les Airs qu’on y a chantez se trouvent gravez notez avec leur Basse-continue chiffrée. / A Paris, / chez Jean-Baptiste Cusson et Pierre Witte, rue S. Jacques, au nom de Jésus. / M. DCC. / Avec Privilège du Roy,vol. I, pp. 520-648.

 

Frontespizio:

la PRECAUTION inutile./comedie en trois actes,/mise au theatre/ Par Monsieur D***/et representée pour la première fois par les Comediens Italiens du Roi dans leur Hostel de Bourgogne, le cinquiéme jour de Mars 1692, p. 520.

La lista dei personaggi (Acteurs) segue la pagina frontespizio, p. 521.

 

Incisione:

Disegno e incisione su rame di Franz Ertinger[1] (Colmar, 1640-1710), mm. 134x76. L’illustrazione appare dopo la lista dei personaggi, senza numero di pagina, in realtà è la p. 522. È firmata Ertinger sotto il quadro dell’incisione a destra. Come molti altri disegni dello stesso artista nella raccolta Gherardi, quello de La Précaution inutile offre allo sguardo un’ampia prospettiva particolarmente curata, qui architettonica visto l’ambiente prettamente urbano della commedia. Sotto i personaggi principali riprodotti figura il loro nome: Gofichon (al posto di Gaufichon), Léandre e Colombine.

La commedia vera e propria inizia a pagina 523 e riproduce il titolo:

la PRECAUTION inutile./ ACTE I./ acte i.

 

 

 

LA PRÉCAUTION INUTILE

 

Comédie en trois actes

 

Mise au théâtre par Monsieur D*** [Anne Moduit de Fatouville] et représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens du Roi dans leur Hôtel de Bourgogne, le cinquième jour de mars 1692.

 

Acteurs[2]

 

gaufichon, amant d’Isabelle.

colombine, sœur de Gaufichon.

marinette, servante de Gaufichon.

pasquariel,

pierrot, valets de Gaufichon.[3]

le docteur, futur de Colombine.

léandre, amant de Colombine.

isabelle, cousine de Léandre.

mezzetin,

arlequin, valets de Léandre.

Un cocher.[4]

Une porteuse d’eau.

Une cuisinière.[5]

Un crocheteur.

Deux notaires.[6]

Deux laquais.[7]

le baron des fourneaux.[8]

Un marchand anglais.[9]

Un cocher.[10]

[la comtesse d’entremise, voisine].[11]

[Un maçon].

[Un serrurier].[12]

[Un garçon tailleur].[13]

 

 

La scène est à Paris.

 

 

 

                                   ACTE I

 

 

                                   SCENE I

 

                                   Le théâtre représente l’appartement d’Isabelle.

 

                                    Isabelle, Colombine, Gaufichon, Le Docteur, Léandre, assis, Mezzetin et Pierrot, debout.

 

            isabelle         J’ai grand peur qu’à la fin nos conférences ne dégénèrent en conversations languissantes, puisqu’en toute l’après-dînée personne n’a voulu s’expliquer sur l’âme des bêtes. Je ne m’érige point en fille de décision; mais, n’en déplaise à Descartes, il fallait qu’il eût l’esprit en écharpe[14] quand il a soutenu que les bêtes n’ont point d’âme, et que ce sont des machines qui n’agissent que par ressorts. Quoi? Mon chien, mon chien Citron n’est ni sensible, ni raisonnable? Et les caresses qu’il me fait ne partiraient point d’un véritable principe d’amitié? Je dévisagerais la philosophie[15] en personne, si elle m’osait faire une si brutale proposition. La seule fidélité de mon chien vaut mieux, selon moi, que la raison de tous les hommes ensemble.

 

            colombine    Vous ne savez donc pas, Mademoiselle, qu’il ne faut qu’être ou philosophe ou docteur, pour avoir la cervelle démontée?

 

            gaufichon    Ma sœur, songez-vous que demain vous serez la femme d’un docteur?

 

            colombine    Ce sont de petites chaleurs de foie qui n’offensent point notre amitié. Les chiens pour cela n’en sont pas moins des machines.

 

5          léandre        Et moi, si j’étais fille, un homme aurait cent mille livres de rente, que je ne l’épouserais pas s’il était de cette maudite opinion-là.

 

            gaufichon    (d’un air brusque et se levant de dessus son siège) Comment dites-vous cela, Monsieur? Quoique vous soyez chez votre cousine, apprenez qu’il faut parler sans choquer le monde.

 

            isabelle         Ah, point de chaleurs, Messieurs, je vous en conjure. Prenons plutôt quelque autre matière où personne ne s’intéresse.[16]

 

            colombine    Et pour éviter les partialités de philosophie, disons chacun notre avis sur la chose qui nous paraîtra la plus difficile.

 

            pierrot          Je l’ai pargué[17] trouvée tout au premier coup. Tenez, la chose la plus difficile à un valet, c’est d’être payé de ses gages.

 

10        le docteur   Maraud![18] Si je prends un bâton, je vous apprendrai...

 

            pierrot          Est-ce que ce n’est pas ici une académie, où les habiles gens parlent tant que bon leur semble?

 

            isabelle         Je suis persuadée que rien au monde n’est si difficile que de trouver un mari sans défaut.

 

            gaufichon    Bon! Voilà pour mon compte.

 

            isabelle         Écoutez, je suis de bonne foi, je dis les choses comme je les pense. Vous êtes un fort galant homme, aimant la dépense et les honnêtes plaisirs; mais sur le chapitre des femmes, vous avez quelquefois de certaines nuances d’humeur un peu trop brunes. Sans ce petit défaut-là vous seriez incomparable. Comme je dois être votre femme, je vous parle à cœur ouvert.

 

15        colombine    Mon frère, vous ne sauriez vous fâcher; Mademoiselle vous parle avec une grande délicatesse.

 

            isabelle         (à Colombine) Et vous, ma chère belle, ne diriez-vous point votre sentiment?

 

            colombine    Je n’ai pas encore grand usage du monde; mais rien ne me paraît plus difficile que de refuser son cœur à un galant homme qui tâche de le mériter par des soins assidus et par une attache désintéressée.

 

            isabelle         Elle a raison; et il est impossible de rien trouver de plus juste.

 

            gaufichon    (vers Le Docteur) Il me semble que ma sœur se déclare assez ouvertement pour vous.

 

20        colombine    Vous rêvez, mon frère! Une fille sage ne se déclare pour personne, et ce que j’en dis n’est que par manière de conversation.

 

            le docteur   La modestie, la modestie!

 

            mezzetin       Vous n’y entendez rien, tous, tant que vous êtes. La chose présentement la plus difficile, c’est de trouver de l’argent à emprunter.

 

            isabelle         Léandre nous écouteras-t-il sans rien dire?

 

            léandre        Pour moi, je suis convaincu que la chose la plus difficile est de contraindre l’inclination d’une fille raisonnable, et qu’un homme est un fou quand il se met en tête de l’enfermer pour en venir à bout.

 

25        gaufichon    (d’un air de colère, et se tournant vers Léandre) Monsieur le fanfaron, est-ce pour m’insulter que vous tenez un pareil discours? Sachez, ventrebleu, que je destine que destine ma sœur à Monsieur le Docteur Balouard, et que trente plumets[19] comme vous ne la détourneraient pas d’un aussi bon rencontre.

 

            isabelle         Oh, pour le coup, Monsieur Gaufichon, vos manières sont trop emportées.

 

            léandre        Je suis perdu, Mademoiselle, si vous ne me défendez.

 

            isabelle         Quoi? Contre tous venants, et sans aucune raison, vous prendrez l’affirmative?[20]

 

            gaufichon    Je prends tout ce qu’il faut prendre, mais je ne veux point être pris pour dupe, et un homme est un fat, quand il n’est pas le maître de sa famille.

 

30        colombine    Mon frère, vous extravaguez.

 

            gaufichon    Ma petite sœur, plus de commerce, s’il vous plaît, avec tant de beaux esprits. Allons vite, regagnez la maison. Monsieur le Docteur, je vous la confie. (le Docteur présente la main à Colombine)

 

            colombine    (d’un air de mépris) Je marche fort bien toute seule, Monsieur. (prenant congé d’Isabelle et la baisant) Je suis fâchée, ma chère Demoiselle, d’un si bizarre contretemps. Il faut espérer que l’esprit de mon frère se mûrira. (Colombine et le Docteur se retirent)

 

            isabelle         (à part) Nous y allons donner bon ordre. (à Gaufichon) Monsieur Gaufichon, souffrez que je vous dise, que je suis très mal édifiée de vos manières, et que vos brusqueries me donnent beaucoup à penser. Quoi? Si je suis votre femme, et qu’une mouche vous passe devant les yeux, vous m’enfermerez comme vous enfermez votre sœur?

 

            gaufichon    Quand vous serez ma femme, s’il vous prend en gré d’être folle, je prendrai, moi, des mesures pour vous en empêcher.

 

35        léandre        Monsieur est sincère.

 

            gaufichon    Quant à ma sœur, il ne vous déplaira pas que je la fasse observer de près jusqu’au moment de ses noces, qui sera tout au plus tard demain au soir. Mes mesures sont si bien prises, que je défie messieurs du grand air d’en approcher.

 

            isabelle         Monsieur, vous prenez le train de faire rire le monde à vos dépens. Apprenez de moi, que la garde d’une femme est de toutes les précautions la plus inutile, et que dans une ville comme Paris, il se passe bien des choses en vingt-quatre heures.

 

            gaufichon    Il ne s’y passera mardi rien avec un homme aussi clairvoyant que moi. De la manière que ma maison sera barricadée, les blondins n’ont qu’à s’y frotter. (il s’en va)[21]

 

            mezzetin       Il y a plus d’une demi-heure que je perds patience. Ah! Quel plaisir d’en faire tâter à un barricadeur de maisons!

40        isabelle         Le pauvre homme est à plaindre: il s’est mis en tête que pour s’assurer d’une femme, il faut la garder à vue. Comme je dois l’épouser, je serais bien aise de le guérir de sa manie.

 

            léandre        La chose n’est pas impossible. Sa sœur est aimable, et si je pouvais trouver les moyens de lui plaire, je me ferais un grand plaisir de la souffler au Docteur.

 

            mezzetin       S’il ne faut que les moyens, je vous en fournirai une montagne. Malgré les sentinelles qui gardent sa maison, j’y ferai entrer des gens qui le désoleront; et si demain au soir vous n’êtes pas le mari de sa sœur, tenez-moi pour le plus indigne fourbe… (vers Isabelle) Mademoiselle, vous nous prêterez la main.

 

            isabelle         Comptez sur moi hardiment.

 

            mezzetin       Allons, il n’y a pas un moment à perdre! Je m’en vais prendre, en passant, un nommé Arlequin mon associé. Avec le secours de cet homme-là, vous allez diablement rire. Oh! Les femmes de Paris ne s’enferment pas comme cela à clef.

 

 

                                   SCENE II

 

                                   Le théâtre représente la rue.

 

                                   Arlequin à moitié ivre, Gaufichon. [puis Mezzetin].[22]

 

            arlequin       (sans voir Gaufichon) Allons, voilà qui est fait, plus de commerce, plus de commerce avec des ivrognes; encore, quand mon ami ne boit que trois ou quatre pintes de vin pour se désaltérer, ah, patience; mais, mardi, passer toute sa vie, oui toute sa vie, au cabaret comme un ivrogne; oh, vous en aurez menti, Monsieur Mezzetin; et dès à présent voilà la société rompue, rompue, ce qu’on appelle rompue. Aussi bien, le métier de fourbe produit beaucoup d’étrivières,[23] et très peu d’argent. J’aime mieux chercher quelque condition paisible, où je puisse rouler cette malheureuse vie avec plus de repos. Car c’est mardi le repos qui fait que l’homme se repose, et que… (apercevant Gaufichon) Voici une espèce de bourgeois, qui serait peut-être mon affaire. Observons son humeur et sa contenance. (il embrasse un châssis de la décoration pour se soutenir)

 

            gaufichon    (sans apercevoir Arlequin) Ouais! De la manière que tout le monde en parle, c’est donc quelque chose de bien terrible que de garder une femme? Oh, je prétends moi, apprendre aujourd’hui à tout le monde qu’il n’est rien de plus facile, et que la seule faiblesse des hommes rend les femmes orgueilleuses et insupportables. C’est pour ne pas avoir le démenti, que j’ai envoyé chercher un maçon et un serrurier, pour faire boucher tous les endroits de ma maison par où l’on peut m’insulter; en ces rencontres-ci la défiance est la mère de sûreté. (Il s’en va)

 

            arlequin       Oh, que je ne me fourre pas dans cette peste de condition-là! Pour un homme vêtu de noir, je n’ai jamais vu un si fantasque personnage; et par où diable sa maison pourra-t-elle respirer, s’il en fait boucher tous les trous? (apercevant Mezzetin) Que le diable t’emporte. D’où viens-tu?

 

            mezzetin       Tais-toi, ivrogne.

 

5          arlequin       Ivrogne, il y a deux jours que je n’ai ni bu ni mangé.

 

            mezzetin       Tais-toi, te dis-je, j’ai fait ta fortune, et c’est hasard si nous n’allons pas en carrosse de cette affaire-ci.

 

            arlequin       Dieu nous préserve seulement d’aller en charrette,[24] ce ne sera pas mal gagné.

 

            mezzetin       Il y a un certain bourru qui enferme sa sœur pour empêcher qu’on ne lui parle de mariage. En un mot comme en cent, j’ai promis à Léandre que demain elle serait sa femme. Après cela nous serons riches; car c’est le plus libéral homme…

 

            arlequin       Comment est fait cet honnête geôlier-là?

 

10        mezzetin       C’est un grand petit homme, qui a un rabat blanc, un manteau noir, et une perruque blonde.

 

            arlequin       Justement, c’est lui qui vient de passer par là. Il cherche un maçon et un serrurier pour calfeutrer toute sa maison.

 

            mezzetin       Un maçon et un serrurier? Ah, vite, mon pauvre Arlequin, et vite! Voilà dix pistoles chacun qui nous sautent au collet; courons nous habiller brusquement en maçon et en serrurier. (ils s’en vont)

 

 

                                   SCENE III

 

                                   Colombine, Pasquariel, Gaufichon en dedans. [puis Arlequin, Mezzetin].

 

            colombine    Te voilà bien échauffé, Pasquariel, d’où viens-tu?

 

            pasquariel    Monsieur m’a défendu de vous le dire, je viens pourtant de chercher un maçon et un serrurier.

 

            colombine    Ne sais-tu point ce qu’il en veut faire?

 

            pasquariel    Non, mais je voudrais savoir où il est.

 

                                   (Gaufichon appelle Pasquariel)

 

5          colombine    Cours au devant de lui. Je m’en vais me cacher pour entendre plus facilement ce qu’ils diront. (elle se retire et Gaufichon entre)

 

            pasquariel    (allant au-devant de Gaufichon) Monsieur, je vous cherche à pied et à cheval, pour vous avertir que ce maçon et ce serrurier sont là-bas.

 

            gaufichon    Fais-les vitement entrer, et surtout empêche ma sœur d’approcher d’ici jusqu’à ce qu’ils soient sortis; c’est une curieuse poulette, dont on ne saurait trop se défier.

 

                                   (arrivent Arlequin en maçon, et Mezzetin en serrurier)

 

            gaufichon    Mes enfants, soyez les bienvenus.

 

            arlequin       Pour un autre que vous, Monsieur, nous n’aurions jamais quitté l’atelier.

 

10        mezzetin       Est-on pas bien aise d’obliger parfois d’honnête monde?

 

            gaufichon    Je vous en remercie de bien bon cœur. Écoutez, mes amis, ma besogne est fort pressée.

 

            arlequin       Eh bien, Monsieur, il s’y faut mettre. Pour moi, paroles ne puent point, j’achève une chausse[25] à privé; je n’en ai pas encore pour la moitié de la semaine.

 

            gaufichon    Ce n’est pas là mon compte. Il faut tout à l’heure me boucher des soupiraux de cave, et une porte de jardin. Mais si cela n’est achevé ce soir, je n’ai que faire de vous.

 

            mezzetin       Allons, compère, allons, Monsieur est bon vivant. Pourvu que l’ouvrier gagne petitement sa petite vie, qu’importe avec qui?

 

15        gaufichon    (vers le serrurier) Et vous, mon maître, n’auriez-vous point cinq ou six bonnes grilles de fenêtres toutes prêtes à poser? Mais il faudrait que ce fût d’un bon gros fer.

 

            arlequin       C’est votre vrai homme, Monsieur, il serre toutes les prisons de Paris.

 

            gaufichon    N’auriez-vous point aussi une petite plaque de fer percée à jour, pour boucher l’évier de ma cuisine? Mais il faudrait que les trous fussent si petits, qu’on n’y pût faire passer ni lettres ni billets.

 

            mezzetin       Voilà bien du service que vous demandez là. Je forgerai bien la plaque de fer; mais je n’ai encore jamais mis ni lettres ni billets sur l’enclume.

 

            gaufichon    Il faut que je vous ouvre mon cœur. Mettez vos chapeaux, Messieurs, je vous en prie, mettez, mettez, sans façon.

 

20        arlequin

            et mezzetin   (ensemble) Pour vous obéir, Monsieur.

 

            gaufichon    J’ai chez moi une sœur aimable et riche.

 

            mezzetin       Apparemment vous ne manquez pas de chalands?

 

            gaufichon    Je la veux marier à un de mes amis, véritablement un peu âgé, mais d’ailleurs fort honnête homme.

 

            arlequin       Monsieur, ne vous y trompez pas, au moins. La vieillesse ne ragoûte guère une jeune fille.

 

25        gaufichon    On m’a averti que de certains étourdis rôdent autour de ma maison pour lui faire tenir des lettres, et pour tâcher de l’enlever.

 

            mezzetin       Franchement, les jeunes gens sont entreprenants.

 

            gaufichon    Pour éviter ce malheur, je veux mettre de bonnes grilles aux fenêtres qui donnent sur la rue, boucher tous les soupiraux, même la porte du jardin, et tenir ma drôlesse si étroitement enfermée, que personne ne puisse l’aborder.

 

            mezzetin       Monsieur, nous avez-vous fait venir ici pour nous faire pendre?

 

            gaufichon    Comment donc?

 

30        arlequin       Quoi? Vous ne savez pas que la police a fait mettre une pancarte aux coins des rues, qui défend sur peine de la vie à tous ouvriers de prêter la main à enfermer des filles ou des femmes, à cause que ces drôlesses-là d’aucunes fois se jettent la tête la première par les fenêtres d’un grenier?

 

            mezzetin       Bon! Il y en a bien une qui a eu la malice de se précipiter d’un troisième étage sur une charretée de foin, pour faire accroire que son mari lui avait rompu le cou.

 

            arlequin       Tout franc, ces oiseaux-là se plaisent à leur liberté. Sans cela on n’en a pas de joie.

 

            gaufichon    Ah! La méchante vermine!

 

            mezzetin       Je serions[26] à votre service sans cette maudite pancarte. Mais la justice est fière, et veut être obéie.

 

35        gaufichon    N’en déplaise à la justice, voilà un règlement bien cruel. Quoi, il ne m’est pas permis de gouverner ma sœur à ma mode? Ah, que les femmes sont heureuses à Paris!

 

            arlequin       C’est bien pis, Monsieur, on nous pend haut et court, quand je n’allons pas renoncer[27] à la justice ceux qui font de ces méchants coups-là?

 

            gaufichon    Mes amis, vous ne voudriez pas me perdre?

 

            mezzetin       (tirant à part Gaufichon) Voulez-vous me croire, Monsieur? Donnez une dizaine de pistoles à ce misérable-là, vous lui fermerez la bouche. Tous les maçons n’ont ni foi ni loi et un gueux comme cela ne demanderait pas mieux que de vous faire pièce.[28]

 

            gaufichon    (à Mezzetin) Tu as raison: il ne faut pas pour dix pistoles s’attirer une méchante affaire. Tiens, prends le soin de le contenter.

 

40        mezzetin       Je m’en vais les lui donner sans faire semblant de rien.

 

                                   (Ils sortent en faisant des révérences)

 

            gaufichon    (seul) Sur ce pied-là, je conviens que les femmes ont raison de faire enrager les hommes.

 

            arlequin       (revenant) Je viens vous remercier, Monsieur, de votre honnêteté.

 

            gaufichon    Tu te moques, mon enfant, cela ne vaut pas la peine.

 

            arlequin       (le tire par la manche et lui dit à l’oreille) Dites-moi, Monsieur, avez-vous donné quelque chose à ce bélître[29] de serrurier?

 

45        gaufichon    Non, il ne m’a rien demandé.

 

            arlequin       Tant pis! C’est hasard si ce coquin n’est allé renoncer chez le commissaire tout ce qu’il vous a entendu dire.

 

            gaufichon    Aurait-il bien l’âme assez noire?

 

            arlequin       Il n’a pas tenu à lui que son père n’ait été roué vif. C’est le plus abominable homme que la terre ait jamais porté; écoutez, vous ne feriez point trop mal d’apaiser cet enragé-là. Il ne faut pas vous flatter, il n’y a plus de quartier présentement pour ceux qui enferment les femmes. La justice ne demanderait pas mieux que de sucer un homme riche comme vous. Ce que je vous en dis, moi, vous pouvez croire…

 

            gaufichon    (lui donnant de l’argent) Pour ne pas faire de jalousie, donnez-lui aussi dix pistoles, mais après cela ne me trahissez pas.

 

50        arlequin       Mon camarade et moi, Monsieur, sur l’honneur, nous ne craignons personne. Et fi! Serait-ce avoir de la conscience de prendre de l’argent d’un homme pour se moquer de lui? Ah! Que vous êtes heureux d’être tombé entre nos mains! Il y a mille fripons qui ne s’en tiendraient pas là, non. (Il s’en va)

 

            gaufichon    Encore, n’est-ce pas tout perdre de sortir d’un bourbier pour vingt pistoles.

 

            colombine    (sortant de l’endroit où elle s’était cachée) Apparemment, mon frère, vous vendez votre maison pour faire une conciergerie, car je vous entends parler de grilles de fer, de portes bouchées, et d’autres ouvrages qui sentent beaucoup la prison.

 

            gaufichon    Ma chère sœur, je vous crois une fille très sage, très honnête, et très raisonnable; mais avec tout cela, ma mie, il n’est point défendu de prendre ses petites sûretés.[30]

 

            colombine    La meilleur que vous pouvez prendre avec une fille de mon humeur et de mon caractère, c’est de me donner en garde à moi-même, autrement vous courez grand risque d’être la dupe de vos sentinelles et de vos barreaux de fer. Eh, bon Dieu, avez-vous déjà oublié les oracles de Molière, qui vous a dit si précisément:

                                               «Les verrous et les grilles

                                               Ne font pas la vertu des femmes et des filles»?

                                   Et après des avis si salutaires vous ne mettez point d’eau dans votre vin?

 

55        pasquariel    (arrivant tout effaré) Monsieur, je viens de sauver la vie à un pauvre marchand de bas d’Angleterre. Ai-je mal fait?

 

            gaufichon    Tout au contraire.

 

            pasquariel    Cinq ou six canailles vêtues de noir, comme vous pouvez l’être, l’ont pris au collet, et lui ont donné mille coups. Moi, comme j’ai vu qu’on assommait ce pauvre homme, je l’ai fait entrer dans la cour, et leur ai poussé la porte au nez.

 

            colombine    Vous avez très bien fait.

 

            gaufichon    Ne sait-on point les noms de ces misérables-là?

 

60        pasquariel    Nos voisins disent que ce sont les jurés bâtiers de Paris… Eh-là, vous m’entendez bien, ceux qui vendent des bas?

 

            gaufichon    Eh bien?

 

            pasquariel    Ces drôles-là prétendent à cause… Parce que… Et puis… Je vous dis, Monsieur, que sans moi il serait arrivé mort d’homme.

 

            gaufichon    Va le faire monter. S’il a quelque chose de beau, j’en ferai présent à ma sœur, car ma joie souveraine est de la voir propre.

 

            colombine    Et la mienne serait de vous voir un peu plus raisonnable.

 

 

                                   SCENE IV

 

                                   Mezzetin en marchand anglais, Gaufichon, Colombine.

 

            mezzetin       (baragouinant) Je demander pardon, monsir, de mon hardiesse que je prender de réfugier moi dans vos maison.[31]

 

            gaufichon    Vous m’avez fait plaisir.

 

            colombine    Mon pauvre Monsieur, quelle disgrâce vous vient-il d’arriver là-bas dans notre rue?

 

            mezzetin       Pas ain grand-chose, Mamiselle. L’ais ain petit difran que j’avir avec le marchand bonnetier, qui vouloir confisquir mon marchandise pour pritexte que n’y avoir point de commerce avec l’Inguilterre.[32]

 

5          colombine    Fi, ce sont des brutaux. Voyez, je vous prie, empêcher un pauvre étranger de gagner sa vie!

 

            gaufichon    Avez-vous là quelque chose d’extraordinairement beau?

 

            mezzetin       Dans tous les magasins di monde vous ne trouvir pas d’aussi bon ouvrage, ni d’ain plis beau couleur.

 

            colombine    (après en avoir regardé une paire) Ah, mon frère, qu’ils sont beaux et fins! (vers le marchand) Monsieur, combien les vendez-vous la paire?

 

            mezzetin       Vous ne point marchandir? Eh bien, à cause de li guerre, je vous vendre le paire que quarante-cinq sols.

 

10        gaufichon    Il se moque. J’ai vu vendre autrefois ces bas-là six écus, et même jusqu’à deux louis d’or.

 

            colombine    Ne serait-ce point aussi des bas dérobés?

 

            gaufichon    Eh pourquoi, ma sœur, faire affront à ce pauvre marchand?

 

            mezzetin       Pour que vous connaître que j’avoir ain bon conscience, et mon marchandise n’être point dérobée, tenez, Mamiselle, felà mon littre de voiture[33] de mon corrispondant. (à Colombine, bas) C’est une lettre de Monsieur Léandre.

 

            colombine    (lit la lettre bas) «Mon cœur véritablement amoureux se fait un plaisir de tromper la vigilance de ceux qui vous gardent».

 

15        gaufichon    (regardant les bas) Ceux-ci me paraissent un peu plus gros.

 

            colombine    (continuant de lire) «Pour peu que vous correspondiez à ma tendresse, l’amour me fournira des moyens infaillibles pour vous délivrer bientôt du frère qui vous obsède,[34] et du Docteur qu’on vous destine».

 

            mezzetin       Tenez, sti douzaine est fort bien égal,[35] Monsir, et vous l’y point trouver à redire.

 

            gaufichon    Non plus que vous, ma sœur, je ne comprends pas comme ce pauvre homme peut donner ses bas à si bon marché. Je vous prie, que je voie la lettre de voiture.

 

            colombine    (refusant de la donner) Vous ne connaîtrez rien au chiffre ni au baragouin.

 

20        gaufichon    J’en ai bien démêlé d’autres.

 

            colombine    (refusant toujours de donner le papier) Je vous dis, mon frère, que sans être de leur négoce, on n’y peut rien comprendre. (elle veut rendre le papier à Mezzetin, et dans le temps qu’elle lui donne, Gaufichon le prend)

 

            gaufichon    Voyons si je n’y comprendrai rien. (pendant qu’il ouvre le papier, Mezzetin s’en va d’un côté, et Colombine de l’autre. Gaufichon lit) «Mon cœur véritablement amoureux se fait un plaisir de tromper la vigilance de ceux qui vous gardent. Pour peu que vous correspondiez à ma tendresse, l’amour me fournira des moyens infaillibles pour vous délivrer bientôt du frère qui vous obsède, et du docteur qu’on vous destine. Le porteur vous dira qui je suis». (après avoir lu il se voit seul et dit) Les chiffres et le baragouin sont pourtant fort intelligibles. (faisant des réflexions) Un marchand maltraité devant ma porte! Des bas couleur de feu à quarante-cinq sols la paire! Une lettre de voiture! Qui diable ne donnerait pas dans des panneaux si adroitement tendus? Ah, maudite ville de Paris! Il n’y a que toi au monde qui fournisse des inventions si diaboliques. Nous verrons quel bon emplâtre ma sœur mettra sur cette lettre-ci.

 

 

                                   SCENE V

 

                                   Gaufichon, Le Docteur. [puis Pasquariel, Pierrot en porteuse d’eau, Colombine].

 

            gaufichon    (apercevant le Docteur, met la lettre dans sa poche, et dit à part) Tâchons de nous contenir devant Monsieur le Docteur.

 

            docteur        Monsieur Gaufichon, vous voyez un homme qui meurt d’impatience d’être votre beau-frère.

 

            gaufichon    La carrière ne sera pas encore bien longue. Je me flatte que demain au soir vous serez au comble de vos vœux.

            pasquariel    (tirant Gaufichon à part) La porteuse d’eau, Monsieur, frappe à la porte, la laisserai-je entrer?

 

5          gaufichon    Maraud, veux-tu que nous mourions de soif? Ce n’est pas à ces gens-là qu’il faut refuser la porte.

 

            pasquariel    Il n’entrera pas une mouche que par votre ordre. (il s’en va, et la porteuse d’eau entre)

 

            docteur        Je ne sais comment reconnaître l’amitié que Mademoiselle votre sœur a pour moi.

 

            gaufichon    Ma sœur est une bonne fille, qui aimera toujours ce qu’elle aimera une fois.

 

            docteur        Je lui ai fait faire un carrosse, des meubles, un équipage, enfin je n’ai rien épargné pour lui plaire. Entre nous, elle pourrait épouser un homme plus jeune, mais je suis sûr…

 

            gaufichon    Vous moquez-vous, Monsieur? Vous avez mille bons endroits qui réparent votre âge, et ma sœur est trop heureuse…

 

10        docteur        Ne nous flattons point. Mon meilleur endroit est ma fortune. Mais si l’on peut se rendre supportable avec de l’argent…

 

            gaufichon    Cela n’y nuit pas.

 

            le docteur   Eh bien, comptez que je lui donne tout mon bien par contrat de mariage.

 

            gaufichon    La belle passion! Les jeunes gens n’aiment point comme cela.

 

            pierrot          (en porteuse d’eau, heurte rudement le Docteur avec ses seaux, et dit à Gaufichon) Monsieur, vous avez là un galefretier à votre porte; si ce n’était votre respect, je lui accommoderais un soufflet sur le visage. Il vous en faut, ma foi, des filles pour batifoler.[36]

 

15        gaufichon    Ne vois-tu pas bien, Dame Claude, que c’est un folâtre?

 

            pierrot          Qu’il aille folâtrer avec des drues qui le trouveront bon. Tout franc, je n’aime point qu’ils se sarvent de leurs mains. Il semble avis à ce maroufle-là, qu’il n’y a qu’à se baiser et à prendre.[37]

 

            pasquariel    (à Pierrot) Allons, vilaine chocaillon,[38] sortez d’ici, vous importunez Monsieur.

 

            pierrot          Infâme sac à vin, tu as la hardiesse de frapper une femme grosse? Un commissaire, un commissaire! (en se tiraillant l’un et l’autre, la porteuse d’eau laisse tomber son bonnet et une lettre que Gaufichon ramasse)

 

            gaufichon    De l’écriture de ma sœur! Pasquariel, qu’on arrête cette porteuse d’eau, et qu’on l’enferme.

 

20        le docteur   Est-ce qu’elle a dérobé quelque chose?

 

            gaufichon    C’est bien pis, la maraude! Me faire à moi de ces affronts-là!

 

            le docteur   Ne saurais-je point le sujet de votre chagrin?

 

            gaufichon    Très volontiers. Qu’on appelle ma sœur. (se tournant vers le Docteur) Ah, mon cher ami, le Ciel m’afflige par d’étranges endroits. (à Colombine qui paraît) Nous avons besoin de vous, Mademoiselle, pour l’éclaircissement d’un mystère où vous avez quelque part. (il lui donne la lettre qui était tombée du bonnet de la porteuse d’eau). Tenez, vous n’aurez pas de peine à connaître votre écriture.

 

            colombine    (à part et surprise) Mon billet entre les mains de mon frère! Il faut ici jouer de tête. (vers son frère d’un air serein et tranquille) Il ne me faut pas donner la question pour me faire convenir que ce billet est de ma main. Oui, mon frère, je l’ai écrit, je l’ai dû écrire, et vous m’en devriez remercier. (elle lui rend fièrement le billet)

 

25        gaufichon    Peut-être n’ai-je pas bien lu. (il lit tout haut le billet) «Vos sentiments, Monsieur, sont trop sincères et votre passion trop honnête pour n’y pas correspondre. C’est vous en dire assez pour vous faire comprendre que j’approuve votre entreprise, pourvu que la violence n’ait point de part à ce que vous entreprendrez». (après avoir lu) Si on vous en veut croire, je vous ai de grandes obligations d’un si tendre billet.

 

            colombine    (feignant d’être en colère) Oui, vous m’en avez trop, et vous ne méritez pas que je travaille si prudemment à la sûreté de votre vie. Je n’en veux point d’autre juge que Monsieur le Docteur.

 

            le docteur   Votre confiance, Mademoiselle, est une marque certaine de votre amitié.

 

            gaufichon    Expliquez-nous donc votre énigme.

 

            colombine    Mon énigme est fort claire à qui la veut entendre. (à part) Soutenons la gageure jusqu’au bout. (haut) Depuis plus d’un an un capitaine des bombardiers, nommé Monsieur de Brise-Roche,[39] me trouve fort à son gré. Par malheur pour lui, il n’est point du tout au mien. Je serais bien folle de ne pas préférer Monsieur Balouard à un brûleur de poudre à canon.

 

30        le docteur   Ah! Ma belle Demoiselle…

 

            colombine    Malgré ma froideur cet homme ne laisse pas de m’aimer. Il questionne les domestiques, il veut savoir s’il y a une cave sous l’appartement de mon frère; cela ne se demande pas pour rien. Enfin ayant appris que je m’allais marier avec Monsieur le Docteur, on m’a avertie de bonne part, qu’il est pis qu’enragé, et qu’on le voit rôder tous les jours autour du logis avec des officiers de dragons et de grenadiers. Ces messieurs-là, comme vous savez, tuent les gens comme des mouches; et puis que sait-on si un furibond, dans le désespoir, ne ferait point jeter quelque bombe dans une cave pour faire sauter mon frère avec la maison?

 

            gaufichon    Dieu m’en préserve.

 

            colombine    Ce qui me ferait croire qu’il a quelque mauvais dessein, c’est que dans une lettre qu’il m’a tantôt envoyée par un marchand anglais, il marque à la fin, autant que je m’en puis souvenir, qu’il a des moyens infaillibles pour me délivrer de mon frère et de Monsieur le Docteur.

 

            le docteur   Qu’il s’en donne bien de garde. J’aimerais mieux encore mourir garçon.

 

35        colombine    Il ne s’en est pas tenu là, non, il a forcé notre porteuse d’eau à venir demander la réponse de sa lettre. Moi bonnement, pour calmer l’esprit d’un furieux, et pour éviter quelque fâcheux malheur, j’ai risqué un misérable billet de trois lignes, où je feins d’être un peu sensible à sa passion; et dans le même billet je le prie de ne point entreprendre de violence. Là-dessus mon frère prend la chèvre. Voyez, Monsieur, si j’ai grand tort, et s’il eût été plus à propos de vous laisser tous deux égorger. Pour ma justification, il n’y a qu’à lire le bas de sa lettre, et ma réponse. (à part) Voilà mes gens qui s’ébranlent, nous en aurons bientôt raison.

 

            le docteur   Écoutez, Monsieur Gaufichon, tout cela gît au fait: il n’y a qu’à lire les lettres.

 

            gaufichon    (tirant de sa poche la lettre de Léandre) Voyons donc la lettre (il lit) «Pour vous délivrer bientôt du frère qui vous obsède, et du Docteur qu’on vous destine…» (vers le Docteur) Que vous en semble? Je trouve que Monsieur de Brise-Roche ne nous marchande point.

 

            colombine    Lisez la mienne à cette heure.

 

            gaufichon    «J’approuve vos entreprises, pourvu que la violence n’ait point de part à ce que vous entreprendrez».

 

40        colombine    Je n’y entends pas de finesse. Je ne le ménage en tout cela, et n’ai d’autre but que de l’empêcher qu’on ne vous fasse quelque violence.

 

            gaufichon    Plus j’examine la lettre, et plus je trouve que ma sœur a raison.

 

            le docteur   Cependant vous l’avez rudement scandalisée.[40]

 

            colombine    (pleurant) Que je suis malheureuse d’avoir tant de naturel pour un frère qui m’outrage!

 

            le docteur   Mademoiselle, il ne faut pas se repentir d’aimer ses proches.

 

45        colombine    Me voilà t-il pas bien récompensée de l’intérêt que je prends à sa conservation? Après tout, incommode et bizarre comme il est, serait-ce un si grand mal pour moi si cet homme suivait l’emportement de sa passion? Bien des filles ne seraient pas si scrupuleuses.

 

            le docteur   Ne voyez-vous pas qu’il est au désespoir de vous avoir fâchée?

 

            colombine    Cela vous est bien aisé à dire, Monsieur, mais mon frère ne voit pas plus loin que son nez. Si la porteuse d’eau allait dire à ce fougueux, qu’on lui a pris sa réponse, il assommerait tous nos valets l’un après l’autre. Dieu veuille encore qu’il s’en voulût tenir là.

 

            gaufichon    Vous avez grande raison. À propos de cette porteuse d’eau, présentement que je suis désabusé, ma chère sœur, il n’y a qu’à lui rendre votre lettre, et la renvoyer.

 

            la porteuse

            d’eau              (à genoux) Monsieur Gaufichon, je vous crie merci. Au nom de Dieu, ne me mettez point entre les mains de la justice.

 

50        gaufichon    C’est à quoi je ne pense pas, ma mie.

 

            la porteuse

            d’eau              Tenez, Monsieu, je n’y voulais pas venir. C’est un avaleur de chrétiens qui m’a poussée la fourche au cul. Il a pus fait de blasphèmes pour m’obliger à demander cette réponse. Avec ça, il avait toujours sa brette à la main, et sans d’honnête monde qui s’est mis entre deux, il m’aurait enfilée. Ah, le méchant vaurien! Je me soucie de ses deux louis comme d’une paille. Mais c’est que ce dragon-là aurait fait quelque massacre chez vous. Mon pauvre Monsieu Gaufichon, ne me livrez point à ste justice.

 

            colombine    Allez, ma mie, allez, on ne vous fera point de mal.

 

            gaufichon   Dame Claude, combien dis-tu que Monsieur Brise-Roche t’a donné?

 

            la porteuse

            d’eau              Hélas, Monsieu, je ne les voulais pas prendre. Il m’a jeté deux louis d’or. Jamais je n’ai reçu argent si à contre-cœur.

 

55        gaufichon    Tiens, en voilà encore trois que je te donne.

 

            le docteur   Mais à condition que tu lui mettras la lettre de Mademoiselle en main propre.

 

            la porteuse

            d’eau              N’est-ce point pour m’attraper aussi? Dites-vous cela tout de bon?

 

            gaufichon    Oui, je te le jure.

 

            la porteuse

            d’eau              Puisque c’est votre volonté, foi de femme, je li baillerai à li-même. Monsieu Gaufichon, Dieu vous consarve, et ce qu’ous aimez.[41]

 

60        le docteur   N’y manquez pas, au moins. Ces désespérés-là ne font point de quartier à leurs rivaux.

 

            gaufichon    Dame Claude, sur les yeux de votre tête, la lettre en main propre.

 

            colombine    St, st, la porteuse d’eau? Gardez-vous bien de dire qu’on vous a enfermée. Il en coûterait peut-être la vie à deux hommes.

 

            la porteuse

            d’eau              (en s’en allant) À ce prix-là, six mois de prison accommoderaient bien mes affaires.

 

            le docteur   En bonne justice, je devrais vous rendre la moitié de ces frais-là, car très assurément le bombardier me veut plus de mal qu’à vous. Oh ça, Monsieur Gaufichon, ce n’est pas assez de convenir que vous avez tort, il faut promettre à Mademoiselle votre sœur de n’y plus retourner.

 

65        gaufichon    (embrassant Colombine et lui touchant la main) Ah, de tout cœur.

 

            pasquariel    (à Colombine) Voilà votre tailleur, Mademoiselle, qui vous apporte un corps.

 

            gaufichon    Faites-le entrer. (au Docteur) Monsieur le Docteur, laissons ma sœur en liberté. Une fille qui se marie demain n’a pas trop de temps pour songer à ses habits.

 

            le docteur   Adieu, ma charmante maîtresse. Le temps me va bien durer jusqu’à demain au soir.

 

            colombine    Si je pouvais m’expliquer, vous verriez, Monsieur, qu’il me dure peut-être autant qu’à vous.

 

70        gaufichon    (au Docteur) Vous voyez ce que l’amour lui fait dire.

 

            le docteur   Elle n’oblige pas un ingrat. (ils s’en vont)

 

            colombine    (seule) À ce que je vois, les enfermeurs de femmes n’ont pas plus d’esprit que d’autres. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que je les renvoie tous deux assez contents.

 

 

                                   SCENE VI

 

                                   Arlequin en garçon tailleur, Colombine.

 

            colombine    Pourquoi votre maître ne vient-il pas lui-même?

 

            arlequin       Ce n’est pas sa faute, Mademoiselle, en faisant descendre du vin dans sa cave, un demi-muid[42] lui a roulé sur le corps. Le pauvre homme marcherait aussi tôt sur la pointe des cheveux que sur les pieds.

 

            colombine    Ah! Que j’en suis fâchée! Et que deviendront mes habits?

 

            arlequin       Cela ne tardera pas votre noce d’un quart d’heure.

 

5          colombine    Mais, mon ami, il me semble que je ne vous ai point encore vu chez lui.

 

            arlequin       Comment m’y auriez-vous vu? Je viens d’un voyage qui a duré trois ans.

 

            colombine    Vous avez donc été bien loin?

 

            arlequin       J’y [ai] fait cinq ou six fois le tour du monde, et il n’y a point de nation sur la terre que je n’habille présentement à livre ouvert. Croiriez-vous qu’en de certains pays j’ai fait un habit tout entier avec une seule aiguillée de soie?

 

            colombine    Cela ne se peut pas sans miracle.

 

10        arlequin       Pardonnez-moi. C’est qu’en ce pays-là on ne s’habille point, et qu’on ne porte pour tout équipage que de petits tabliers volants devant les endroits nécessaires.

 

            colombine    Est-il vrai que dans l’Orient les femmes y sont plus richement vêtues qu’à Paris?

 

            arlequin       Un million de fois. Mais les tailleurs sont diablement à plaindre dans ces quartiers-là.

 

            colombine    Et d’où vient?

 

            arlequin       C’est que les hommes y sont si cruellement jaloux qu’on n’oserait toucher aux femmes pour prendre leurs mesures: on les regarde tant qu’on veut, on tourne autour d’elles et à la physionomie il faut les habiller. Dans les commencements cela me faisait un peu de peine; mais j’y suis présentement si bien accoutumé, qu’à voir passer un homme ou une femme dans les rues, je me vante de leur faire un habit d’aussi bon air que tailleur de Paris.

 

15        colombine    Notre ami, n’y a-t-il point un peu de hâblerie à votre affaire?

 

            arlequin       Cela est si vrai, que sur un simple portrait que j’ai dans ma poche, je livrerai demain un habit le plus riche et le plus galant qu’on ait jamais porté.

 

            colombine    Cela n’est pas possible!

 

            arlequin       Moi, je n’en fais point façon, je m’en vais vous le montrer.

 

            colombine    (à part) Si je ne me trompe, c’est le portrait de Léandre. Voici encore quelque nouveau stratagème d’amitié. (après l’avoir regardé attentivement) Mon ami, voilà un cavalier d’une heureuse physionomie.

 

20        arlequin       Vraiment, l’original est bien une autre besogne!

 

            colombine    Tu le connais donc?

 

            arlequin       C’est mardi le plus royal homme… Il n’a qu’un défaut, c’est qu’il est amoureux.

 

            colombine    Est-ce un défaut que d’aimer?

 

            arlequin       Non, mais c’est qu’il est fou d’une fille qu’il n’épousera jamais.

 

25        colombine    Et pourquoi? Il me semble que rien ne peut traverser[43] l’inclination d’un si honnête homme.

 

            arlequin       Il ne dit pas cela, lui. Je ne sais comment diantre il bricole, que sa maîtresse a un frère, que ce frère enferme sa sœur, que cette [sœur] va épouser un vieux homme; tant y a sœur n’en cassera que d’une dent.[44]

 

            colombine    Mais aussi ne s’alarme-t-il point mal à propos? Car il n’y a pas d’apparence qu’un vieillard puisse inquiéter un homme si bien fait.

 

            arlequin       Oh, vous me dites là trop de raisons pour y répondre. Tout ce que j’en sais, moi, ce n’est qu’en bâtons rompus.

 

            colombine    Écoute, mon enfant, parlons à cœur ouvert. N’est-il pas vrai que tu viens de la part de Léandre qui a de la considération pour moi?

 

30        arlequin       A quoi voyez-vous cela?

 

            colombine    Je vois bien encore qu’il t’a commandé de m’apporter son portrait. Dis la vérité.

 

            arlequin       Ma foi, vous l’avez deviné.

 

            colombine    (à part) Il n’est pas juste que Léandre me donne des marques de son amitié, sans en recevoir de la mienne. Je lui vais envoyer mon portrait à la place du sien; mais je ne veux pas que le tailleur s’en aperçoive… (après avoir mis son portrait à la place de celui de Léandre, elle le rend à Arlequin d’un air de courroux). Qui vous a fait assez hardi pour entreprendre de me présenter un portrait? Allez, vous êtes un insolent, et peu s’en faut que…

 

            arlequin       Ah, Mademoiselle, ne me ruinez pas: on m’a promis cinquante pistoles.

 

35        colombine    Quand on vous en aurait promis cent, vous le reporterez.

 

            arlequin       Mademoiselle, je sais bien qu’en France on ne fait rien pour rien. Prenez le portrait, et partageons l’argent. Nous aurons chacun vingt-cinq pistoles; c’est toujours pour faire la fille.

 

            colombine    Maraud, si j’appelle du monde, je vous ferai reconduire un peu vivement.

 

            arlequin       Ah fi, Mademoiselle, ne faites point cette dépense-là, il n’y a que les bourgeois qui reconduisent. (il fait sept ou huit pas pour s’en aller)

 

            colombine    (à part) Léandre ne doutera pas de mon amitié, quand il recevra mon portrait. Je suis persuadée que sa surprise sera grande.

 

40        arlequin       (revenant) Sérieusement, Mademoiselle, ne le voulez-vous point prendre?

 

            colombine    Sérieusement, mon ami, vous cherchez les étrivières. Croyez-moi, reportez en diligence le portrait. Celui qui vous envoie apprendra par là à me connaître.

 

            arlequin       Ah, tigresse! Me faire perdre cinquante pistoles, en refusant le portrait d’un si bel homme! (il s’en va)

 

            colombine    (seule) Jusqu’à présent les sentinelles de mon frère ont bien gagné son argent: une lettre, un portrait. Pour peu que les empressements de Léandre continuent, je crois que je ne ferai point de mauvais ménage avec le Docteur. Un homme qui enferme une femme est bien mal conseillé.

 

 

 

                  ACTE II

 

 

                                   SCENE I

 

                                   Le théâtre représente l’appartement d’Isabelle.

 

                                   Isabelle, Léandre. [puis Arlequin].

 

            isabelle         Quoi? Cet homme si clairvoyant, ce preneur de précautions, a donné trois louis d’or à une porteuse d’eau, pour rendre le billet de sa sœur à ce capitaine de bombardiers?

 

            léandre        La peur l’avait tellement saisi, qu’il aurait lui-même porté la lettre.

 

            isabelle         Voilà ce qui me désespère, de voir des hommes si pénétrants en de certains rencontres, et si aveuglés en d’autres. Pour peu que cela continue, j’espère que nous le corrigerons. Mais, sérieusement, Léandre, aimez-vous Mademoiselle Gaufichon?

 

            léandre        Jamais passion n’a été plus forte.

 

5          isabelle        J’admire les hommes. La difficulté les enchante. Pour les faire courir, il n’y a qu’à enfermer une fille.

 

            léandre        J’ai bientôt hâte de savoir si on aura reçu favorablement mon portrait.

 

            isabelle         A propos, je crains que votre ambassadeur ne soit embourbé quelque part. Nous devrions, ce me semble, en avoir des nouvelles.

 

            léandre        Ce maraud boit tranquillement dans un cabaret, pendant que l’impatience me ronge ici, et me dévore.

 

                                   (Arlequin paraît en grand deuil, et passe devant Isabelle et Léandre)

 

            isabelle         Pourquoi le scandalisez-vous? Il vient de quelque enterrement. Arlequin? Te voilà dans un terrible deuil?

 

10        arlequin       Ne m’approchez point, je suis inconsolable.

 

            léandre        As-tu perdu ton père?

 

            arlequin       Je ne serais pas si fâché.

 

            isabelle         Un frère peut-être?

 

            arlequin       Le mien est sec il y a plus de quatre ans. Mais, grâce au Ciel, tant d’honnêtes gens l’ont assisté à la mort, que je n’ai pas sujet de le regretter.

 

15        léandre        C’est donc ta femme?

 

            arlequin       Encore pis, Monsieur, encore pis.

 

            isabelle         (le tire à part) Viens ça, n’est-ce point que tu as perdu le portrait de Léandre?

 

            arlequin       Non, Mademoiselle.

 

            isabelle         Parle-moi franchement. Dans la vie on a ses petits besoins; ne l’as-tu pas mis quelque part en gage?

 

20        arlequin       Non, Mademoiselle, non, et de par tous les diables, non.

 

            léandre        Je m’en vais bien le faire parler autrement. (il lui présente l’épée dans le ventre) As-tu porté mon portrait à ma maîtresse?

 

            arlequin       (pleurant) Oui, Monsieur.

 

            léandre        T’a-t-on laissé entrer?

 

            arlequin       (pleurant) Oui, Monsieur.

 

25        léandre        As-tu parlé à elle?

 

            arlequin       Oui, Monsieur.

 

            léandre        Mais pourquoi pleurer? Jusque là il n’y a qu’à rire.

 

            arlequin       Et riez, Monsieur, je ne vous en empêche pas.

 

            léandre        Lui as-tu fait voir le portrait?

 

30        arlequin       (pleurant) Eh oui, Monsieur, oui.

 

            léandre        Prenait-elle plaisir à le regarder?

 

            arlequin       (pleurant) Oui, Monsieur.

 

            léandre        Ne t’a-telle pas fait parler sur mon chapitre?

 

            arlequin       Oui, Monsieur.

 

35        léandre        Et encore, que lui as-tu dit?

 

            arlequin       J’ai dit qu’une femme serait trop heureuse avec vous.

 

            isabelle         Je le crois comme cela.

 

            arlequin       J’ai dit que vous ne grondiez jamais, que vous aimiez la dépense, et que vous ne deviez pas un liard à vos valets. Pour vous obliger, je suis sûr que j’ai menti plus d’un quart d’heure.

 

            léandre        Le bien que tu lui as dit de moi l’a déterminée à prendre le portrait?

 

40        arlequin      Non, Monsieur, et c’est ce qui me désespère. Après tout ce badinage, ma drôlesse a mis orgueilleusement les poings sur les rognons, et me l’a jeté à la tête.

 

            isabelle         Cette brusquerie-là ne répond guère à son billet.

 

            arlequin       J’ai fait tous mes cinq sens de nature pour l’adoucir. Croiriez-vous que je lui ai offert la moitié de ce que vous m’avez promis? Bon! Comme si j’avais parlé à un Suisse, elle a mardi eu l’effronterie de me menacer d’étrivières. Mais je lui suis venu de plus belle à la charge; et d’un ton à faire fendre un caillou, je l’ai priée et reprieras-tu, de ne point me ruiner, et de garder le portrait pour me faire gagner votre argent. La brutale m’a envoyé comme un péteux, et m’a dit insolemment de vous le rapporter, et que par là vous apprendrez à la connaître. Sans aller au devin, Monsieur, vous voyez bien que c’est une panthère qui n’a point de conscience. Moi, au sortir de sa maison, j’ai pris le grand deuil, car selon toutes les apparences, me voilà veuf de cinquante pistoles que vous me deviez donner.

 

            isabelle        (à Léandre) Cousin, dans ces rencontres-là il faut s’armer de patience. Les filles ont leurs caprices, et un cœur bien épris doit tout essuyer sans se plaindre.

 

            arlequin       (rendant le portrait à Léandre) Tenez, Monsieur, en présence de témoins, je vous le rends comme vous me l’avez donné.

 

45        léandre        (le prend et le jette avec dépit à terre) Misérable! As-tu le front de présenter à ma vue ce qui a pu déplaire à ma maîtresse?

 

                                   (Isabelle le ramasse et voit le portrait de Colombine)

 

            léandre        Ah, Ciel! Pourquoi me flatter d’une espérance si agréable, pour me précipiter dans un si cruel désespoir?

 

            isabelle         Ne reprochez rien au Ciel, vous n’êtes pas trop à plaindre.

 

            léandre        Toutes les disgrâces ensemble n’approchent pas la mienne.

 

            isabelle         (lui mettant le portrait de Colombine devant les yeux) Tenez, voilà de quoi vous consoler.

 

50        léandre        Que vois-je? Le portrait de ma maîtresse!

 

            isabelle         Franchement le tour est adroit; et sans beaucoup de passion une fille ne fait guère de semblables présents.

 

            arlequin       La rusée merlesse! Je ne m’étonne pas si elle avait tant de hâte de me le faire reporter. Il fallait voir son air de fierté. Allez, mon ami, allez, celui qui vous envoie apprendra par là à me connaître. Ma foi, voilà un malin bétail! Monsieur, vous ne serez pas Normand?[45] J’aurai les cinquante pistoles?

 

            léandre        Tu aurais ma vie, si tu me le demandais.

 

            arlequin       (vers Isabelle) Et mon deuil, Mademoiselle, qui me le payera?

 

55        isabelle         Cela est trop juste; en attendant mieux, voilà un diamant qui t’acquittera de ta dépense.

 

            arlequin       Au retour d’un si heureux voyage, serait-ce un crime de faire un tour à la cuisine?

 

            isabelle         Suis-moi, je te ferai donner tout ce que tu demanderas. (vers Léandre) Cousin, vous ne vous ennuierez pas, je vous laisse en assez bonne compagnie.

 

            léandre        (seul) Mon bonheur est si grand, que je n’ose encore le croire. (regardant le portrait) Est-il bien vrai, ma belle, que votre cœur se déclare si obligeamment pour moi?

 

 

                                   SCENE II

 

                                   Mezzetin, Léandre. [puis Isabelle].

 

            mezzetin       Eh bien, Monsieur, le marchand anglais n’a-t-il pas fait son devoir?

 

            léandre        St, st, st. (Léandre fait signe à Mezzetin de ne point parler. Il l’aborde et l’embrasse des deux côtés sans rien lui dire; et après lui avoir fait mettre son manteau et son chapeau à terre, il lui fait voir le portrait de Colombine)

 

            mezzetin       (se frottant les yeux) Dieu me le pardonne, je pense que voilà le portrait de cette prisonnière!

 

            léandre        Écoute, je suis véritablement amoureux.

 

            mezzetin       Tant pis, vous nous allez diablement donner de la pratique.

 

5          léandre        A quelque prix que ce soit, il faut m’introduire chez Monsieur Gaufichon.

 

            mezzetin       Voilà-t-il pas mon compte? Vous craignez que cette demoiselle ne s’ennuie chez son frère, et par bonne amitié vous seriez bien aise de lui faire compagnie.

 

            léandre        Je voudrais, mon cher Mezzetin, la voir toujours, et ne jamais sortir d’auprès d’elle.

 

            mezzetin       Si cela est, il n’y a qu’à y faire porter votre lit tout d’un train.

 

            léandre        Je te prie, ne raillons point, et prenons des mesures justes pour me la faire épouser.

 

10        mezzetin       Comptez que je suis à vous comme les sergents sont au diable, et que demain elle sera votre femme, ou j’y brûlerai mes livres. Allons, battons le fer pendant qu’il est chaud; mais si vous ne faites à point nommé ce que je vous dirai, je vous laisserai, ma foi, embourbé dans votre amour.

 

            léandre        Je m’abandonne à ta conduite. (ils s’en vont)

 

            isabelle         (sortant de sa chambre) Qu’on donne à Arlequin tout ce qu’il voudra manger, et qu’on le régale en homme de conséquence. De l’air dont nous nous y prenons, il est malaisé de faire cheminer l’amour plus vite. Une lettre fort tendre, un portrait donné. Ah! Que je vous plains, Monsieur Gaufichon, de faire si mal observer votre sœur.

 

 

                                   SCENE III

 

                                   Gaufichon, Isabelle. [puis Jasmin, laquais].

 

            gaufichon    (entre en furie, une épée à son côté, et deux pistolets à sa ceinture) Partout où je le rencontrerai, je lui fendrai le cœur avec mon épée.

 

            isabelle         Quoi, Monsieur, chez moi en cet équipage-là?

 

            gaufichon    Oui, morbleu, chez vous et en votre présence je veux qu’il en coûte la vie à Léandre.

 

            isabelle         À Léandre? Bon Dieu! Et par où vous aurait-il fâché, lui qui a tant d’égards et d’honnêteté pour tout le monde?

 

5          gaufichon    Infâme! La dernière goutte de ton sang va laver l’affront que tu fais à ma famille.

 

            isabelle         Mais encore, ne peut-on savoir la cause d’un désespoir si violent? Je vous ai toujours dit qu’une fille gardée de trop près fait bien du chagrin.

 

            gaufichon    Je ne m’étonne pas si dans votre assemblée il me rompait en visière,[46] et s’il ne pouvait digérer qu’on enfermât une fille pour s’assurer de sa conduite.

 

            isabelle         Son sentiment là-dessus est celui de tous les honnêtes gens.

 

            gaufichon    Vous me trouvez donc, moi, un fort malhonnête homme, parce que je défends ma maison à tous les fainéants de Paris?

 

10        isabelle         Je crois qu’il serait mieux pour votre réputation qu’elle fût ouverte aux honnêtes gens, et que dans le monde on ne vous fît point passer pour le geôlier de votre sœur.

 

            gaufichon    Et que serait-ce, ventrebleu, si je lui donnais tant de liberté, puisque malgré tous ses surveillants, je viens de trouver le portrait de votre cousin sur sa toilette?

 

            isabelle         Le portrait de mon cousin? Vous auriez beau le dire dans le monde, on ne le croira jamais. Votre maison est gardée comme une place frontière; d’ailleurs Léandre n’est pas coquet, je ne sais même s’il n’est point en pourparlers de mariage avec une demoiselle.

 

            gaufichon    Vous dis-je pas! Je suis un visionnaire, et ce n’est pas là son portrait? (il lui montre le portrait)

 

            isabelle         (après l’avoir regardé) À vous dire vrai, cela ne lui ressemble point mal. Mais il vaut encore mieux avoir trouvé le portrait de Léandre sur la toilette de votre sœur, que celui de votre sœur entre les mains de Léandre.

 

15        gaufichon    Grâce au Ciel, ma sœur est trop bien née pour faire de ces écarts-là! Il faut savoir la violence qu’elle s’est fait d’écrire tantôt deux lignes à un homme, et si c’était pour me sauver la vie.

 

            isabelle         Puisque vous êtes si persuadé de sa retenue, à quoi bon tout ce vacarme? À la fin vos manières vous attireront des suites fâcheuses.

 

            gaufichon    Écoutez, Mademoiselle, il n’y a qu’un moyen de calmer mon ressentiment contre votre cousin. Le portrait n’est pas entré tout seul dans ma maison: on a gagné quelqu’un de mes valets. Aidez-moi à découvrir lequel de ces marauds-là m’a si indignement trahi. Faites-moi prêter le manteau de votre cocher.

 

            isabelle       Le manteau de mon cocher? Eh, bon Dieu, qu’en voulez-vous faire?

 

            gaufichon    Je veux moi-même, à la faveur de ce déguisement, sonder mes coquins; et à force d’offrir de l’argent, découvrir celui qui a été capable d’en prendre.

 

20        isabelle         Ces sortes de stratagèmes n’ont presque jamais réussi; et pour l’ordinaire, ceux qui s’en servent sont les dupes.

 

            gaufichon    Ils ne s’y prennent donc pas comme moi.

 

            isabelle         Jasmin?

 

            jasmin             Mademoiselle?

 

            isabelle         Allez me quérir le manteau du cocher.

 

25        gaufichon    Je n’oublierai jamais un si bon office. Peut-être vous aurai-je l’obligation de mon repos.

 

            isabelle         Je mourrais contente, si j’y pouvais contribuer.

 

            jasmin             Voilà le manteau du cocher, Mademoiselle.

 

            isabelle         Tenez-vous dans l’antichambre.

 

            gaufichon    (le mettant sur ses épaules) Dans un quart d’heure je vous apprendrai à coup sûr par qui le malheur entre chez moi. (il s’en va)

 

30        isabelle         Si vous continuez, j’ai bien peur que vous ne l’introduisiez vous-même.

 

 

                                   SCENE IV

 

                                   Pierrot, en cocher, son fouet à la main, Isabelle.

 

            pierrot          Quand on reprend le manteau d’un cocher, on entend de reste ce que ça veut dire. Ça, Mademoiselle, comptons, s’il vous plaît.

 

            isabelle         A qui en avez-vous, maître-fiacre? Est-ce le vin nouveau qui commence à travailler?

 

            pierrot          On vous a peut-être dit que je bois de votre foin au cabaret; mais ces flagorneurs-là n’oseraient le soutenir en ma présence. J’ai mardi trop d’honneur pour un cocher. Je veux bien qu’ous[47] sachiez que je fais manger à vos chevaux jusqu’aux liens des bottes. Ils ne sont pas gras de rien, non.

 

            isabelle         Dites-moi, maître-fiacre, quelle mouche vous pique? Personne ne m’a rien dit, et je ne songe nullement à vous mettre dehors.

 

            pierrot          Si je m’étais voulu laisser débaucher par votre oncle le chanoine, il y a plus de six mois qu’il me tournait… De sa grâce, il m’a fait offrir la clef de sa cave… Mais…

 

5          isabelle         Je suis persuadée que vous me servez par bonne amitié.[48]

 

            pierrot          Tout franc, je suis assez content de vous; mais c’est que votre masque de fille de chambre a une dent contre moi, à cause que pendant votre maladie… Je suis encore bien sot de vous avertir de tout ça.

 

            isabelle         Eh bien?

 

            pierrot          Eh bien, elle est amoureuse d’un ferlampier nommé Pasquariel, qui vous la pourchasse d’une diable de force. La vela donc qu’a commence à me dire: maître-fiacre, Mademoiselle est malade, menez-nous à S. Cloud. Moi facilement je les y mène, car les chevaux deviennent poussifs quand ils ne travaillent point. Eh dame, c’est votre grâce; quand ils furent à S. Cloud, ils voulaient encore aller à Ruel, et puis à Marly. Ma foi, de peur de vous fâcher, je les ramenai tout court à Paris.[49]

 

            isabelle         Vous fîtes fort sagement.

 

10        pierrot          Depuis ça, jamais elle ne me l’a pardonné. Je gagerais qu’elle vous a dit que j’achète de l’avoine relavée dans ces bateaux à la Grève. Elle a bien menti, la bonne carogne: je ne ressemble pas à ces fripons de cochers qui mettent la graisse du carrosse dans leurs poches, et qui se contentent de frotter le bout des moyeux.

 

            isabelle         Encore un coup, maître-fiacre, je vous crois un homme de bonne conscience.

 

            pierrot          On sait bien qu’il faut gagner l’argent d’une maîtresse; mais il ne la faut pas voler. Afin qu’ous le sachiez, n’était l’affection que je porte à vos chevaux, il y a plus de trois ans que je vous aurais quittée, car il n’y a pas moyen de vivre avec cette flatteuse-là.

 

            isabelle         Laissez-moi faire, maître-fiacre, je la mettrai à la raison.

 

            pierrot          Mettez-la dehors, à moins que de ça, je décampe au premier jour. (il s’en va)

 

15        isabelle         (seule) Si les valets ne s’accusaient point, on ne saurait jamais leurs friponneries. Comme c’est un mal nécessaire, il en faut souffrir.

 

 

                                   SCENE V[50]

 

                                   Le théâtre représente la rue; l’on voit la maison de Monsieur Gaufichon, et une guérite à chaque côté de la porte.

 

                                   Gaufichon, Pasquariel, Pierrot.

 

                                   Pasquariel et Pierrot sortent de leurs niches et veulent tuer un papillon qui vole devant la porte de la  maison, disant qu’il veut porter une lettre. Pasquariel en le voulant prendre tombe rudement à terre. Pendant qu’ils font leurs folies, arrive Gaufichon en habit de cocher, une pipe à la bouche.

 

            gaufichon    Bonjour, vivants, bonjour. Dites donc, quel diable de métier faites-vous là avec vos mousquetons et vos capotes?

 

            pasquariel    Nous empêchons qu’on n’apporte des lettres à la sœur de notre maître, et qu’on ne vienne lui parler de mariage.

 

            gaufichon    Votre maître est donc un fantasque?

 

            pierrot          C’est un brutal, vous dis-je, qui fait enrager cette pauvre fille-là. Si elle m’en voulait croire…

 

5          gaufichon    (à part) Voilà un méchant homme. (haut) N’y a-t-il point quelque soupireux qui lui fasse tenir sa passion par écrit, et qui vous donne des lettres pour elle?

 

            pasquariel    Il ne s’en présente point, c’est de quoi nous enrageons.

 

            pierrot          Il n’y a pas pour un liard de profit dans cette peste de boutique-ci. J’en sortirai avant qu’il soit Pâques.

 

            gaufichon    Et la demoiselle ne vous donne-t-elle rien pour faire parler pour la faire parler à des messieurs?

 

            pasquariel    Fi! C’est une innocence qui se laisse mener par le nez comme un oison, et qu’on va marier à un vieillard qui n’a pas la force de ramasser son mouchoir.

 

10        gaufichon    Si vous me vouliez garder le secret, je vous proposerais quelque chose où il n’y aurait rien à perdre pour vous.

 

            pasquariel    S’il y a de l’argent à gagner, parlez librement.

 

            gaufichon    Mon maître est un jeune égrillard[51] à qui les dents démangent. On lui a dit que Mademoiselle Gaufichon est fort aimable et fort riche.

 

            pasquariel    On lui a dit vrai.

 

            gaufichon    Si vous vouliez faire tenir cette lettre-là, il y aurait, ma foi, trois pistoles en trois pièces.

 

15        pierrot          Si notre bourgeois venait à le savoir, il nous casserait les bras. Vous voyez bien que ce ne serait pas la peine de se faire estropier pour si peu de choses.

 

            pasquariel    Écoutez, coterie,[52] faites une offre un peu plus raisonnable.

 

            gaufichon    Eh bien, chacun quatre?

 

            pierrot          Ne vous tenez pas à peu de chose pour être bien servi.

 

            gaufichon    Allons, vidons d’affaire,[53] vous en aurez cinq.

 

20        pasquariel    Tout comptant.

 

            gaufichon    Il n’y a point de crédit avec moi. (il donne à chacun l’argent) Mais si mon maître vous priait de le faire entrer secrètement dans votre maison, combien lui demanderiez-vous?

 

            pasquariel    (vers Pierrot) Camarade, je pense que ce maraud-là nous veut tirer les vers du nez; par la jernie, il faut le repasser.[54] (ils le battent)

 

            pierrot          (en le frappant) Ah, Monsieur le coquin, vous nous prenez pour des fripons. (en rendant la lettre) Tenez, misérable, dites à votre maître qu’on se soucie de sa lettre comme d’un fétu.

 

            pasquariel    Mettons ce gueux-là entre les mains de la justice.

 

25        gaufichon    Ah, Messieurs, ne me faites pas un si mauvais tour. J’aime mieux vous donner encore quatre pistoles.

 

            pierrot          (en prenant l’argent) J’enrage de m’attendrir comme ça pour de l’argent. Allons, puisqu’il en use honnêtement, il faut être humain. Pour cette fois, on vous pardonne, mais n’y revenez point. (Gaufichon s’en va)

 

            pasquariel    Te moques-tu? À ce prix-là je voudrais qu’il revînt quatre fois par jour.

 

            pierrot          Il me semble que nous n’avons point trop mal négocié cette petite affaire-là.

 

            pasquariel    As-tu pris garde comme j’étais fâché?

 

30        pierrot          Je faisais, ma foi, conscience de frapper sur un si galant homme.

 

            pasquariel    Voici le patron. Reprenons notre poste. (ils rentrent dans leurs loges)

 

            gaufichon    (d’un air mortifié) Ciel! Pourquoi m’as-tu fait d’un si défiant tempérament? Isabelle a raison: il ne faut pas pousser la curiosité si loin. Après tout, je me serais bien passé d’éprouver mes valets aux dépens de ma bourse et de mes épaules; heureusement, la chose s’est passée sans témoins. N’ébruitons pas trop notre disgrâce. (il frappe à la porte)

 

            pasquariel

            et pierrot      (lui tenant chacun le mousqueton à la gorge) Qui va là?

 

            gaufichon    C’est moi, mes enfants, c’est moi, ne me reconnaissez-vous pas?

 

35        pasquariel    (à genoux aux pieds de Gaufichon) Monsieur, ne me refusez pas une grâce.

 

            gaufichon   (à part) Ah! Je suis perdu: ils connaissent qu’ils m’ont maltraité. (haut) Qu’est-ce que cette grâce?

 

            pasquariel    C’est de ne marier votre sœur que dans un mois ou six semaines. Vous feriez notre fortune.

 

            gaufichon    Comment donc?

 

            pierrot          Ah, Monsieur, que vous auriez eu de plaisir si vous aviez vu ça! Un maraud de cocher nous vient d’apporter une lettre de la part de son maître pour Mademoiselle votre sœur.

 

40        pasquariel    Ce qu’il y a de bon, c’est que pour nous la faire prendre, il nous a donné dix pistoles.

 

            gaufichon    Que vous avez prises?

 

            pasquariel    Ce sont nos petits profits, Monsieur. Faut-il pas se sauver du mieux qu’on peut?

 

            gaufichon    Et après cela?

 

            pierrot          Après cela, nous lui avons repassé son buffle d’importance; et puis nous l’avons renvoyé avec sa lettre. Ah, ventrebleu, que n’étiez-vous là? Dites la vérité, Monsieur, vous auriez été bien aise de voir cette opération-là?

 

45        gaufichon    (à part) Je ne l’ai que trop vue, de par tous les diables; ils ne m’ont point reconnu, tant mieux. (haut) Vous avez très bien fait d’étriller ce coquin-là.

 

            pasquariel    Monsieur, ne la mariez point sitôt. Le maître du cocher viendra, nous en tirerons pour le moins cent pistoles.

 

            gaufichon    Cela mérite bien d’y penser. Ouvrez-moi la porte.

            pierrot          Cela ne se peut pas, Monsieur.

 

            gaufichon    Et pourquoi?

 

50        pasquariel    C’est que vous nous avez défendu de laisser entrer personne sans votre ordre.

 

            gaufichon    Eh bien, je vous ordonne de me laisser entrer.

 

            pierrot          Ce n’est pas le tout, il faut voir devant si vous ne portez point quelque lettre à votre sœur. (il tâte ses poches)

 

            gaufichon    Comment, coquins, vous avez l’effronterie…

 

            pasquariel    Me voulez-vous croire? Donnez-nous quelques pistoles, nous ne vous fouillerons point; il faut bien vivre avec les vivants.

 

                                    (Gaufichon lève le bâton, ils ouvrent la porte et le laissent passer, puis se remettent dans leurs niches)

 

 

                                   SCENE VI

 

                                   Le théâtre représente l’appartement de Colombine.

 

                                   Marinette, Colombine. [puis Gaufichon, Pasquariel].

 

            marinette     Je vous dis, moi, que je lui ai vu prendre le portrait sur votre table, et qu’il est sorti comme un enragé, avec des pistolets, un mousqueton et une épée. Oh! La belle histoire, s’il a tué quelqu’un par votre faute!

 

            colombine    Mon frère n’est pas cruel.

 

            marinette     Un homme au désespoir est toujours dangereux. Fi! On donnerait le fouet à une fille de six ans qui serait aussi mal soigneuse; et à quoi diantre servent toutes les leçons que je vous ai données depuis le matin jusqu’au soir?

 

            colombine    Je reconnaitrai tes soins devant qu’il soit peu.

 

5          marinette     Ce qui me fait enrager, c’est que plus je prends de peine, moins vous vous façonnez. Voyez, je vous prie, quelle lourdise, de laisser le portrait d’un amant sur la table! On le pardonnerait à une Agnès, mais une fille de votre âge… Ma foi c’est une honte.

 

            colombine    À te dire vrai, Marinette, je prenais tant de plaisir à le voir, que je n’ai pas songé à l’enfermer. Eh, bon Dieu! Peut-on mettre en prison ce que l’on aime?

 

            marinette     Oh ça, de bonne foi, où en seriez-vous, si je n’avais pris des mesures avec Léandre pour raccommoder ce que vous avez gâté?

 

            colombine    Mais ne se rebutera-t-il point d’un si bizarre contretemps?

 

            marinette     Le voilà bien malade, ma foi! Et pourquoi est-il amoureux, si ce n’est pour avoir de la peine? Allez, Mademoiselle, dormez en repos: il va venir tout à l’heure un drôle qui replâtrera l’affaire à merveille. Votre frère sera encore trop aise d’avaler le goujon sans s’en apercevoir. Mais, merci de ma vie, n’allez pas oublier une syllabe de tout ce que je vous ai dit. Car si vous bronchez je découvrirai tout le négoce.[55]

 

10        colombine    Va, va, Marinette, je ne suis pas si Agnès que tu penses: ma mémoire ne m’a encore jamais trahie. Mais j’aperçois mon frère. Ne perds point la tramontane, écoute-moi seulement sans te déconcerter. (à Marinette d’un ton de colère pendant que Gaufichon entre) Point tant de discours, ma mie, faites votre paquet, recevez vos gages, et cherchez une autre condition, si bon vous semble.

 

            gaufichon    Pourquoi mettre cette fille-là dehors?

 

            colombine    Et de quoi vous mêlez-vous? Sont-ce là vos affaires?

 

            gaufichon    Je l’ai toujours connue pour une fort honnête fille.

 

            colombine    Toute son honnêteté n’empêchera pas qu’elle ne sorte.

 

15        gaufichon    Mais…

 

            colombine    Mais, c’est une affaire résolue. Une plaisante friponne, de ne me pas dire la vérité quand je la demande.

 

            marinette     Quand je devrais être tirée à quatre chevaux, il n’y a rien de si vrai que je l’ai laissé sur votre table.

 

            gaufichon    Mais encore, ma sœur, ne peut-on point savoir de quoi il s’agit entre vous?

 

            colombine    Oh, très volontiers. Premièrement, vous n’ignorez pas que je suis l’ennemie déclarée du mystère. Je gage que vous allez être de mon côté. Cette gueuse-là pour qui j’ai mille bontés (je vois bien que c’est ce qui gâte les valets), ce matin je l’ai envoyée acheter de la ganse et des boutons d’or pour garnir le déshabillé blanc que je mettrai. La friponne s’en est revenue, et m’a dit qu’en sortant de chez le marchand, elle a trouvé sur le pas de la boutique un portrait dans une boîte d’or. Moi qui entre volontiers dans ses petits besoins, je lui ai conseillé de porter la boîte d’or à quelque orfèvre, et d’en faire son profit. Je lui demande présentement combien elle l’a vendue; l’insolente a l’effronterie de dire qu’elle l’a laissée sur ma table, et qu’elle ne l’a point vendue.

 

20        marinette     Oui, assurément, je l’ai laissée sur votre table. Toute servante qui sort d’une maison doit dire la vérité.

 

            gaufichon    Il y a quelque chose à votre histoire que je n’entends pas. Laquelle est-ce de vous deux qui ment?

 

            pasquariel    (entre et dit à Gaufichon) Monsieur, il y a là-bas un marsouin de Basse-Normandie, avec des bottes, un chapeau retroussé et une grande épée, qui demande à vous parler.[56]

 

            colombine    (bas à Marinette) Apparemment, c’est du secours qui nous vient pour le désabuser du portrait de Léandre.

 

            gaufichon    (à Pasquariel) Que veux-tu dire avec ton marsouin ?

 

25        pasquariel    Je n’ai point encore vu d’homme de cette couleur-là.

 

            gaufichon    Allons au-devant de lui, nous verrons ce que c’est. Ma sœur, je vous prie, ne chassez point Marinette, nous découvrirons peut-être ce que le portrait est devenu.

 

 

                                   SCENE VII

 

                                   Arlequin vêtu en campagnard, appelé le Baron de Fourbadière, Mezzetin, [en] valet du Baron, Gaufichon. [Pasquariel].

 

            arlequin       (sautant au col de Gaufichon) Ah, cher ami, que j’ai eu de peine à trouver votre maison! Le cousin de Trigouille m’a bien recommandé de vous bailler cette lettre en main propre.

 

            gaufichon    Vous êtes parent du Marquis de Trigouille?[57] (il l’embrasse)

 

            arlequin       Oui, Monsieur, son parent et son vassal. De plus, je me donne au diable, s’il y a sur terre un meilleur gentilhomme.

 

            gaufichon    C’est le seul Normand que je connaisse sans défauts.

 

5          arlequin       Depuis quatre ans que nos briquets[58] chassent ensemble ils n’ont pas pris une alouette qu’on ne l’ait mangée chez lui, et du gros cidre tant que le repas dure. Je suis sûr qu’il ne lui reste pas encore trente procès à vider. Je mettrais ma main au feu que dans toutes ses affaires on ne trouvera peut-être pas six faux témoins.

 

            gaufichon    Que je lui suis obligé de l’honneur de son souvenir!

 

            arlequin       Je veux que cinq cents pestes m’étranglent s’il n’a parlé de vous comme de la fleur de ses amis. Voyez, voyez dans sa lettre le cas qu’il fait de vous.

 

            gaufichon    (lit la lettre) «Trouvez bon, mon cher ami, que je vous adresse Monsieur le Baron de Fourbadière, homme de qualité et de mes parents. (ils s’embrassent) Il va exprès à Paris pour acheter les habits de noce de Mademoiselle sa sœur; enseignez-lui, je vous prie, le plus fameux marchand, et tâchez de le loger dans une auberge près de vous, afin qu’il puisse plus commodément profiter de vos sages avis. Je prendrai sur mon compte les amitiés que vous lui ferez, et il ne tiendra qu’à vous d’éprouver en toute rencontre la reconnaissance de votre très humble et très obéissant serviteur, Le Marquis de Trigouille». On n’écrit point plus poliment que cela à Paris.

 

            arlequin       À vous dire vrai, l’arrière-ban a bien façonné la noblesse.

 

10        gaufichon    Monsieur le Baron, ne me faites pas l’affront de prendre une autre maison que la mienne.

 

            arlequin       Ce me serait honneur, Monsieur, mais depuis le siège de Mons, il faut malgré moi que je loge en mon particulier.

 

            gaufichon    Que veut dire cela?

 

            arlequin       C’est qu’à l’attaque de cet ouvrage que nous forçâmes, les ennemis en l’abandonnant firent jouer un fourneau, qui m’a rôti tout le visage, et qui m’a jeté à trois grands quarts de lieue de la ville.[59]

 

            gaufichon    Ah, pauvre homme! Vous deviez être brisé en mille morceaux.

 

15        arlequin       Le Ciel qui s’intéresse à la conservation des braves, me fit heureusement tomber sur le fumier d’une basse-cour auprès de quantité de femmes qui battaient la lessive. À ce bruit qu’elles faisaient, je m’imaginais que c’était encore quelque fourneau qui allait jouer. Ces diables de lavandières ont fait une si cruelle impression sur mon cerveau, que quand par malheur sur le soir je rencontre une fille ou une femme à mon chemin, je tombe comme un homme mort, et suis quelquefois quatre heures entières étendu sur la place.

 

            gaufichon    Ah, Monsieur, que me dites-vous là?

 

            mezzetin       Ne le retirez pas dans votre maison, s’il y a des femmes: vous seriez homicide de sa mort.

 

            gaufichon    Je mettrai Monsieur dans un appartement où personne ne l’incommodera. (vers Mezzetin) Mon grand ami, faites apporter les hardes de Monsieur votre maître, car absolument il n’aura point d’autre logis que le mien.

            arlequin       (à Mezzetin) Puisque Monsieur le veut, faites entrer ma valise. (vers Gaufichon) Comme vous voyez la noblesse de Normandie n’est point façonnière.

 

20        pasquariel    (à Gaufichon) Monsieur, fouillera-t-on ce crocheteur?

 

            gaufichon    Donnez-vous en bien de garde. Dites seulement qu’on nous prépare à manger. (Pasquariel s’en va; à Arlequin) En toute liberté, Monsieur le Baron, faites-moi la grâce de me dire à quoi je vous suis utile.

 

            arlequin       Vous êtes trop obligeant. Les habits de ma sœur levés, et le contrat signé, je décampe en poste avec le beau-frère.

 

            gaufichon    Oserais-je vous demander à qui vous le mariez?

 

            arlequin       A un homme de Paris que je n’ai point encore jamais vu.

 

25        gaufichon    Il n’est pas possible!

 

            arlequin       On nous en a dit du bien. Un de nos amis en a envoyé le portrait à ma sœur; ma drôlesse l’a trouvé à son gré; sur le champ l’affaire a été bâclée.[60] Tous les bons mariages se font comme cela à la billebaude. A quoi bon faire languir si longtemps une pauvre fille? A propos, ne connaissez-vous point quelque habile joailler?

 

            gaufichon    Pour acheter les bijoux? Volontiers.

 

            arlequin       Non, c’est que ma sœur est si folle du portrait de son serviteur, qu’elle m’a prié en venant à Paris, de le faire enrichir de diamants, et qu’une boîte d’or toute unie lui semble trop simplet trop unie.

 

            gaufichon    Pour une fille de province, voilà ce qu’on appelle raffiner en amour et en galanterie; et comment s’appelle ce bienheureux-là?

 

30        arlequin       C’est un nommé Monsieur Léandre.

 

            gaufichon    Monsieur Léandre?

 

            arlequin       À votre air, Monsieur, vous savez quelque chose du futur? Écoutez, il n’y a encore rien de signé. Si c’est un malhonnête homme, je casse le mariage comme un verre.

 

            gaufichon    Le casser, Monsieur! Tout au contraire. Pour votre satisfaction et pour la mienne, je voudrais qu’il fût déjà consommé.

 

            arlequin       Parbleu, si Léandre a des défauts, sa physionomie est bien trompeuse. Je vous prie que je vous montre son portrait. (il cherche dans sa poche, et ne le trouvant point, il tire son épée, et court après Mezzetin) Par la morbleu, où est mon coquin de valet de chambre, que je lui passe mon épée au travers du corps.

35        gaufichon    (l’arrêtant) Eh, quartier, Monsieur, ce n’est peut-être pas sa faute.

 

            arlequin       Comment, pas sa faute? Pourquoi le maraud n’a-t-il pas regardé dans la boutique où j’ai marchandé de la frange d’or pour des gants? Je suis le plus trompé du monde si une fille ne s’est baissée pour ramasser quelque chose dans le temps que j’ai tiré mon mouchoir de ma poche.

 

            gaufichon    (à part) Ah, juste Ciel! Voilà l’histoire de Marinette d’un bout à l’autre. Ma joie est inconcevable.

 

            arlequin       Tout résolument, il faut que je vous donne le plaisir de tuer ce misérable-là en votre présence. Le portrait de mon beau-frère perdu! Et que me dira ma sœur?

 

            gaufichon    (lui mettant le portrait de Léandre entre les mains) A coup sûr, voilà de quoi empêcher le meurtre du valet.

 

40        arlequin       Ventrebleu! Monsieur, me retenez-vous dans votre logis pour me jouer de ces tours-là? Par la mort, si vous n’étiez pas ami du cousin de Trigouille, je vous apprendrais à berner un homme de ma qualité. Ne l’auriez-vous point accepté de mon coquin de valet?

 

            gaufichon    Non, mais la suivante de ma sœur l’a ramassé comme vous le venez de dire, en sortant de la même boutique où vous avez marchandé cette frange d’or. À son retour elle l’a mis sur la table de sa maîtresse, où je m’en suis saisi, pour approfondir si Léandre était amoureux de ma sœur; mais grâce au Ciel, m’en voilà heureusement éclairci.

 

            arlequin       L’histoire n’est point mal inventée pour épargner les étrivières à un valet. Somme totale, j’ai une joie sensible de le retrouver.

 

            gaufichon    Et moi, un vrai plaisir de vous le rendre. Pasquariel? Marinette? En attendant que le couvert soit mis, qu’on mène Monsieur le Baron dans le grand appartement. (lorsqu’il veut entrer dans la maison, Mezzetin en sort en habit de crocheteur)

 

            arlequin       (au crocheteur) Mon ami, mon valet de chambre t’a-t-il contenté?

 

45        mezzetin       Vraiment, je vous apercevons bien quand je travaillons pour du monde de votre qualité.

 

            arlequin       Ne pense pas rire. Vive la Basse-Normandie pour la libéralité. (il entre chez Gaufichon)

 

            gaufichon    (seul) Sans le secours du Ciel, qui m’a envoyé cet homme-là pour me désabuser, j’allais encore faire quelque brusquerie. Toute la terre aurait cru comme moi que le portrait de Léandre s’adressait à ma sœur; cependant la pauvre fille n’a point de relation avec lui. Il ne sera pas hors de propos de lui faire tantôt quelque petite excuse; la moindre démarche apaise les femmes. (il s’en va)

 

 

                                   SCENE VIII

 

                                   Colombine, Léandre, Mezzetin, Arlequin, Gaufichon, Pasquariel.

 

            colombine    Quoi! Est-il possible que la compassion de mon malheur ait donné lieu en si peu de temps à toute la tendresse que j’éprouve de Léandre?

 

            léandre        Votre mérite, Mademoiselle, ne frappe point à demi. Je n’ai pu vous voir sans vous aimer, ni vous aimer sans vous le dire; et mon cœur justement alarmé de votre mariage avec le Docteur, m’a suggéré toutes les mesures que je prends pour rompre une si indigne alliance, et pour vous offrir des vœux qui ne finiront qu’avec moi.

 

            colombine    Mais encore, comment prétendez-vous me tirer d’ici sans qu’on s’en aperçoive?

 

            léandre        Mon amour a prévu à tout. J’ai servi de crocheteur au Baron de Fourbadière, pour avoir occasion de m’introduire chez vous, et pour apporter dans une valise les habits nécessaires au déguisement qui doit favoriser votre retraite.

 

5          colombine    Ma vie sera-t-elle assez longue pour reconnaître des bontés si surprenantes?

 

            léandre        Plût au Ciel que la mienne fût employée tout entière…

 

            arlequin

            et mezzetin   (à Léandre) Hem, hem, cachez-vous, voilà la bête qui s’approche.

 

            gaufichon    Laquais, a-t-on servi?

 

                                   (Arlequin se jette à bas, et se tourmente contre terre)

 

            mezzetin       Ah, maudite maison! Monsieur de Trigouille avait bien à faire d’adresser ici mon pauvre maître, pour le faire mourir.

 

10        gaufichon    Est-ce son mal qui l’a repris?

 

            mezzetin       Retirez-vous de là, Monsieur, vous nous coupez la gorge avec vos diables de femmes.

 

            gaufichon    Mais encore, faut-il entendre raison: il n’y a que ma sœur qui prend l’air du jardin.

 

            mezzetin       C’est plus qu’il n’en faut, de par tous les diables. (en frappant dans la main d’Arlequin) Mon pauvre maître! Ah! Voilà un homme mort. Il n’a jamais eu d’accès si fort que celui-là. Tenez, tâtez, on ne lui sens ni pouls ni haleine. C’est un homme mort, vous dis-je, sans rémission.

 

            pasquariel    Eh, laissez-moi faire, j’ai ici un orviétan liquide qui le va guérir pour jamais. C’est un baume héroïque, qui donnerait la vie au fer et aux pierres. Ça, ça, soutenez-le un peu. (il fait boire un verre de sa drogue à Arlequin qui commence à se reconnaître) Eh bien, que dites-vous de ma thériaque?

 

15        arlequin       (d’un ton dolent) Mezzetin?

 

            mezzetin       (du même ton) Monsieur?

 

            arlequin       Est-ce que je mourrai sans voir Monsieur Léandre mon beau-frère?

 

            mezzetin       Ne vous inquiétez point. Je lui ai fait dire par ce crocheteur, que vous demeurez ici. Il devrait être déjà venu.

 

            gaufichon    Courage, Monsieur le Baron, courage, ce ne sera rien.

 

20        arlequin       Monsieur mon hôte, vous m’assassinez. J’ai entrevu par ma fenêtre une femme dans votre jardin.

 

            colombine    (arrivant) Encore faut-il que je voie cet original que la vue d’une femme jette par terre.

 

            arlequin       Miséricorde! Me voilà reperdu.

 

            gaufichon    (à Colombine) Eh, ventrebleu, ma sœur, retirez-vous dans votre appartement. Ne vous a-t-on pas dit l’accident du siège de Mons, du fourneau et des lavandières? Pasquariel? La Fleur? Champagne? Que tout le monde prête la main pour reporter de Fourbadière sur son lit. (on le reporte) Après le plaisir qu’il me vient de faire, je voudrais le pouvoir secourir de mon sang, il faut ma foi convenir que la Normandie est la pépinière des honnêtes gens.

 

 

 

                  ACTE III

 

 

                                   SCENE I

 

                                   Gaufichon, Pierrot en cuisinière, Mezzetin.

 

            gaufichon    Mais par où voudrais-tu que cet homme fût passé? Moi-même quand je reviens de la ville, j’ai bien de la peine à rentrer dans ma maison sans que mes valets me fouillent. Je te donne à penser comme un autre y serait venu.

 

            pierrot          Je vous dis, Monsieur…

 

            gaufichon    Et moi je te dis que tu es une bavarde, et une carogne qui ne cherche qu’à me donner du chagrin.

 

            pierrot          Oh, ne faites point comme ça le vespasian et le ferragus avec vos injures. Je vous dis et vous douze, qu’il y a dans votre jardin un grand drôle bien bâti, mais je vous dis bien bâti. À la physionomie de son visage, cet ouvrier-là taillerait diantrement des croupières à votre sœur.[61]

 

5          gaufichon    Tu l’as donc vu effectivement?

 

            pierrot          C’est un aussi biau gars…[62]

 

            gaufichon    Mais de par tous les diables, par où est-il entré?

 

            pierrot          Que vous êtes encore simple. Tenez, Monsieur, imaginez-vous que les jeunes hommes sont comme des vents coulis: ça se glisse dans les maisons sans qu’on sache par où ils entrent.

 

            gaufichon    Mais Pasquariel est toujours à la porte.

 

10        pierrot          Faut donc qu’on lui ait fasciné les yeux car j’ai vu le Monsieur, ni plus ni moins que je vous regarde.

 

            gaufichon    (à part) L’affaire mérite quelque petite réflexion. (haut) Jacquette, sur les yeux de votre tête, ne me mentez pas.

 

            pierrot          Tenez, Monsieur, s’il n’y a pas un homme tout luisant d’or dans votre jardin, ôtez-moi la clef de la cave. Dame, voilà un terrible serment sti-là!

 

            gaufichon    Puisqu’ainsi va, monte tout doucement dans ma chambre et m’apporte ma pertuisane qui est au chevet de mon lit.

 

            pierrot          N’est-ce pas ce grand-chose de fer, avec quoi vous faites le carrousel tant que la nuit dure?

 

15        gaufichon    Te dépêcheras-tu? (seul) Ne sortirais-je jamais d’un chagrin que pour rentrer dans un autre? Quoi, au moment que je suis désabusé de Léandre, un autre homme a l’insolence de s’introduire chez moi pour me déshonorer?

 

            pierrot          (revenant) Monsieur, voilà votre plartousiane. A votre place, je n’en ferais point à deux fois, je fendrais en deux l’âme de ce fripon-là pour lui apprendre…[63]

 

            gaufichon    Jacquette, retournez dans votre cuisine comme si de rien n’était, et qu’on ne fasse point de bruit à Monsieur le Baron qui repose. Nous allons voir si on m’insultera jusque dans ma maison. Il y a longtemps que j’ai envie de trouver sous ma patte un de ces aventuriers, qui croient beaucoup honorer une fille riche, quand ils se donnent la peine de l’enlever.

 

            mezzetin       (à part) Il faut vitement apaiser le grabuge de cette masque de cuisinière.

 

            gaufichon    (présentant la pertuisane dans le ventre de Mezzetin) Demeure là.

 

20        mezzetin       (à part) Une hallebarde! Voilà nos cartes bien brouillées. Allons, Mezzetin, bon courage jusqu’au bout. (haut) Faites-moi le plaisir de me dire où je pourrais trouver Monsieur Gaufichon?

 

            gaufichon    Le voilà tout trouvé, que lui voulez-vous?

 

            mezzetin       Quelqu’un de ces enrôleurs vous a-t-il mis sur la liste, Monsieur?

 

            gaufichon    Je pense que c’est le valet de chambre de Monsieur de Fourbadière; et comment se porte ton maître?

 

            mezzetin       Présentement, Monsieur, il se porte assez bien. Mais toute la nuit franchement il nous a désespérés. Ah! Qu’il a souffert! Bon Dieu qu’il a souffert!

 

25        gaufichon    Son mal a donc été plus violent qu’à l’ordinaire?

 

            mezzetin       Je croyais fermement qu’il nous demeurerait entre les bras. Le pauvre homme ne faisait à tout bout de champ que se lamenter, en me disant: est-ce que je mourrai sans voir Monsieur Léandre mon beau-frère? Quoi! Je ne verrai point Monsieur Léandre?

 

            gaufichon    Pour le contenter, il n’y avait qu’à l’aller quérir.

 

            mezzetin       Dès que le jour a paru, j’y ai couru comme au feu. Croiriez-vous, Monsieur, que son mal a cessé dès qu’il a envisagé cet homme-là?

 

            gaufichon    Le bon naturel!

 

30        mezzetin       C’est qu’il aime cette sœur à la folie; il m’a commandé de savoir si vous étiez en votre appartement.

 

            gaufichon    Que souhaite-t-il de moi?

 

            mezzetin       Je pense que c’est pour vous présenter Monsieur son beau-frère; en attendant, ils font un tour dans votre jardin.

 

            gaufichon    Oh, de par tous les diables, voilà donc l’homme que ma carogne de cuisinière a vu. (il jette la hallebarde à côté du théâtre)

 

            mezzetin       Oserais-je prendre la licence, Monsieur, de vous demander les tenants et aboutissants de votre chagrin? Car à la perspective de votre visage, quelqu’un vous a fâché. Si je pouvais le découvrir, par la mort…

 

35        gaufichon    Grâce au Ciel, ce n’est qu’une bévue de ma servante, qui croyait que du monde fût entré chez moi pour me faire pièce.

 

            mezzetin       Oh, ventrebleu, où sont ces marauds-là que je les extermine? Comment, jernie, faire insulte à l’hôte de mon maître!

 

            gaufichon    (à part) Il faut avouer que les Normands sont de bons cœurs d’hommes: cela ne demande qu’à s’égorger pour faire plaisir.

 

            mezzetin       Se jouer à Monsieur Gaufichon!

 

            gaufichon    Heureusement je découvre que ce n’est qu’une fausse alarme.

 

40        mezzetin       S’il ne faut donner que des coups, vous n’avez qu’à dire. Je sers un gentilhomme qui ne me garderait pas un quart d’heure, si je frappais doucement.

 

            gaufichon    On ne saurait trop reconnaître tant de bonne volonté. (il lui offre une bourse)

 

            mezzetin       Vous vous moquez, Monsieur? C’est tout ce que vous pourriez faire si j’avais rompu les bras à quelqu’un pour votre service.

 

            gaufichon    Tiens, te dis-je, prends cela pour l’amour de moi.

 

            mezzetin       Si vous n’aviez pas logé mon maître, je me donne au diable si je prenais de votre argent. Mais comme…

 

45        gaufichon    Tiens, le voici.

 

            mezzetin       Il n’est pas autrement nécessaire, que mon maître sache cette petite particularité-là.

 

            gaufichon    Va, va, nous savons vivre.

 

            mezzetin       (à part) Si ce coquin d’Arlequin apprenait l’aventure, il voudrait en avoir sa part, ou il découvrirait tout. Je le connais, il se ferait pendre pour de l’argent.

 

 

                                   SCENE II

 

                                   Arlequin, Léandre, Gaufichon, Mezzetin. [puis Pasquariel].

 

            arlequin       Ah, mon cher hôte, quel plaisir de vous voir! Je vous prie que mon beau-frère vous embrasse.

 

            gaufichon    Avec bien de la joie, Monsieur.

 

            arlequin       Ma sœur ne sera pas trop mal lotie, non. Vous le connaissez de longue main: n’est-ce pas un galant homme?

 

            gaufichon    Je vous en réponds. C’est le cousin de ma maîtresse. Celle qu’il épouse peut se vanter à coup sûr d’être la plus heureuse femme du royaume.

 

5          léandre        Vous en dites trop, Monsieur, pour être cru.

 

            gaufichon    Non, Dieu me damne, je parle à cœur ouvert. Je vous dirai bien plus, si ma sœur n’était pas engagée à Monsieur Balouard, je tiendrais à grandissime honneur d’avoir un beau-frère de sa mine et de son mérite.

 

            arlequin       Vous mariez donc aussi Mademoiselle Gaufichon?

 

            gaufichon    J’espère qu’aujourd’hui l’affaire en sera réglée. Je me flatte, Messieurs, que vous lui ferez l’honneur de signer son contrat de mariage.

 

            mezzetin       De la force que ces Messieurs-là vous aiment, je gagerais que le mariage de votre sœur leur fait bien autant de plaisir qu’à vous.

 

10        gaufichon    J’en sui persuadé.

 

            léandre        Je serais au désespoir, si quelqu’un entrait plus avant que moi dans les intérêts de votre famille.

 

            arlequin       Je crois que nous sommes tous de même avis là-dessus, et que pas un de nous ne pleurera du mariage de Monsieur Balouard.

 

            gaufichon    Vous me comblez, Messieurs, de toutes vos bontés.

 

            arlequin       (à Léandre) A propos, beau-frère, il ne faut pas abuser de l’honnêteté de Monsieur Gaufichon, il y a assez de temps que je l’incommode.

 

15        gaufichon    Vous moquez-vous, Monsieur?

 

            arlequin       Les compliments mis à part; Monsieur Léandre, courez s’il vous plaît, faire expédier votre contrat aux termes dont nous sommes convenus.

 

            léandre        Je vous obéis avec un grand plaisir. [(il s’en va)]

 

            arlequin       Mon hôte, je vous ai promis de signer le contrat de votre sœur, mais à condition que vous signerez celui de la mienne.

 

            [gaufichon]  De toute mon âme. Je m’en vais de mon côté prier mon notaire de se tenir prêt pour tantôt. Ah, que vous êtes heureux, vous autres Normands, de vous défaire d’une fille pour rien, ou du moins pour peu de chose!

 

20        arlequin       Quand on débite cette marchandise-là un peu fraîche, on s’en défait toujours à meilleur marché. Ce n’est pas que pour moi je fais les choses fort honorablement; tel que vous me voyez, je donne à ma sœur cinq mille livres d’argent sec, un septième dans le colombier, et pareille portion en quatre instances pendantes au baillage de Falaise.

 

            gaufichon    Le tout ensemble peut devenir considérable.

 

            arlequin       Et si, là-dessus je n’y fais point entrer mon crédit auprès des juges.

 

            gaufichon    Cela peut encore valoir quelque chose.

 

            arlequin       Comptez que Monsieur Léandre peut tuer hardiment cinq ou six personnes, sans appréhender ni informations ni poursuites. Sans vanité il n’y a point de maison dans la province où les sergents fassent si peu d’ordure que chez moi.

 

25        gaufichon    Vous avez de beaux privilèges dans votre Normandie.

 

            arlequin       Celui d’être de vos amis me fait mépriser tous les autres. Adieu, notre cher, je vous quitte pour aller achever mes emplettes. Entre amis on en use librement.

 

            gaufichon    Vous êtes le maître, Monsieur, et de ma fortune et de tout ce qui dépend de moi. (Arlequin s’en va [avec Mezzetin]) Pendant qu’il songe à ses affaires, je m’en vais terminer celle de ma sœur. Quand une fois j’aurai cette épine hors du pied, je serai le plus content du monde.

 

            pasquariel    (arrêtant Gaufichon) Madame la Comtesse d’Entremise demande à voir Mademoiselle, pour lui faire compliment sur son mariage. Il faut que ce soit une femme de grande qualité, car son laquais lui porte la queue bien haut. La laisserai-je entrer?

 

            gaufichon    Voilà une belle demande! Qu’on la conduise à l’appartement de ma sœur. Vous verrez que c’est quelque dame du quartier qui vient prendre part à notre joie. (il s’en va)

 

 

                                   SCENE III

 

                                   Le Docteur, Pierrot.

 

            le docteur   Quel plaisir, Pierrot, quel plaisir d’être aimé par une belle personne! Non, trente fortunes comme la mienne ne paieraient pas l’amitié de Mademoiselle Gaufichon. M’avoir préféré à un capitaine de bombardiers, et à tant d’honnêtes gens qui la recherchent! A mon âge c’est être bien heureux. Qu’en penses-tu, Pierrot?

 

            pierrot          Je dis, Monsieur, que je vous plains d’avoir attendu si tard à jeter votre gourme.[64] Voilà-t-il pas un homme bien récréatif pour un tendron de dix-huit ans! Comme je vous affectionne, je vous parle, moi, à cœur ouvert. Cette fille-là est trop fringante pour vous.

 

            le docteur   Quand la jeunesse est trop vive, on tâche de la ramener tout doucement par la raison.

 

            pierrot          Vous avez beau dire, vous êtes trop sage pour une bête de cet âge-là. Eh, de par tous les diables, que faites-vous depuis le matin jusqu’au soir dans votre bibliothèque? Un docteur ne devrait-il pas savoir qu’en moins de trois mois une jument bondissante va jeter une rosse comme vous dans l’ornière, et que le mariage va tout de travers quand l’homme ne tire pas à plein collier.

 

5          le docteur   Monsieur le faquin, les épaules vous démangent.

 

            pierrot          Oh, la tête vous démange bien davantage. Allez, Monsieur, n’avez-vous pas de conscience de vous rebiffer contre un pauvre valet qui vous remontre si bonnement vos sottises?

 

            le docteur   Tu crois donc que c’est sottise d’épouser une jeune personne?

 

            pierrot          Je crois que c’est tout fin droit comme ceux qui prennent des violons à leur service: ils font danser toute la ville, et ne dansent presque jamais.

 

            le docteur   À ce que je vois, tu te mets sur le pied de précepteur.

 

10        pierrot          Tant que les femelles ne vous ont point gâté le timbre, je vous ai gouverné assez gentiment; mais depuis que la rage de la noce vous tient, vous devenez si incorrigible, qu’à la fin je vous lâcherai la bride sur le cou.

 

            le docteur   Et moi, je vous lâcherai une volée de coups de bâton, qui mortifieront diablement votre morale. Ouais! Quand ce gueux-là se met à raisonner…

 

 

                                   SCENE IV

 

                                   Gaufichon, le Docteur, Pierrot.

 

            gaufichon    Il me semble que vous le prenez d’un ton bien aigre avec Pierrot.

 

            le docteur   Pierrot a ses quintes tout comme les autres valets.

 

            pierrot          Il n’a garde de vous dire que, quand vous êtes venu, je lui donnais la poussée sur son mariage avec votre sœur.

 

            gaufichon    Eh, pourquoi cela?

 

5          pierrot          (bas à Gaufichon) C’est qu’il branlait encore un peu dans le manche. Comme j’ai vu ça, je lui ai changé sa gamme d’un bout à l’autre. De la manière comme je lui ai parlé, je vous réponds à cette heure qu’il l’épousera.

 

            gaufichon    Tu n’obliges pas un ingrat.

 

            le docteur   Ne pourrait-on pas savoir ce que Pierrot vous confie?

 

            pierrot          Moi, je disais à Monsieur, que l’amour vous fait perdre le boire et le manger, et que si vous n’êtes promptement secouru, l’infection que vous portez à sa sœur vous fera crever; écoutez, Monsieur, il y a valets et valets, mais je veux bien vous dire qu’ous n’en trouverez point qui se jettent comme moi à corps perdu dans vos intérêts.

 

            le docteur   Ce maraud-là ne mérite pas votre attention. Ça, Monsieur, parlons de notre affaire. Quand voulez-vous me rendre heureux?

 

10        gaufichon    Présentement. Rien ne peut retarder votre joie et la mienne, et mes chagrins sont dissipés: Léandre épouse Mademoiselle de Fourbadière, le bombardier vient de partir pour sa garnison, ma sœur s’est déclarée pour vous, enfin tout semble concourir à l’honneur d’être votre beau-frère. Il n’y a plus que le contrat à signer: êtes-vous content de mon notaire? A-t-il suivi vos intentions?

 

            le docteur   Je vous l’ai déjà dit, je donne tout mon bien sans aucune réserve.

 

            gaufichon    Ma sœur ne vous considère point par cet endroit-là, Monsieur, c’est par le cœur qu’elle est prise, et son unique soin sera d’aimer son mari.

 

            le docteur   Vous me faites venir l’eau à la bouche.

 

            gaufichon    Dans une couple d’heures, vous connaîtrez que je vous dis vrai.

 

15        le docteur   Mais êtes-vous bien certain que ce Monsieur Brise-Roche soit parti?

 

            gaufichon    Rien n’est plus véritable. Malepeste, s’il était ici, nous serions mal dans nos affaires.

 

            le docteur   Cela étant, il faut se prévaloir de son absence, et conclure le mariage dès ce soir. Quand une fois votre sœur sera ma femme, je me moque de lui et de sa poudre à canon. Adieu pour un moment, je vais donner ordre au festin; et faites avertir votre notaire de se tenir prêt pour venir tantôt. (il s’en va)

 

            gaufichon    Par quel endroit me suis-je attiré du Ciel une protection si déclarée? Malgré toutes les prédictions d’Isabelle, ma sœur sera pourtant mariée selon mon choix. Je n’ai jamais mieux fait que de m’en rendre le maître, et de fermer ma porte aux muguets.[65] Un homme sans vigueur n’est bon à rien.

 

 

                                   SCENE V

 

                                   Gaufichon, Léandre, Arlequin.

 

            gaufichon    Voici notre campagnard qui a fait apparemment toutes ses emplettes.

 

            arlequin       Oh, Monsieur Gaufichon, l’affreuse ville que votre Paris! Il y a, mardi, des rues aussi longues que carême.

 

            gaufichon    C’est ce qui en fait la beauté.

 

            arlequin       Ma foi, vivent les petites villes pour y être respecté: en ce pays-ci, on ne salue personne. A Falaise je fais mettre aux cachots pour six semaines, quand on ne me tire pas le chapeau de cinq cents pas.

 

5          léandre        Je ne m’étonne donc pas que les Normands aiment tant leur pays.

 

            arlequin       (à Gaufichon) Mon hôte, quel bagage[66] est-ce là que je vois sortir de votre maison?

 

            gaufichon    C’est une dame du quartier qui vient complimenter ma sœur sur son mariage.

 

            arlequin       Ah, c’est bien fait. Est-elle jolie?

 

            gaufichon    Nous allons voir.

 

 

                                   SCENE VI

 

                                   Mezzetin en dame du quartier, Colombine, et les acteurs de la scène précédente. [puis Pasquariel].

 

            mezzetin       (à part) Courage, voici le coup de partie. (haut à Colombine) Quoi, Mademoiselle, pousser la civilité jusqu’à la rue?

 

            colombine    Le plaisir de vous voir, Madame, mènerait les gens encore plus loin. (vers Gaufichon) Mon frère, c’est Madame la Comtesse d’Entremise, qui s’est donné la peine de nous venir témoigner sa joie sur mon mariage.

 

            arlequin       Une bonne grosse gaguy![67]

 

            gaufichon    (à la Comtesse) Vous ne sauriez, Madame, me faire un plus sensible plaisir que de vous intéresser à l’établissement de ma sœur, je crois qu’elle a lieu d’être contente.

 

5          mezzetin       On ne peut jamais s’en expliquer avec un empressement plus honnête.

 

            colombine    Oh, Madame! Ne me faites point rougir! Je vous ai peut-être ouvert mon cœur avec trop de franchise. Que voulez-vous, je suis née sincère, et je veux bien que le monde sache que je ne marierais point, si je n’aimais mon mari de toute l’étendue de mon âme.

 

            léandre        Ah! Que j’envie son bonheur!

 

            colombine    Ne l’enviez point, Monsieur, je suis persuadée que votre femme vous en dira tout autant.

 

            mezzetin       (bas à Colombine) Expédions matière. (haut) Ma belle Demoiselle, c’est trop vous incommoder.

 

10        gaufichon    Ma sœur, que n’avez-vous fait mettre les chevaux au carrosse?

 

            mezzetin       Ce n’est pas la peine, Monsieur, je ne vais que chez Mademoiselle Isabelle.

 

            colombine    Puisque vous ne voulez point de carrosse, souffrez au moins que mon frère vous donne la main jusque là.

 

            gaufichon    (se présentant) Ce me sera bien de l’honneur.

 

            mezzetin       On ne sort point de chez soi le jour qu’on marie sa sœur.

 

15        gaufichon    Souffrez tout au moins que ces deux cavaliers-là vous accompagnent.

 

            arlequin       Très volontiers; aussi bien je suis gros de[68] saluer la maîtresse de mon hôte. On dit par le monde qu’elle a la gorge aussi charmante que l’esprit.

 

            colombine    (à la Comtesse) Madame, par ce vilain temps-là, ne voudriez-vous point prendre une grosse coiffe et une écharpe?

 

            mezzetin       Cela n’est point de refus, Mademoiselle, à cause de ma fluxion sur le visage.

 

            gaufichon    Jasmin, allumez vite un flambeau!

 

20        mezzetin       (à Gaufichon) Je vous donne, Monsieur, des peines infinies.

 

            léandre        (à la Comtesse) Vous ne connaissez pas Monsieur Gaufichon: jamais homme n’a été plus galant et plus officieux.

 

            gaufichon    (allant au devant du laquais) Où donc est ce coquin-là? Faudra-t-il que j’aille moi-même au-devant de lui? (pendant que Monsieur Gaufichon dit ces mots, Colombine prend la coiffe et l’écharpe de la Comtesse, et Mezzetin se retire. Gaufichon apercevant le laquais) Je vous sais bon gré, Monsieur le maraud, d’être cause qu’une dame de qualité est incommodée! (vers Colombine qu’il croit être la Comtesse) Madame, je vous demande mille pardons de la sottise de mon laquais.

 

            léandre        Il n’y a encore rien de gâté.

 

            gaufichon    Madame, à cause de votre fluxion cachez-vous bien le visage de vos coiffes et de votre manchon, les rhumes sont mortels cette année. (à Léandre et à Arlequin) Messieurs, je vous recommande cette dame-là.

 

25        léandre        Ne vous embarrassez pas, nous en aurons plus de soin que vous.

 

            gaufichon    On a beau dire, les femmes de qualité se distinguent toujours par leurs manières. Cette dame ne se contente pas d’avoir fait ses civilités à ma sœur, elle veut encore, pour me combler, rendre visite à ma maîtresse.

 

            pasquariel    (entrant) Il y a là un homme qui dit qu’il est notaire, le laisserai-je entrer sans le fouiller?

 

            gaufichon    Oui, de par tous les diables, oui. Sans cet homme-là, nous ne saurions rien faire: jamais il ne pouvait arriver plus à propos.

 

 

                                   SCENE VII[69]

 

                                   Gaufichon, le Notaire.

 

            gaufichon    Je vous attends, Monsieur, avec beaucoup d’impatience.

 

            le notaire    Je présume, Monsieur, par votre impatience, que vous voulez faire un testament.

 

            gaufichon    Moi, un testament? Il rêve.

 

            le notaire    La coutume, comme vous le savez, nous prescrit d’être deux pour le recevoir; autrement ce serait une nullité qui défigurerait l’acte sans aucune ressource.

 

5          gaufichon    Qu’ai-je à faire, moi, de tout votre grimoire?

 

            le notaire    Grâces au Ciel, votre maladie n’est pas pressante: j’aurai bien le temps d’appeler un de mes confrères.

 

            gaufichon    (le retenant) Eh, non, Monsieur, n’appelez personne. Il n’est pas besoin de testament, j’ai bien d’autres choses en tête.

 

            le notaire    C’est peut-être pour une donation entre vifs?

 

            gaufichon    Encore moins.

 

10        le notaire    Auquel cas, il est bon de vous avertir que le donateur doit être libre et sain d’esprit. Je veux croire, Monsieur, que vous n’êtes pas dans cette situation-là.

 

            gaufichon    Est-ce que j’ai l’air d’être fou?

 

            le notaire    Il faut de plus, que la chose donnée appartienne au donateur.

 

            gaufichon    Le pauvre homme perd l’esprit.

 

            le notaire    Parce qu’autrement, au lieu d’avoir fait une grâce, il ne laisserait au donataire que le chagrin de regretter une libéralité infructueuse.

 

15        gaufichon    Pourquoi diable m’embarrasser de vos rubriques?

 

            le notaire    Ce sont, Monsieur, de petites observations que le devoir de la profession nous oblige de vous faire.

 

            gaufichon    Eh, Monsieur le notaire, Dieu merci, je me porte bien, et je ne songe ni à testament ni à donation. Je vous demande seulement si…

 

            le notaire    N’est-ce point aussi que vous couchez quelque grosse terre en joue[70] pour donner du relief à vos qualités?

 

            gaufichon    À la fin la patience m’échappera.

 

20        le notaire    C’est quelque chose à la vérité d’avoir un beau titre; mais la vanité de l’acquéreur fait presque toujours manquer aux précautions les plus nécessaires.

 

            gaufichon    Le maudit parleur!

 

            le notaire    Vous avez beau dire, il n’y a que le décret qui puisse rendre votre possession paisible.

 

            gaufichon    Que la peste vous étouffe avec votre terre et vos décrets! Je ne vous demande que le loisir de m’expliquer.

 

            le notaire    Tout à votre aise, Monsieur. De bonne foi, me croyez-vous assez indiscret pour instrumenter,[71] sans savoir précisément votre intention?

 

25        gaufichon    Mon intention, de par tous les diables, est de savoir si le contrat de Monsieur Balouard est prêt à signer!

 

            le notaire    Pour qui me prenez-vous, Monsieur? Sachez que je ne travaille point pour des noms de coq-à-l’âne. En un mot, je m’appelle Gabriel L’Altéré, notaire au Châtelet de Paris sachant mon métier, et de plus le faisant avec honneur.

 

            gaufichon    Je conviens, Monsieur, de toutes vos prérogatives. Mais encore, que venez-vous chercher dans ma maison?

 

            le notaire    Je cherche un seigneur de Basse-Normandie appelé le Baron de Fontagrière.

 

            gaufichon    Vous voulez dire de Fourbadière.

 

30        le notaire    Justement, qui marie sa sœur à Monsieur Léandre; et comme ils doivent prendre la poste demain à la pointe du jour, je crois qu’ils n’ont pas de temps à perdre pour faire signer le contrat à mes amis.

 

            gaufichon    Sûrement, j’y signerai avec plaisir. Tenez, ils ne font que de sortir pour reconduire une dame jusqu’à deux pas d’ici.

 

            le notaire    Que je vous serais redevable, Monsieur, si je pouvais savoir précisément où ils sont allés!

 

            gaufichon    Je veux vous faire le plaisir tout entier, et vais vous y mener moi-même.

 

            le notaire    Ah, Monsieur, je ne mérite pas la peine que…

 

35        gaufichon    Vous moquez-vous, avec votre peine? Ce sont mes meilleurs amis. En chemin faisant, Monsieur L’Altéré, dites-moi, je vous prie, combien Léandre vous donnera-t-il pour la façon de son contrat?

 

            le notaire    Hélas, Monsieur, je n’en aurai pas plus que celui de Mademoiselle votre sœur. Nous faisons payer tous les gens de condition sur le même pied. Votre notaire vous dira cela comme moi. Jamais nous ne prenons que le dixième du prix des contrats.[72]

 

            gaufichon     Malepeste, le dixième!

 

            le notaire    On se passe à cela présentement, parce que l’argent devient rare.

 

            gaufichon    Je ne m’étonne pas si Messieurs vos confrères se jettent dans les grandes charges.

 

 

                                   SCENE VIII

 

                                   Gaufichon, Léandre, Arlequin, le Notaire. [puis Isabelle, Colombine en dame].

 

            gaufichon    (apercevant Arlequin et Léandre) Mes chers amis, nous allions vous chercher.

 

            léandre        (apercevant le notaire) Eh bien, Monsieur L’Altéré, pouvons-nous partir demain?

 

            le notaire    J’ai rempli de ma part tout mon petit ministère.

 

            arlequin       Monsieur le tabellion, prenez garde que votre commune de Paris n’aille pas heurter celle de Normandie. Ces sortes d’affaires-là ne se pardonnent jamais.

 

5          le notaire    De la manière que je m’y suis pris, toutes les parties seront contentes de moi.

 

            gaufichon    Monsieur est habile homme: il m’a donné tantôt un rude échantillon de sa capacité.

 

            léandre        (vers le notaire) Dites-moi, je vous prie, les parents ne signent-ils pas les premiers?

 

            le notaire    C’est l’usage, Monsieur, et les amis ensuite.

 

            léandre        Cela étant, Monsieur le Baron, prenez la peine de mener le branle.

 

10        arlequin       Je gagerais, quinze contre un, que Monsieur Léandre ne se repentira point de cette affaire-ci. Monsieur Gaufichon en sera bien de moitié avec moi. Je ne sais ce qui arrivera, mais je signe avec beaucoup de confiance.

 

                                   (Isabelle arrive avec Colombine toujours déguisée en comtesse)

 

            léandre        (allant au-devant d’Isabelle) Ah, ma chère cousine, que je vous ai d’obligation de venir approuver l’alliance que je fais aujourd’hui.

 

            isabelle         Vous m’en avez plus que vous ne pensez. J’amène avec moi Madame la Comtesse, qui malgré sa fluxion, veut à toute force signer à votre contrat.

 

            gaufichon    Elle a raison, c’est un fort galant homme.

 

            isabelle         Elle se loue aussi beaucoup des manières de Monsieur le Baron.

 

15        arlequin       Ne pensez pas rire. Quoique je ne sois pas le plus bel homme du royaume, je puis me vanter d’amuser moi seul plus de femmes que tous les gens de cour ensemble. Un Normand qui parle avec l’accent, a toujours bien de la presse autour de lui. (au notaire) Allons, Monsieur L’Altéré, faites un peu là votre charge comme il faut. (le notaire présente la plume à Isabelle qui l’offre à Colombine)

 

            isabelle         (à Colombine) Souffrez, Madame, que j’aie l’honneur de vous la présenter.

 

            gaufichon    Elle a raison, Madame, les femmes doivent signer avant les filles.

 

                                   (Colombine prend la plume, et signe)

 

            isabelle         (la voyant signer) Je ne sais comment fera mon cousin, pour reconnaître des manières si obligeantes.

 

            arlequin       Il fera de son mieux, je vous en réponds.

 

20        isabelle         (prenant la plume et signant) Pour moi, le cœur me dit que Léandre sera heureux. (vers Gaufichon) Qu’en dites-vous, Monsieur Gaufichon?

 

            gaufichon    (prenant la plume) Je le crois comme vous; et pour preuve, j’applique de très bon cœur mon nom auprès du vôtre. (il signe)

 

            léandre        Je pense que c’est à mon tour à glisser. (il signe et dit au notaire) Monsieur L’Altéré, vous n’avez présentement qu’à faire expédier la grosse.[73]

 

            le notaire    Dans une couple d’heures je vous la rapporte en forme.

 

 

                                   SCENE derniÈre

 

                                   Le Docteur, un autre Notaire, les acteurs de la scène précédente. [puis Pasquariel, Pierrot].

 

            arlequin       (apercevant le Docteur tout chargé de rubans couleur de feu) Je crois que voici de la moutarde après-dînée.

 

            le docteur   Je suis au désespoir, Mesdames, de vous avoir tant fait attendre; mais on ne gouverne pas messieurs les notaires comme on voudrait.

            gaufichon    Heureusement, il n’y a encore rien de gâté.

 

            colombine    (à part) À ce qu’il croit.

 

5          gaufichon    Par un bonheur extrême, tous nos amis qui viennent de signer le contrat de Monsieur Léandre, nous feront aussi l’honneur de signer le vôtre; et comme cela nous ferons d’une pierre deux coups.

 

            colombine    (à part) Et d’une fille deux mariages. Je crois que nous allons un peu rire.

 

            gaufichon   Comme frère de la mariée, je vais vous montrer le chemin. (au notaire) Monsieur de La Pince, votre meilleure plume, s’il vous plaît! Me voilà au comble de ma joie.

 

            arlequin       (à part) Cela est trop violent, cela ne durera pas.

 

            le notaire    Pour faire les choses dans l’ordre, il serait à propos que les parties intéressées fussent ici présentes.

 

10        gaufichon    Oh, je vous réponds de ma sœur.

 

            colombine    (à part) Vous allez voir qu’un homme sage ne doit répondre de personne.

 

            le docteur   Eh, Monsieur de La Pince,[74] abrégeons matière, je vous en conjure. Mademoiselle Gaufichon signera de reste, c’est une fille qui m’épouse par pure amitié, et qui me préfère à mille gens qui valent mieux que moi.

 

            léandre        Marque de son bon goût.

 

            pasquariel    (arrive tout troublé) Ah, Monsieur Gaufichon, mon cher maître… Mon pauvre maître, tout est perdu.

 

15        isabelle         Qu’est-il arrivé de nouveau?

 

            pasquariel    Mademoiselle… Ah! Ah! Ah!

 

            gaufichon    Eh bien?

 

            pasquariel    Mademoiselle votre sœur est… est… est perdue, Monsieur: on ne la trouve point dans la maison.

 

            le docteur   On ne la trouve point dans la maison? Vous verrez que le bombardier est revenu. Ah, Monsieur Gaufichon, nous sommes des gens massacrés.

 

20        colombine    (à part) Oh point, personne ne mourra de cette affaire-ci.

 

            gaufichon    Ma porte n’a-t-elle pas toujours été bien fermée?

 

            pasquariel    Les clefs ne partent point de ma poche. (il montre un gros paquet de clefs)

 

            gaufichon    Il ne faut pas s’alarmer mal à propos: il n’y a pas un quart d’heur que Madame la Comtesse d’Entremise l’a laissée au logis.

 

            arlequin       Une fille ne se perd pas comme un couteau de poche. Vous l’allez retrouver quand vous y penserez le moins.

 

25        gaufichon    Vous verrez qu’elle s’est retirée dans son cabinet pour ajuster ses pierreries. (vers le notaire) Monsieur de La Pince, allons toujours notre train. Faites signer ces dames (le notaire présente la plume à Colombine qui est toujours déguisée, et Gaufichon s’en approchant, lui dit) La douleur de votre fluxion vous permettra-t-elle, Madame, de…

 

            colombine    (relevant sa coiffe) Oui, mon frère, tous mes maux sont finis, votre mauvaise humeur était le seul que j’avais à craindre. Mais les empressements de Monsieur Léandre m’en ont heureusement délivrée.

 

            arlequin       Je n’y ai pourtant pas nui, moi.

 

            colombine    Grâce à votre défiance, et malgré vos sentinelles, me voilà femme d’un homme de mérite. Vous pouvez, si bon vous semble, faire un présent de votre docteur à quelque demoiselle ruinée, qui sacrifiera volontiers sa jeunesse à de l’argent. Pour moi qui suis née avec une fortune honnête, et un cœur bien placé, vous trouverez bon que je me garantisse d’un écueil de roupies,[75] de gouttes et d’infirmités, que votre bon naturel me préparait depuis si longtemps.

 

            le docteur   Oh, il ne fallait rien pour cela, Mademoiselle, il ne fallait rien, rien, rien.

 

30        colombine    Grâce au Ciel, me voilà pour jamais hors de votre conciergerie. Si vous m’en voulez croire, cherchez sous main quelque homme de votre humeur à qui vous puissiez revendre vos verrous, vos grilles de fer, et vos serrures.

 

            arlequin       (vers Gaufichon) Trouvez-vous pas, Monsieur, qu’elle arrange cela assez mignardement?

 

            gaufichon    Ai-je bien entendu? Est-ce ma sœur que je vois? Ma surprise ne trompe-t-elle point tout à la fois et mes yeux et mes oreilles?

 

            arlequin       Non, Monsieur, nous avons tous entendu la même chose.

 

            gaufichon    Quoi! Ma sœur épouse Léandre, d’intelligence avec ma maîtresse? Ah, Ciel! Quel poignard mes mets-tu dans le cœur?

 

35        isabelle         Ne vous ai-je pas dit cent fois qu’il est périlleux d’enfermer une fille raisonnable, parce que tout le monde se fait un plaisir de berner le geôlier, et de secourir la prisonnière?

 

            colombine    Depuis vingt-quatre heures, mon cher frère, vous avalez trop agréablement la pilule, pour en fâcher.

 

            gaufichon    Mais encore, ne saurai-je pas le détail de ma catastrophe?

 

            arlequin       Je vous la veux dire par charité; mais fort laconiquement, afin de soulager votre mémoire. Reprenons la chose dans son principe. Vous savez bien cette conférence d’académie chez votre maîtresse?

 

            gaufichon    Trop, de par tous les diables, trop.

 

40        arlequin       Après cela, le maçon et le serrurier qui vous escamotèrent vingt pistoles; parlant par respect, j’étais le maçon, et Mezzetin le serrurier; et puis le marchand de bas d’Angleterre, la porteuse d’eau, le bombardier, le garçon tailleur, le portrait de Léandre, le mousqueton, l’épée, les pistolets, la pertuisane, le manteau de cocher tout chamarré de coups d’étrivières, le cousin de Trigouille, le Baron de Fourbadière, le siège de Mons, le fourneau, le fumier, la basse-cour, les lavandières, la maladie, les compliments de la Comtesse d’Entremise sur le pas de votre porte avec une coiffe et une écharpe, Mademoiselle votre sœur décampe, vous-même la baillez à conduire chez votre maîtresse, Monsieur L’Altéré apporte le contrat, à votre exemple tout le monde le signe. Jusqu’à présent, voilà ce qu’il y a de besogne taillée; Monsieur Léandre achèvera l’histoire au premier jour. Quant à moi, voilà ce qui me regarde, et voilà ce qui arrive à coup sûr aux enfermeurs de filles.[76]

 

            gaufichon    Quoi, Monsieur de Baron, tout cela n’était pas vrai?

 

            arlequin       Non, Monsieur, cela n’était que vraisemblable, et c’est ce qui vous a fait donner si heureusement dans le panneau.

 

            gaufichon    Mon pauvre Monsieur le Docteur, que deviendra votre dépense?

 

            léandre        Je le rembourserai de tout, jusqu’aux frais du petit opéra qu’il a préparé, et dont nous allons prendre le divertissement.

 

45        pierrot          (au Docteur) Encore n’est-ce pas tout perdre. Eh bien, Monsieur, une autre fois prendrez-vous de mes almanachs?[77] Vous frotterez-vous à de jeunes chèvres?

 

            le docteur   Tout bien considéré, je ne suis plus d’âge à couleur de feu. Monsieur Gaufichon, il faut prendre patience. On va un peu rire à nos dépens; franchement nous le méritons bien. Mademoiselle votre sœur nous a fait tourner la cervelle à tous deux. Moi, je suis un fou d’y avoir osé prétendre; et vous, un autre fou de me l’avoir voulu donner.

 

            colombine    Mon frère, en quelque chose le malheur est bon. Croyez-moi, cette épreuve-ci vous fera du bien dans la suite, et votre histoire apprendra au public que de toutes les précautions celle de garder une femme est la plus inutile. Mais qu’on fasse entrer les danseurs, et qu’on se divertisse.[78]

 

                                   (on danse, et on chante les paroles qui suivent)

 

                                               Penses-tu, jaloux, être sage

                                               De resserrer une beauté?

                                               Plus on la tient en esclavage,

                                               Plus on l’engage

                                               À trahir la fidélité.

                                               Un oiseau que l’on tient en cage

                                               N’aspire qu’à la liberté.

 

 

 

 

Bibliografia citata

 

 

Opere citate

 

[Fatouville], Arlequin empereur dans la Lune, Troyes, Garnier, s. d.

[—————], Grapinian [sic], ou Arlequin procureur, Paris, Blageart, 1684.

Alberti, Carmelo (a cura di), Gli scenari Correr. La commedia dell’arte a Venezia, Roma, Bulzoni, 1996.

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Gigli, Girolamo, La scuola delle fanciulle ovvero il Pasquale, a cura di Antonio Di Petra, Firenze, Le Monnier, 1973.

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[1] L’indicazione dell’identità dell’incisore è data da Guardenti, Renzo, Gli Italiani a Parigi. La Comédie Italienne (1660-1697), cit., vol. II, p. 40.

[2] Aggiungiamo alla lista originale i personaggi che sono stati dimenticati nell’edizione di Gherardi. La lista si rivela comunque alquanto confusa per quanto riguarda le doppie parti e i travestimenti interni all’intreccio. Proponiamo qui una lista più chiara con una ripartizione in due categorie di personaggi separati da una riga in bianco: la prima riprende i ruoli della compagnia in adeguamento con i personaggi della macrostruttura della commedia. La seconda riguarda i personaggi ‘fittizi’ interni, cioè inventati per gli stratagemmi e derivati da travestimenti di personaggi della prima lista (indicati tra parentesi). A questo scopo, abbiamo aggiunto nella prima categoria il servo del Docteur, e spostato nella seconda categoria il facchino («crocheteur») che corrisponde in realtà al travestimento di Léandre per entrare in casa di Gaufichon insieme al falso barone:

 

            gaufichon, amant d’Isabelle.

            colombine, sœur de Gaufichon.

            marinette, servante de Gaufichon.

            pasquariel, pierrot, valets de Gaufichon.

            le docteur, futur de Colombine.

            lÉandre, amant de Colombine.

            isabelle, cousine de Léandre.

            mezzetin, arlequin, valets de Léandre.

            Un cocher (Pierrot).

            Une porteuse d’eau (Pierrot).

            Une cuisinière (Pierrot).

            Deux notaires (Mezzetin ; Cinthio/Octave?).

            Un valet du Docteur (Pierrot)

            Deux laquais (Jasmin: valet d’Isabelle, valet de Gaufichon).

 

            Un crocheteur (Léandre).

            Le Baron des Fourneaux/de Fourbadière (Arlequin).

            Un marchand anglais (Mezzetin).

            Un cocher (Gaufichon).

            La Comtesse d’Entremise (Mezzetin).

            Un maçon (Arlequin).

            Un serrurier (Mezzetin).

            Un garçon tailleur (Arlequin).

[3] pierrot: questo servo ha diverse funzioni nella commedia: al servizio di Gaufichon come sentinella, insieme a Pasquariel (che è il servo principale di Gaufichon), funge anche da servo del Docteur. Nella prima scena, il Docteur minaccia di bastonarlo al motto sul pagamento dei servi. Più avanti diventa il consigliere ironico del progetto matrimoniale del Docteur (III.3, III.9). Pierrot assume inoltre la parte del cocchiere di Isabelle («maître-fiacre») che crede di essere licenziato (I.4).

[4] un cocher: nella lista dei personaggi corrisponde a una parte di Pierrot in quanto cocchiere di Isabelle (maître-fiacre) a cui prende in prestito un mantello e la frusta e che crede di essere licenziato (I.4). Invece un cocher nella seconda parte della lista non è una svista, ma corrisponde al travestimento di Gaufichon (II.3; II.5).

[5] Une porteuse d’eau, Une cuisinière: personaggi della macrostruttura, noti nelle loro funzioni professionali dai famigliari di casa Gaufichon (dame Claude per la portatrice d’acqua, I.5, e Jacquette per la cuoca, III.1) ma interpretati comicamente da Pierrot.

[6] Deux notaires: strana elencazione di due personaggi molto diversi. Il primo ad intervenire è un notaio chiacchierone e aperto ad ogni evenienza nei casi di contratti (III.7): sarà lui a fare firmare quello del matrimonio di Colombine con Léandre all’insaputa di Gaufichon (III.8); il secondo è il notaio portato troppo tardi dal Docteur per concludere le nozze, è quasi una comparsa: appare sotto l’appellativo un autre notaire nell’ultima scena e il suo intervento si limita ad una battuta (III.9). Sulle attribuzioni di queste parti ad attori della compagnia possiamo fare solo ipotesi (il primo notaio, soprattutto, potrebbe essere Mezzetin) per cui rimandiamo alla Prefazione della commedia.

[7] Deux laquais: Jasmin è il nome dato da Isabelle al cameriere di casa sua (II.3), ma anche da Gaufichon che chiama il proprio servo introvabile davanti casa al momento di fare accompagnare la Comtesse d’Entremise (III.6).

[8] Le Baron des Fourneaux: il personaggio è chiamato in realtà Baron de Fourbadière nella commedia. Probabilmente Baron des Fourneaux (dei fornelli esplosivi) era il primo nome previsto in conformità con l’invenzione del personaggio da parte di Arlequin che, travestito da barone normanno, racconta nell’atto secondo di avere fatto la guerra e avere subìto l’esplosione in pieno viso della dinamite (da qui il volto nero, cioè la maschera di Arlequin) prima di finire su un letamaio vicino a lavandaie che battevano il bucato, il che ha provocato un trauma che gli impedisce di sopportare la vista delle donne (II.7). Il nome Fourbadière è antonomastico e suggerisce il carattere ingannatore (fourbe) del falso barone.

[9] Un marchand anglais: si tratta di Mezzetin travestito da mercante di calze inglese inseguito dai concorrenti e rifugiatosi in casa di Gaufichon (I.4). Nella parte, Mezzetin impiegherà una lingua tra il francese e l’inglese molto comica.

[10] Un cocher: come abbiamo detto, questa seconda menzione di una parte di cocchiere corrisponde in realtà al travestimento di Gaufichon per mettere alla prova le sue sentinelle (II.5).

[11] [La Comtesse d’Entremise]: si tratta di Mezzetin travestito da dama nobile del quartiere che viene a fare gli auguri alla sposina Colombine e interviene per consegnarle il travestimento (cuffia e sciarpa che protegge il viso da una flussione) in modo da farla uscire di casa con Léandre (III.6). Entremise è un nome ironicamente allusivo destinato a suggerire la parte da protettrice, ma in realtà mezzana, svolta dal personaggio fittizio.

[12] [Un maçon], [Un serrurier]: rispettivamente Arlequin travestito da muratore e Mezzetin da fabbro, presentatisi per i lavori in casa di Gaufichon a cui riusciranno a sottrarre denaro (I.3).

[13] [Un garçon tailleur]: Arlequin travestito da sarto e mandato da Léandre per avvicinare Colombine (I.6).

[14] l’esprit en écharpe: lo spirito turbato, imbrogliato.

[15] je dévisagerais la philosophie: maltratterei la filosofia.

[16] où personne ne s’intéresse: in cui nessuno si senta colpito, offeso.

[17] pargué: interiezione per accentuare il discorso, equivalente a pardi (contrazione e attenuazione di par Dieu).

[18] maraud: insulto indirizzato ad un uomo del popolo, col senso insieme di misero e furfante.

[19] plumets: uomini giovani ed eleganti (con tanto di piume sul cappello), con senso dispreggiativo. ¨ un rencontre: forma maschile antiquata col senso di un’occasione.

[20] tous venants: ognuno. ¨ vous prendrez l’affirmative: vi pronuncerete per (con il sottinteso: vi schiererete dalla parte della necessità di rinchiudere le ragazze).

[21] mardi: locuzione popolare, equivalente di mordi o morbleu (per attenuare il più bestemmiatore mordieu), stesso senso che l’interiezione pargué o pardi. ¨ blondins: stesso senso che plumets, ossia giovani eleganti.

[22] La parentesi quadra è un’aggiunta nostra (qui e altrove) per indicare i personaggi che fanno il loro ingresso nella scena ma il cui nome è stato omesso dall’autore o dal curatore nella didascalia di inizio scena.

[23] étrivières: colpi.

[24] aller en charrette: probabilmente andare col carro dei condannati al patibolo.

[25] une chausse: imbiancatura alla calce.

[26] je serions: accordo al plurale della coniugazione verbale proprio del parlato popolare.

[27] renoncer: qui senso di denunciare.

[28] faire pièce: ingannare, fare un tiro mancino.

[29] belître: uomo da nulla, ma anche furfante.

[30] sûretés: precauzioni. ¨ jurés bâtiers: membri rappresentanti della corporazione dei fabbricanti o negozianti di calze e maglieria: nella scena seguente troviamo anche la parola bonnetier.

[31] Mezzetin fa la parte di un commerciante di calze inglese. La lingua è volutamente scorretta con pronuncia e creazioni morfologiche o sintattiche tipiche dello straniero anglosassone come monsir per monsieur, réfugier moi per me refugier. Più avanti troviamo anche Mamiselle per Mademoiselle, difran per différent, ain per un, plis per plus, felà per voilà.

[32] Ingilterre: probabile errore di trascrizione della pronuncia «Inghilterre» (o «Inguilterre» secondo la trascrizione francese), deformazione logica della consonante centrale a partire dall’italiano Inghilterra e non dal francese Angleterre. ¨ beau couleur: italianismo dell’aggettivo maschile (in francese couleur è femminile). Il colore delle calze evocato qui deve essere il rosso come sembra confermarlo Gaufichon alla fine della scena con l’espressione bas couleur de feu (calze color di fuoco). Il rosso è anche il colore dei nastri che porta in modo ridicolo il Docteur nell’ultima scena quando arriva per sposarsi; dopo avere rinunciato al progetto il vecchio Balouard dice di non avere più l’età «da color di fuoco» (III.9.46).

[33] littre de voiture: cioè lettre de voiture, documento necessario al trasporto delle mercanzia.

[34] qui vous obsède: che vi tormenta.

[35] égal: dalla tessitura fine e liscia, senza irregolarità.

[36] galefrenier: furfante. Si tratta di Arlequin, da parte del quale Pierrot-acquaiola (portatrice d’acqua) dice di avere subito un corteggiamento spinto davanti casa. La lingua di Pierrot da dame Claude è molto popolare.

[37] drues: nella lingua provenzale drut(e) (dal celtico, col senso di vigoroso) significa amante, ma qui la parola è impiegata (a somiglianza del meno equivocabile grues: prostitute) per evocare le donne facili che potrebbero piacere ai militari corteggiatori. Il contrasto tra la lingua popolare, piena di allusioni sessuali, e la moralità offesa della portatrice d’acqua è molto comico.

[38] chocaillon: ubriacona di basso ceto.

[39] Monsieur de Brise-Roche: nome chiaro (spezza-roccia) per un corteggiatore, capitano dei bombardieri temibile, inventato da Colombine per intimorire il fratello e il promesso sposo e imporre la necessità della prudenza da adottare nella risposta da dargli (Colombina giustifica i termini vaghi della sua lettera destinata a Lélio).

[40] scandalisée: rimproverata, sgridata. ¨ naturel: sensibilità, affetto.

[41] baillerai: darò. ¨ corps: corpetto (si dice anche corps de jupe).

[42] demi-muid: botte di misura media.

[43] traverser: ostacolare.

[44] il bricole: dire cose non vere o senza senso. ¨ n’en cassera que d’une dent: ne farà a meno.

[45] Normand: probabilmente qui col senso di avaro secondo la fama degli abitanti della Normandia quale viene trasmessa nella commedia anche tramite il personaggio del barone fittizio (parte di Arlequin da II.7 in poi).

[46] il me rompait en visière: se la prendeva con me.

[47] ous: per vous. La pronuncia, le espressioni e la sintassi del cocchiere (parte di Pierrot) sono popolari con tendenza a sfumature rurali.

[48] Probabile allusione alle proposte omosessuali che il cocchiere dice di avere subito dalla parte dello zio abate d’Isabelle.

[49] ferlampier: un poco di buono. ¨ la vela qu’a commence: per la voilà qui commence: eccola che comincia.

[50] L’inizio della scena è occupato dall’unico pezzo a soggetto della commedia che potremmo chiamare il lazzo delle sentinelle o lazzo della farfalla. La didascalia non è molto esplicita sullo svolgimento delle folies fatte da Pierrot e Pasquariel.

[51] égrillard: persona libera e gagliarda, libertino.

[52] coterie: compagno.

[53] vidons l’affaire: concludiamo l’affare.

[54] par la jernie: interiezione (come jarni), forma contratta della bestemmia jarnidieu. ¨ repasser: ammazzare.

[55] avaler le goujon: cascare nella trappola. ¨ vous bronchez: fate un passo falso.

[56] marsouin: uomo grossolano. Si tratta della descrizione di Arlequin travestito da barone della campagna normanno. ¨ homme de cette couleur-là: allusione comica alla maschera nera di Arlequin: il viso nero del barone sarà giustificato nella scena seguente dal racconto della partecipazione alla guerra e dell’esplosione di cui è stato vittima.

[57] Marquis de Trigouille: presentato come cugino del falso Fourbadière, sembra essere una conoscenza aristocratica e provinciale di Gaufichon lusingato da questa raccomandazione. Le sonorità finale in ouille è ridicola, ma il nome non significa niente di particolare, a meno che non vi si identifichi un gioco fonico-semantico tra intrigue e Triguer, nome proprio usuale in Normandia.

[58] briquets: cani da caccia di bassa statura.

[59] jouer un fourneau: attivare un esplosivo (fourneau è più esattamente la cavità in cui si pone l’esplosivo). Ricordiamo che nella lista dei personaggi il Baron de Fourbadière è chiamato Baron des Fourneaux (degli esplosivi). In questa scena viene anche indicato che il viso nero del barone (in realtà la maschera di Arlequin) è il ricordo fisico lasciato dall’esplosione. ¨ à la billebaude: in tutta libertà, secondo come capita.

[60] l’affaire a été bâclée: l’affare è stato concluso rapidamente.

[61] ne faites point […] le vespasisan et le ferragus: l’espressione è poco nota; Pierrot da serva-cuoca cerca di imporsi di fronte all’autorità di Gaufichon usando il nome di un imperatore romano a cui aggiunge un vocabolo fondato sul registro semantico del ferro ed una desinenza latineggiante. L’espressione non appare nei dizionari storici e W. John Kirkness nel suo saggio Le français du Théâtre Italien d’après le Recueil de Gherardi 1681-1697 (Genève, Droz, 1971) indica soltanto che l’impiego è nuovo (p. 373). Siamo di fronte ad una delle tante invenzioni verbali di questo teatro che spesso sancisce le trovate degli attori durante lo spettacolo. ¨ je vous dis et vous douze: espressione inventata con gioco rafforzativo di parole tra dis (preso nel senso di dix: dieci) e douze (dodici), come per significare: vi dico e vi ridico. ¨ taillerait […] des croupières: metterebbe in pericolo, attaccherebbe, col probabile senso sessuale vista la descrizione fisica dell’uomo considerato con gradimento dalla cuoca-Pierrot.

[62] biau gars: per beau gars: bel fusto. La lingua di Pierrot-cuoca è popolare con inflessioni rurali (vedi più avanti nella scena sti-là per celui-là).

[63] plartousiane: pronuncia campagnola per pertuisane (lancia). ¨ cette masque: questa donna furba. ¨ me faire pièce: ingannarmi.

[64] jeter votre gourme: fare follie di giovinezza.

[65] muguets: giovani uomini eleganti e galanti, un po’ come plumets e blondins già rilevati.

[66] bagage: aspetto della dama con accompagnamento (come équipage nel senso figurato). Alla fine della scena seconda dello stesso atto Pasquariel ha commentato l’apparizione della vicina parlando del servo che porta lo strascico del vestito.

[67] gaguy: donna formosa e bella. Esclamazione di Arlecchino-barone per descrivere la falsa contessa (Mezzetin) con probabile gestualità comica.

[68] je suis gros de: desideroso di.

[69] Il primo notaio che appare per questa lunga scena di dialogo con Gaufichon (il notaio lascia il tempo a Colombine di andare da Isabelle e di tornare con lei) ha per nome Monsieur L’Altéré (III.7.26) che allude sia ad una tendenza alla falsificazione di senso, sia all’avidità (altéré può significare assetato).

[70] vous couchez une grosse terre en joue: consegnate per atto notarile un podere importante per un disegno preciso.

[71] instrumenter: redigere un atto pubblico.

[72] Il notaio dice di incassare il decimo delle somme dei contratti, il che è enorme, e provoca l’esclamazione di Gaufichon, ma nonostante tutto «il denaro è diventato raro» (battuta 38 del notaio).

[73] glisser: entrare in un affare, introdursi. Termine usato da Léandre forse con doppio senso per il contratto di cui è supposto essere il testimone e per il matrimonio reale di Colombine, con allusione al possedimento fisico della ragazza. ¨ la grosse: l’atto notarile esecutorio scritto in caratteri più grossi rispetto alla minuta.

[74] Monsieur de La Pince: è un altro nome comico con significato appena velato che indica una tendenza all’interessamento del secondo notaio.

[75] que je me garantisse d’un écueil de roupies: che io eviti il matrimonio con un vecchio moccioso.

[76] Il riassunto delle tappe della beffa da parte di Arlequin è insieme sintetico e comicamente lungo per l’enumerazione degli stratagemmi e dei personaggi inventati.

[77] prendrez-vous de mes almanachs?: ascolterete i miei pronostici? Pierrot fa riferimento alla scena seconda dello stesso atto in cui rimproverava al vecchio padrone il progetto di matrimonio con una donna giovane.

[78] L’ultima battuta spetta a Colombine che spiega al fratello la lezione datagli e trae la morale della commedia per il pubblico (con un’ultima variazione sul titolo). Colombine introduce anche i canti e i balli previsti per la festa del matrimonio iniziale (di cui Léandre ha proposto il pagamento). I versi finali s’indirizzano al geloso sotto forma di considerazioni generali (la fedeltà delle donne, la gelosia, la prigionia, il desiderio di libertà) e formulazioni proverbiali (con l’immagine dell’uccello in gabbia).